À chaque mois, dans ses 10 derniers jours. tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers), et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: la littérature.
Lire c'est apprendre, c'est plonger dans l'univers des autres, c'est accepter (ou pas) les idées des autres, c'est affronter ses peurs, en découvrir, apprivoiser des univers, c'est s'ouvrir les sens, accepter de vivre un temps sur le rythme d'un(e) autre.
C'est apprendre à respirer autrement.
Et respirer, c'est vivre.
DORA BRUDER de PATRICK MODIANO
31 décembre 1941.
Une annonce dans le journal parle d'une personne disparue et réclame de l'aide pour la retrouver dans le Paris-Soir. Le nom de la disparue serait Dora Bruder. Elle aurait 15 ans, serait d'origine juive. Nous sommes en 1941, dans la France nouvellement assiégée. L'occupation divise complètement le pays. On résiste ou on suit Pétain, qui collabore pour sa survie. 9 mois plus tard, le nom de Dora Bruder apparaît sur une liste de juifs déportés vers Auschwitz.
L'avis de recherche est davantage qu'une exploration journalistique de la disparition de la jeune Bruder. Il s'agit plutôt de l'éloge d'innombrables personnes, jeunes et âgées, artistes et enseignants, hommes et femmes, bourgeois et plèbe, Français, citoyens légaux de tout l'Europe, qui, comme cette innocente jeune fille, ont vu leurs vies complètement chavirées par les abominations de la Guerre.
Modiano, Prix Nobel de littérature de 2014, habituel romancier, dénonce, par sa recherche, la souffrance illimitée, l'humiliation, la violence gratuite, décrivant en parallèle cette France en tableaux vivants, une France qui tente de nuancer avec neutralité les édifices démolis, les rues repavées, une France qui fait tout, pour oublier, utilisant un ciment de couleur amnésique. Mais la courte vie de Dora, ainsi que le lent effacement de l'agité narrateur (le narrateur chez Modiano est un large sujet en soi), dans la poursuite de ses objectifs à percer le mystère de sa disparition, n'est pas que simple errance solitaire dans les rues de France, mais se fond aussi aux foules lors de l'heure de pointe. Le destin de Dora Bruder est comme un cri étouffé. Modiano ouvre les poumons de l'effroi. Il fait de ce fait divers une histoire plus large de la France. Une chronique de la mémoire collective. Une plongée sur ce que l'on choisit d'écarter de nos tête souvent trop pleines. Un close-up traumatique. Cherchant Bruder, Modiano se découvre vide. Il se cherche aussi, mais est-ce qu'il se trouve?
Nos vies sont construites de ce qu'on choisit de se rappeler et de ce qu'on choisit d'oublier. L'atmosphère pure de la vieille France éveille un parfum d'atrocités couvert de brouillard. Modiano tente de le dissiper habilement. Certaines choses n'auraient jamais dû se produire. Les villes, les gens, témoins d'atrocités, ont quelques fois, trop souvent, enveloppé ce qu'ils ont vu dans un silence coupable. Si les ruelles de Paris pouvaient parler on en aurait long à écouter. De la prise de la Bastille à nos jours. Modiano tente de jeter une lumière sur la noirceur.
Dans toute son oeuvre, Modiano fait une belle place à la nostalgie. Dora Bruder ne fait pas exception.
Il s'agit d'une particulière, mais tendre berceuse, abominable aussi, fascinante, éternelle, qui a emprisonné une jeune fille dans la jeunesse à jamais.
Pas complètement un roman de la part d'un romancier, mais un très bouleversant effort de 1997.
Portrait d'une mélancolie joliment et tout aussi cruellement mélodique.
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