Je connaissais Danic Champoux de son passage à La Course Destination Monde. Cette émission qui envoyait des jeunes tourner un peu partout dans le monde un reportage par semaine, un mini-film documentaire, une oeuvre. Très inspirante émission qui n'a jamais trouvé d'équivalent encore.
Champoux était de l'édition de 1996 ou de 1997. Je me souviens vaguement qu'il était "l'ébouriffé" du groupe. Il avait tenté sa chance pour l'émission en méprisant les éditions passées légèrement, les trouvant trop pédants, pseudo-poétiques. Il avait été choisi parce que lui-même beau personnage. Rock'n roll candidat. Je l'ai aimé tout de suite. Ordonné dans le désordre. J'ai dû m'y reconnaître un tout petit peu.
Je n'étais pas le seul à avoir été charmé par l'auteur en devenir. La productrice de l'ONF, Monique Simard, avant même la fin de La Course Destination Monde, était entrée en contact avec lui et lui avait dit que, peu importe l'issue de la Course (il s'agissait d'un concours qui donnait parmi ses prix, des jobs dans des maison de prod. ou des stages ici et là, en télé/ciné), elle allait recevoir et écouter toutes ses idées de projets au retour. Ce qu'elle a fait.
Il existe 5 films de Champoux, obscènement gratuits et faciles d'accès sur le site de l'ONF. Depuis l'annonce de sa mort prématurée, à 45 ans, j'ai essayé de rattraper le temps et m'en suis tapé 4. Le 5ème étant une version écourtée d'un autre. Il en tourné d'autres. Un film sur son voisin d'en face, le repaire des Hell's Angels de Mom Boucher et de son son chez eux Sorelois*. Et un docu sur les 20 ans du référendum.
J'ai commencé par Mon Père. Un film où Champoux lui-même, essaie de rattraper le temps en allant filmer son père, qu'on comprend assez absent de sa vie. On le suit sur son lieu de travail, soudeur itinérant, sans complet domicile fixe, dans un chantier de construction. On y découvre solitude, déchirement, familles brisées. On s'immerge dans le milieu des "camp (kampe) de Boyz". Il y a un fond de tristesse dans ce 26 minutes. Touchant d'entendre Champoux demander à son père, "Tu pensais tu à nous des fois ?". Il me semblait adéquat de commencer par son film qui faisait un appel aux souches. De commencer par l'arbre et la pomme.
J'ai ensuite visionné La Fille du Cratère, documentaire d'1h24 autour de Yolande Simard-Perreault, épouse attachante et rêveuse passionnée du cinéaste Pierre Perreault. Un monument du cinéma Québécois. Champoux est tombé amoureux du cinéma de Pierre Perreault. Ce qui reste un peu ironique puisque son propre cinéma à lui, est teinté de l'influence de Perreault. Donc forcément, très poétique. Poésie pas pédante du tout, mais assez belle. J'ai été heureux d'y trouver un ami au générique, qui y a fait un extraordinaire travail à la prise de son.
J'ai hésité entre Séances et Autoportrait Sans Moi pour la suite. J'ai choisi Autoportrait... Pensant y voir le film de sa vie. Donc sans comprendre pleinement le titre, d'emblée. Ne m'accrochant qu'au premier mot du titre. Il s'agit d'une série de rencontres avec des Québécois confessant des moments intenses de leurs vies. Parfois le vivant, le revivant, en direct. La mort s'y invite. Survol de la fragilité humaine. Je voyais Danic en quelques sorte aussi. Intéressé par la fragilité des autres, probablement attiré par la fêlures pour saisir un peu plus des siennes.
Puis j'ai écouté Séances. Qui par la suite a été acheté par la télévision puisqu'une version de 52 minutes a été aussi montée. J'ai retardé le visionnement de celui-là parce que Champoux avait réussi à m'émouvoir de plus en plus dans ses films précédents, et celui-là, posant la question "Peut-on vraiment vaincre le cancer ?" avait le potentiel pour me bouleverser davantage. Et si sa conclusion, c'était plutôt non ?
J'ai un ami, un frère, en guerre contre un double cancer. À pas même 50 ans.
Ma propre fragilité me freinait.
Le film de Champoux suit le parcours du guerrier que doivent suivre ces gens qui n'ont pas choisi le crabe qui les assaille. Plusieurs ne se rendent pas à la fin du film. Fragile, encore.
À un certain moment de ce film, un homme âgé, qui est toujours sur la fine ligne du très mauvais goût dans ses commentaires, quand il n'est pas 100% déplacé, regarde la caméra et nous dit: "On m'a dit qu'il me restait 5 mois. Mais mois j'ai d'autres plans.". Après un temps de suspension, il ajoute en chuchotant "Je suis tanné". Et pour la seule fois du film, son regard soutient fermement celui du cinéaste. Il est décidé. Il n'essaie plus de faire son drôle.
Regard fixe dans l'auto-destruction.On n'a pas divulgué de quoi est décédé Danic, vendredi le 18 février dernier à seulement 45 ans. On le savait aux prises avec des problèmes de toxicomanie à certains moments de sa vie. On le savait fragilisé de toute sortes de manières.
Peut-être a-t-il trouvé qu'un monde qui cherche à ternir sa version du bonheur ne méritait pas sa présence aussi.
On le savait auto-destructeur.
L'avantage des artistes, c'est qu'ils laissent derrière eux des traces, des créations qu'ils ont tricoté de leurs méninges, de la pérénité pour les siècles à venir. Danic ne fera plus de films. Mais ses films survivront.
Ses proches, ses 4 enfants, doivent maintenant composer la suite du film de la vie, sans papa pour la filtrer de son oeil, de son talent et de son coeur.
Danic était une fleur fragile dans le bitume.
*Vu Aussi. C'est facilement dispo sur Youtube.
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