Fritz Heider, en 1946, est le premier à formuler une théorie de la consistance cognitive dans nos cerveaux.
D'après cette théorie, si une contradiction existe entre les jugements ou attentes d'une personne concernant un aspect de son environnement social et les implications des jugements ou attentes relatives à d'autres aspects de cet environnement, on peut observer une modification de la représentation que la personne s'en fait afin de restaurer l'équilibre. Selon Heider, l'Homme recherche l'ordre, la symétrie et la cohérence entre les éléments de leur environnement. Si une contradiction apparaît, des forces tentent de restaurer l'équilibre soit en modifiant les rapports entre ces éléments, soit en modifiant la représentation que la personne s'en fait.
C'est un peu ce qui s'est déréglé chez moi, en 2019.
Autour de novembre/décembre 2018, au boulot, on a procédé à un déménagement. J'ai été, avec un collègue, celui qui était sur la première ligne pour transporter l'entièreté de nos bacs d'un entrepôt à l'autre. Nous avons fait ça à deux. Ça a été fort épuisant, physiquement et mentalement. Surtout après où jamais n'avons nous senti que nous atterrissions proprement de l'autre côté. On s'est facilement cherché dans le nouvel entrepôt, plus grand pendant 6-7 mois et je dirais qu'on se cherche encore. On a jamais vraiment repris le dessus et rien n'a plus été pareil au travail.
Puis, au niveau personnel, on a aussi déménagé. Ce qui ne me plaisait pas du tout. Pas que je voulais rester là où nous étions, mais je savais que je n'était pas celui qu'on voulait que je sois ailleurs. Je ne le suis pas. Je ne peux pas l'inventer, je ne le suis fondamentalement pas. Ce qui a rendu ma nouvelle vie largement désorientée. Et m'a déséquilibré comme Heider en parlait en 1946.
En conduisant, je suis devenu accro au GPS. Me perdant encore assez souvent dans des trajets communs. J'ai, physiquement, plusieurs fois, eu toute la misère du monde à placer mon corps dans l'environnement. Pour vrai. Passant d'un étage à l'autre, incertain de l'endroit où me placer. Incertain de l'endroit où placer mon ordinateur portable. Je me suis dirigé vers des salles de bains inexistantes dans la nouvelle maison. J'ai ouvert des tiroirs et des armoires pour y ranger des choses qui m'ont fait exploser de rire.
Les trois autres membres de mon unité familiale (et le chat) ont eu une année 2019 formidable. Pas moi. Qu'est-ce que ça dit sur ma personne? Je me suis longuement penché sur la chose. J'adore ce trio (quatuor) plus que tout au monde, comment se fait-il que je sois si dans la marge dans tout ce qui nous est arrivé l'an dernier?
J'ai lu et entendu qu'un changement important dans une vie, comme un déménagement, créé parfois les circonstances idéales qui amènent une personne à agir en désaccord avec ses croyances. Ainsi, il n'est pas anormal d'éprouver un état de tension inconfortable appelé dissonance.
J'ai beaucoup dissoné et pogné le vertige.
J'ai jonglé avec mon équilibre cognitif, échappant quelques balles, ici et là.
J'ai choisi de rétablir un certain ordre mental en juxtaposant, de temps à autre, trois choses qui me passionnent, la musique, les films et les livres, me gorgeant de chacun dès que j'en avais la chance. Ceux cliquant sur les "J'ai vu, J'écoute, Je lis", en haut, à droite, savent que ça changent assez souvent. Et encore, je ne mets pas toujours tout. J'ai boulimisé dans la consommation des films, livres et de la musique. Spotify et la bibliothèque sont définitivement mes carrés de jeu. Pas le garage.
En (re)visionnant successivement deux de mes films préférés, avant la fin 2019, j'ai été frappé par la ressemblance narrative de ceux-ci.
Dans La Notte de Michelangelo Antionioni, qui, comme Kubrick, semble n'avoir fait que des films dans sa carrière me rejoignant profondément, un couple prend une nuit pour lentement se séparer.
Dans Lost in Translation, de Sofia Coppola, dont le cinéma semble laisser une grande place à la errance, deux étrangers, à Tokyo, prennent une nuit à être ensemble. Juste être ensemble.
On a dit des deux films que c'étaient des heures où il ne se passait rien. Moi j'ai vu deux films où on tentait de rétablir un certain équilibre cognitif. D'une beauté qui me touche et que je trouve rare dans nos vies.
Rééquilibre fortuit dans les thèmes.
Moins fortuit maintenant.
Si mon cognitif a été secoué l'an dernier, 2019 a aussi, internationalement, mis à jour une extraordinaire déviance.
L'écrivain français Gabriel Matzneff, a toujours ouvertement montré sa pédophilie. Il l'a présentée publiquement et l'a beaucoup écrite dans ses oeuvres que l'on dit fameusement signées. Vanessa Springora, 47 ans, a été l'une de celles qui, trop jeune, ont visité ses draps à l'âge de 14 ans. Elle s'en confesse aussi dans un livre appelé "Le Consentement", paru hier.
Denise Bombardier, peut-être trop virago pour qu'on la prenne trop au sérieux alors, avait, en 1990, confronté publiquement, de manière extrêmement courageuse, l'auteur sur le sujet. Et l'inconfort de tous les invités d'alors, dont Alexandre Jardin, montrait l'absence de ce courage dont faisait preuve Bombardier.
Je suis tout le contraire d'un fan de Bombardier, mais là dessus, chapeau! Elle eu les couilles que peu ont eût.
Dans nos sociétés, désormais largement polarisées, la France est aujourd'hui fort divisée. Entre les regards d'alors et ceux d'aujourd'hui.
Bernard Pivot, homme de plus en plus dégénératif, a défendu l'auteur. C'est impardonnable de sa part.
Mais la plupart ont été écoeuré par Matzneff.
Comme Bombardier en 1990 et plusieurs autres plus secrètement.
Le secret est public. L'a toujours été.
L'outrage aussi.
Ses pulsions sexuelles sont criminelles.
Impardonnables aussi.
Quel désordre règne dans ces cerveaux?
Ce matin, on se lève et Matzneff est enfin inquiété.
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