1947.
Marlon Brandon a été choisi pour jouer Stanley Kowalski dans A Streetcar Named Desire un peu contre sa volonté. Il n'en était pas le premier choix du tout.
Originalement, la productrice de la pièce, Irène Selznick voulait John Garfield. Mais celui-ci ne voulait pas d'une longue tournée de théâtre. L'agent de l'auteur Tennessee Williams pour sa part suggérait Brando, le pensant parfait pour le rôle. Mais à cette époque de simple téléphone avec fil dans les domiciles, Brando était impossible à rejoindre. Les langues sales, mais aussi bien avisées, diraient que Brando, toute sa vie, était impossible à rejoindre. Brando venait tout juste de se faire virer d'un projet avec Talllulah Bankhead et n'avait pas de # de téléphone.
On a dû faire du bouche-à-oreille afin de laisser entendre à quiconque le croiserait, de lui laisser savoir qu'on le voulait pour la pièce. Pour jouer Stanley. Au mois d'août (la pièce est prévue de débuter le 3 décembre), la nouvelle s'est rendue à Brando et il auditionne pour Elia Kazan. Qui est tout à fait convaincu. Selznick, pas vraiment. Elle veut Garfield ou au pire, un acteur connu et établi. Brando n'est pas encore cet homme en 1947. La dernière pièce de Tennessee Williams, The Glass Menagerie, a été un très gros succès, on veut capitaliser là-dessus. Avec Brando, Streetcar devenait un risque. Une star en faisait un certain hit, à nouveau. Brando n'était-il pas trop jeune pour le rôle ? Kazan et Selznick finissent par s'entendre, si Brando passe une audition devant l'auteur, Tennessee Williams, et qu'il est charmé, tout s'arrange.
Mais Brando dérange. Williams habite Provincetown. Brando dira qu'il n'a pas les sous pour se rendre de NY, en Floride. Kazan a donc envoyé des sous pour s'y rendre, à Brando, et dit à Williams qu'il devait s'attendre à le recevoir.
Brando était spectaculaire irresponsable. Et ça devenait encore plus fameux quand il était indécis, ambivalent, incertain. Il n'était pas convaincu qu'il voulait le rôle et il ne savait pas non plus, si il voulait explorer Stanley Kowalski. Tallulah Bankhead l'avait torturé mentalement. Il avait aussi été échaudé par son enseignant de jeu, Erwin Piscator, qui lui demandait un obéissance absolue, ce que Brando n'arrivait pas à lui donner, étudiant. Le père de Brando était une absolue brute qui le battait. Stanley Kowalski lui ressemblait de bien des manières. Voulait-il ouvrir cette porte 8 fois par semaine dans un futur proche ? Jouer une extension de papa ? Le temps qu'il se pose la question, il avait flambé tout l'argent de Kazan dans un party chez son amie Maureen Stapleton.
Après une semaine sans nouvelle, Kazan s'est renseigné par téléphone à Williams qui lui dira que Brando ne s'était jamais pointé. Brando finira par s'y rendre, mais sur le pouce, et avec la chance de tomber sur la fille de son mentor Stella Adler, Ellen, qui le mènera à Provincetown. Brando a du charme. Et Ellen Adler est une compagne sentimentale occasionnelle. Sur place, Williams reçoit des amis, dehors. Et de temps à autres, on est obligé de se rendre pisser dans les bois parce que la toilette est brisée. La maison est pleine d'artiste que ne savent pas comment arranger tout ça. Brandon arrive, improvise de réparer tout ce qui est tout croche dans sa maison, dont la toilette, et charme déjà tout le monde. Quand il fait sa lecture de Kowalski à Williams, il n'y a aucun doute, Marlon EST Kowalski.
Bientôt tout le monde verrait ce que Kazan et Williams voyaient en Brando. Et beaucoup embrasseront son étrange manière de jouer avec intensité et réalisme. Pendant la Première Guerre Mondiale, la Guerre, représentée dans les arts était en général de la gentille propagande. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, on était plus sombre, on connaissait le monstre de la Guerre et ses impacts. On parlait de disparus et de survivants. Nous sommes 2 ans après la fin de la Seconde Guerre. On est ambigüe en ce qui concerne la Guerre et ses implications. Tennessee Williams, devient maître des conflits intérieurs à cette époque. De l'irrésoluble à la Isben, Chekhov ou Strindberg. The Glass Menagerie montrait des personnages hantés par les choses du passé, incapables de changer ce qui s'y fût fait, et incapables de changer, de nos jours. A Streetcar Named Desire présentait de la violence domestique. Et refusait un parti pris clair. Privant le public d'une zone de sécurité qui serait née de l'indignation morale. Kowalski devenait humain. Le monstre devenait humain.
La pièce exigeait une recherche d'équilibre parmi les personnages entre les mensonges et les désillusions. Le texte, pourtant hautement poétique de Williams, été joué par Marlon comme on le faisait dans la rue. Ceci forçait tous les interprètes à jouer des personnages complexes non pas comme des héros, des victimes ou des monstres, mais comme des gens. Tout simplement des gens ordinaires. Très Stanislavski. Une méthode qui ferait école. Je me vois sur scène, je m'associe à ce qui se passe.
Kazan était un maitre de la chose. Il était aussi chef diplomate dans les relations entre Jessica Tandy (dans le rôle de Blanche) et Marlon Brando. Tandy était originaire de Londres, avait 38 ans, 15 ans de plus que Brando. Elle était d'une autre école. Elle avait joué Ophelia dans le Henry V de Laurence Olivier. Brando n'arrivait jamais à l'heure. Et ne savait jamais son texte (il était aussi dislexique). Karl Malden, leur co-vedette, allait piquer quelques colères en répétitions. Mais saurais quand même reconnaître le génie de celui qui changeait sa manière de livrer ses lignes tous les soirs. Le forçant à donner le meilleur de lui-même chaque fois. Toujours sur le fil.
Les autres apprenaient leurs rôles, Brando l'expérimentait sur scène. Pour Tandy, Brando n'était qu'un petit maudit psychopathe. (le temps confirmera qu'elle ne se trompait pas beaucoup). Ce qui commençait à amuser Kazan et Williams était que le public, qui devait techniquement prendre pitié pour Blanche, battue et violée, de la manière que le jouait Marlon, prenait peu à peu parti pour Stanley Kowalski et ses faiblesses exposées. Ça devait aussi énerver Tandy de se savoir simplement victime. Et peu appuyée du public.
La pièce exposait la destruction de Blanche Dubois, mais votre complicité se trouvait dans celui qui la détruisant. Déstabilisant. Un bon acteur devait être en mesure de jouer les lignes écrites, selon Tandy, comme l'avaient écrits les Goldoni, Shakespeare, Williams, ou Euripide. Mais Brando changeait le texte, jouait ses propres mots, déjouait tout ce qui était, devait, être soudé.
C'était l'Angleterre vs les États-Unis.
L'authenticité de Kowalski aura vaincu les artifices Anglais.
J'ai revisité The Godfather cette semaine. Et The Godfather Part II forcément.
J'avais un peu oublié comment Marlon avait été magique.
Individu de travers, artiste révolutionnaire.
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