Ce devait être autour de 1988. J'habitais Sillery.
L'été, on le passait au chalet. Je travaillais les étés dans un camp de vacances au Lac St-Joseph, depuis 1986. Mais c'était peut-être le premier été où je donnais des cours de planche à voile, de conduite de voiliers et de conduite de catamarans. J'avais pris deux ans à l'apprendre moi-même, et à 16 ans, la base de plein air qui m'engageait avait le culot de me faire donner des leçons à de vieux boomers. Parfois des jeunes. Parfois des ados de mon âge. Des kids aussi. Mais bon, je me sentais effronté et imposteur presque tout le temps.
En ville, sur la rue Cartier, une rue à 20 minutes de marche de chez nous, une famille avait défoncé des murs pour rénover un appartement. Ce faisant, ils avaient trouvé un album de photos contenant de images de gens de ma famille. Cette famille avait retracé dans le bottin les Jones de la région et nous avait retrouvé. Ça ne faisait aucun doute. Ces Jones sur photos avaient tous nos traits. De plus, la branche irlandaise paternelle de ma famille avait habité le secteur. Où on pouvait marcher jusqu'aux écoles anglophones primaires et secondaires St-Patrick's. Où mon père enseignerait la plus large partie de sa vie. Mon père avait été bouleversé par cette découverte et ça l'avait lancé sur la piste de recherche des oncles et des tantes, des grands-oncles et grand-tantes et il voulait identifier chaque photo.
Moi, ce qui m'avait marqué était le nombre de photos de marins. De travailleurs de la mer. Parfois imageant l'expression "une femme dans chaque port"... Il semblait que toute cette branche n'avait que des travailleurs du fleuve. Comme je travaillerais moi-même sur et autour de l'eau de 1986 à 1993, je sentais que j'avais, inconsciemment suivi la lignée Jones. Ayant en plus, moi aussi, eu ma part de "femmes dans chaque port"...
Une de ses conquêtes avait un jour écrit à mon égard cette ligne que je n'ai jamais oublié et que j'ai parfois même réutilisée.
"Certains voiliers n'ont jamais besoin de port". On me ramenait encore à l'eau. Sans que je le demande.
Ça faisait référence à mon grand besoin d'indépendance. Je suis aussi accro au concept à la liberté. La chanson de The Blaze, Heaven, son clip, m'a presque mis les larmes aux yeux tellement je trouvais que les images illustraient la totale liberté. Le bonheur. La richesse du bonheur. Les gars de Blaze ont visé juste. Le paradis c'est ce clip. Je cherche la branche sur laquelle me percher.
Du côté de la famille à mon père, il y avait eu beaucoup de médecins parmi mes ancêtres, mais encore plus de travailleurs marins. Les photos le confirmaient. Les recherches de mon père le feraient aussi. L'eau, c'est un symbole de la liberté.
Du côté de ma mère, il y avait aussi beaucoup de métiers dans les transports. Son père, c'était les trains. Soudeur pour le CN. Et les autochtones, c'est toujours en mouvement depuis tout le temps. En errance ou déplacés par les blancs. Ceux qui me connaissent intimement savent aussi que je voyage parfois en vaisseau. Je me suis souvent imaginé travailler dans un aéroport. J'en aime le décor.
De nos jours, je travaille aussi étrangement dans les transports. Sans jamais avoir vraiment trop réfléchi à la chose avant aujourd'hui.
Je tente de m'arracher à l'ombre qu'est devenu mon travail dans ma compagnie de recyclage, mais rien n'est moins facile. Je suis en prison. Comme dans "lieu d'où il est difficile de s'évader". Je ne suis plus jeune. J'ai mon vendredi off. Il est devenu précieux ce jour-là. Je travaille (théoriquement) 10 heures par jour, du lundi au jeudi, mais en vrai, je fais plus souvent trois jours de 11, 12, 13 heures avant d'en faire un vrai de 10. Et mes heures supplémentaires me rendent riche.
Physiquement et mentalement usé, mais riche. Et je suis relativement libre et sans supervision quand je travaille.
Trouverai-je autant d'espace ailleurs? Goûterais-je au sel de la mer?
Je magasine des ports.
Je scrute du luxe. J'en suis conscient.
Arriverais-je bientôt à trouver autant d'indépendance?
Certains diront que cette indépendance n'est que la mesure de ma solitude. La solitude n'est jamais forcément malsaine.
Mais je préfère y voir le confort de l'île.
Entourée d'eau, bien entendu...
Mon évasion est claire. Moins ma prochaine île.
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