Lire, c'est choisir de plonger dans l'univers de quelqu'un d'autres, dans ses parcours mentaux, d'explorer des thèmes connus, d'apprendre, de reconnaître et ressentir des choses qu'on avait peut-être jamais compris tout(e) seul(e), c'est accepter de respirer sur le rythme de quelqu'un d'autre.
Et respirer, c'est vivre.MONEY: A SUICIDE NOTE de MARTIN AMIS.
1984.
Une année intense pour la jeune personne de 12 ans que j'étais alors. Je mentirais de dire que j'ai lu ce livre à cet âge. Probablement dans la trentaine, quand j'ai découvert l'auteur britannique Martin Amis, fils du non moins illustre Kingsley Amis.
Son 5ème roman raconte l'histoire de John Self, un réalisateur de commerciaux pour la télévision à qui un producteur offre la chance de tourner son premier film. Bien entendu, rien ne se passera de manière tellement. Self est un hédoniste typique des années 80, habituellement intoxiqué à l'alcool, avide consommateur de pornographie et de prostituées. Il mange trop et encouragé par son producteur, il flambe beaucoup trop d'argent. Les acteurs et actrices de son film, appelé Good Money, ont tous leur petits problèmes, Christian jouera un fournisseur de drogues, le vieillissant Lorne Guyland doit être physiquement attaqué, la maternelle Caduta est insécure face à son propre corps et doit jouer une scène de nudité avec un acteur qu'elle déteste.
À New York, Self est constamment harcelé par Frank The Phone qui le menace de plusieurs appels, principalement parce que Self personnifie le succès que Frank n'a jamais réussi à obtenir. Self n'a pas peur de Frank, même après que les deux se soient battus.Comme dans son excellent livre suivant, London Fields, un détournement majeur de l'histoire surviendra. Je ne vous le divulgâcherai pas.
Avant le début du tournage, Self se rend en Angleterre où il a grandi. Il a la double nationalité et n'est donc jamais surpris de ce qu'il voit aux États-Unis. Il revisite son humble père, concierge, et Fat Vince, portier du bar. Son père le méprise ouvertement et lui exige de repayer tout ce qu'il a investi en lui depuis sa naissance. Self découvre que sa partenaire amoureuse de Londres à une affaire avec un autre. Self se sent donc attiré par la femme de cet autre. Mais rien ne fonctionne comme il l'aurait souhaité. Toutes ses cartes de crédits sont maintenant bloquées. Il confronte Frank et réalise soudainement plein de choses.Amis s'est planté dans sa propre histoire. D'abord méprisé par John Self, Martin Amis (dans l'histoire) devient son principal ami et confident. Il se dépeint terriblement arrogant. Self lui reproche de faire beaucoup d'argent tout en continuant de vivre comme un étudiant. Amis tente de le prévenir qu'il se dirige vers le mur et la destruction personnelle. Sans succès.
Le sous-titre du roman, A Suicide Note, est clarifiée vers la fin avec un jeu de mots intraduisible avec le mot Self (sois-même).
Le roman lui a été inspiré de son expérience sur le tournage du film Saturn 3, avec Kirk Douglas. Amis y était scénariste. Lorne Guyland est inspiré de Douglas. C'est aussi la prononciation occasionnelle de certains New Yorkais, sous-éduqués, mastiquant mal les mots Long Island pour la nommer. Amis a dit vouloir briser la tendance voulant qu'un Anglais aux États-Unis soit en soi, le coeur d'une histoire d'adaptation à un nouveau pays aux différentes moeurs. Son personnage est à l'aise autant en Angleterre qu'aux États-Unis. "À l'aise" se résumant parfois à avoir le réflexe de s'auto-détruire.C'est un de mes livres préférés de ce très lucide auteur. C'est encore un regard sur la célébrité qui reste pertinent alors que les comportements de plateau sont presque un moment de télé-réalité actuel. Même niveau de maturité, 39 ans en avance sur son temps.
Amis était un fameux observateur. Photoréaliste intelligent.
Il est décédé le 19 mai dernier du cancer de l'oesophage à l'âge de 73 ans, au même âge que son père, Kingsley, et du même cancer que son grand ami, le tout aussi excellent Christopher Hitchens.
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