Chaque mois, dans ses 10 derniers jours, tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: la Littérature.
Lire, c'est entrer dans un nouveau monde, s'évader, explorer les autres, soi-même, c'est conquérir le monde, c'est se frotter au cerveau d'autrui, c'est plonger dans un rythme qui n'est pas le sien, c'est apprendre, c'est comprendre, c'est accepter de se faire surprendre.
C'est une très large partie intrinsèque de mon travail de traducteur. Si bien qu'il m'arrive régulièrement de lire plusieurs choses à la fois. Au moins 2 livres, parfois trois. Je suis presque parfait ambidextre. Mon cerveau exige d'être nourri de tous les côtés.
Lire c'est pour moi respirer autrement. Et respirer, c'est vivre.
LE LAMBEAU de PHILLIPE LANÇON.
Phillipe Lançon est romancier, chroniqueur et journaliste. Passionné de littérature Sud Américaine, il y a aussi trouvé quelques fois l'amour. Il a longtemps tenu une chronique sur la télévision, avant de devenir membre de la tribune radio Du Masque et La Plume, chroniquant alors sur le théâtre, sur France Inter. Il était aussi chroniqueur chez Charlie Hebdo. Et le terriblement triste 7 janvier 2015, il est parmi les gens en réunion au journal qui reçoivent la mort en direct. Lançon sera l'un des rare survivants de l'insensée tuerie. Il sera toutefois blessé au bras et sa mâchoire inférieure sera carrément arraché par une balle. Il fera le mort avec dans son champs de vision, le cerveau d'un collègue et ami plaqué contre des objets inanimés.
Lançon nous raconte sa vie. Ses vies. L'avant Charlie Hebdo, un peu, mais surtout, le 7 janvier et l'après 7 janvier. Les deux ans qui lui feront subir 22 passages au bloc opératoire, 13 opérations, et 4 heures de chirurgie maxillo-facial afin de compléter le collage final du bas de son visage.
Son témoignage est aussi tragique que touchant. Aussi charmant qu'horrifiant. Il est même fréquemment drôle. Il a une plume superbe. Je ne l'avais jamais lu ailleurs avant, mais peut-être qu'il n'a jamais été aussi bon, non plus. Maintenant largué en partie par la superficialité de l'esthétique du miroir, il en a développé une esthétique de la plume formidable.
Il aura une myriade de prix par la suite qui parfois honore son talent, mais plus souvent, selon moi, salut son courage. Chose qu'on ne choisit jamais et que lui, c'est fait imposer carrément dans la gueule.
Lançon voit forcément la vie différemment maintenant. Celle-ci le voit différemment aussi. Et le miroir lui renvoie quelque chose qu'il n'avait jamais eu de raisons de s'imaginer un jour porter. Son lambeau, ce n'est pas seulement ce bout de chair qui lui sert maintenant de menton et de joues inférieures, mais aussi ses nerfs, quoique plus souvent lyrique que tragique, il ne fait aucun doute qu'il a forcément largement souffert moralement de tout ça. Mais il écrit si bien qu'on en arrive presque à l'oublier.
Il ne fait aucun doute que c'est aussi un homme charmeur qui aime flirter. Assez dandy. Et on le sent flirter ici et là, et très souvent, avec nous, lecteur. On a pas tué le Don Juan en lui.
Mais on a tué une de ses vies. Il nous raconte le début de sa seconde vie.
Et c'est extrêmement bouleversant tout comme ça loge dans le charmant. Voici celle qui lui a sauvé héroïquement le visage.
C'est le genre de récit qu'on se surprend à consommer comme une pointe de tarte franchement trop bonne. Le genre de bouteille qui fait enchaîner les verres sans qu'on réalise qu'on est ivre de quelque chose à la fin.
Ivre d'une nouvelle finesse.
Et d'une envie de savourer chaque seconde qui passe.
Vous aimerez le temps investi sur ce livre.
Vos vies seront aussi différentes après avoir lu son récit.
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