samedi 9 mars 2024

Cinema Paradiso: Leaving Las Vegas de Mike Figgis

(à L.) 

Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parles de l'une de mes 3 immenses passions: le cinéma !

Je l'ai surconsommé, le fais encore, étudié, en fût diplômé, y ai travaillé en fût primé, en suis sorti, mais le cinéma ne sortira jamais de moi.

Je vous parles d'un film qui m'a charmé par sa réalisation. ses interprètes, son histoire, son sujet, ses thèmes, son audace, sa musique, ses trouvailles, bref, je vous parles d'un film dont j'ai aimé par mal tous les choix. Un film que j'ai bien souvent dans ma vaste collection de films.

LEAVING LAS VEGAS de MIKE FIGGIS.

L'écrivain John O'Brien s'est enlevé la vie en 1994, à 33 ans, deux semaines après avoir appris que son livre allait être adapté au cinéma par Mike Figgis. Ses proches ont tous dit que son livre avait été sa lettre d'adieu. 

Le film de Figgis n'est pas une histoire d'amour, bien qu'elle en donne l'impression, mais celle de deux désespérés utilisant l'amour comme une forme de prière et dernier recours à l'arrêt de leurs souffrances. C'est aussi, forcément, un triste portrait des derniers stages de l'alcoolisme. Si vous trouvez ce film "trop extrême", vous êtes simplement chanceux/chanceuse de ne jamais avoir approché ce stade.  

Peu de films sont aussi désespérés et aussi plein d'espoir en même temps. Même au fond du baril, il est possible de trouver la grâce dans les parenthèses amoureuses. Nous suivons l'histoire de Ben & Sera, interprétés (de manière si exceptionnelle que Cage gagnera un Oscar et Shue, une nomination pour leur performance) respectivement par Nicolas Cage et Elizabeth Shue. Lui est agent d'artistes à Hollywood, elle, prostituée à Las Vegas. Bien que les prostituées au grand coeur sont assez clichés généralement à Hollywood, ces clichés tombent alors qu'une intimité, révélant davantage qui ils sont, les font vite tomber. Il y a aussi cette vérité qu'un homme, dans la condition de Ben, au moment où il nous est présenté, ne pourrait jamais commencer quelque chose de sérieux sans payer pour. Il ne peut être aucunement attirant pour personne amoureusement, dans les derniers stages de son alcoolisme.

On sent la profondeur du mal et l'étendue des gens qui connaissent son mal quand il se rend dans un bar pour demander à un ami pour un prêt, que ce dernier lui fera, en lui disant "Ne le bois pas ici, svp". Les yeux qui pointent ailleurs des "proches" et la distance naturellement creusée par les alcooliques graves est bien dessinées dans l'arc narratif. Ben a perdu sa famille, on le voit aussi se faire virer par son travail. Il est en mission pour boire l'entièreté de sa généreuse prime de départ. Il dit ouvertement vouloir la boire à mort.

Cage livre une grande performance d'homme en train d'imploser. Cage traine le personnage en enfer. Il y a une scène, à la banque, où il n'arrive pas à signer un document car sa main tremble de manquer de sa dépendance. Il s'en sort. pour expliquer son tremblement, en disant à l'employée de banque inquiète, qu'il vient d'avoir une opération au cerveau. On sent le charme qu'il a peut-être déjà eu par le passé car lorsqu'il est viré, son patron le fait avec affection. Mais même ces moments de tendresse sentie ne sont généralement pas des moments de plaisirs pour les alcooliques mais plutôt de temporaires libérations de la douleur. 

Sera est présentée sous 3 angles. Comme Ben la voit, comme son pimp et ses clients la voit, et on la voit en session de thérapie. Julian Sands est un formidable choix dans le rôle du pimp. Elle est la dernière personne sur laquelle Ben serait capable de se concentrer. Il ne veut pas de sexe avec elle, il veut vivre "une expérience". Il la désire d'un amour pur qui ne souhaite que gratitude.  
Ben & Sera sont mutuellement touchés l'un et l'autre par un même endroit de souffrance intérieure. 

Pour Sera, la douleur reste plus vague. Il s'agit plutôt d'errance et d'égarement sentimental. On la sait auto destructrice. On le sait tout de suite quand elle a comme client 4 étudiants, athlètes, toxiques et saouls et dans ce qu'elle accepte de sa relation avec son pimp. Sera est empathique et sympathise avec Ben. Elle semble le regarder avec admiration dans son entreprise d'auto-destruction ultime. Serait-elle capable de la même chose ? Elle a déjà été pure et innocente, c'est loin derrière, mais c'est aussi ce qui l'empêche de tout abandonner, elle-même. Elle est fascinée par une habileté de courage malsain. 

Bien entendu il pourrait être sauvé, par un entourage ou par les Alcoolique Anonymes créés dans ce but précis. Mais plusieurs alcooliques n'ont pas cette envie de sobriété. Sera lui demande si boire est une manière de se tuer. Il lui répond, éméché fataliste, par la question "est-ce que me tuer est une manière de boire ? "

"Tu ne peux jamais me dire d'arrêter de boire, tu comprends ?" lui dit-il comme entente commune dès le début. "I do, I really really do" signe-t-elle de sa douce voix complice. Comme prostituée à Vegas, elle a vu des clients de toutes sortes. Des gens intoxiqués par dizaines. Mais elle confesse en thérapie ne jamais avoir croisé d'alcoolique en phase terminale comme lui. 

Figgis fait tourner son caméraman Declan Quinn en 16 mm, gonzo style. Il n'a demandé aucun permis et a filmé partout à Vegas dans la chaos de la ville des jeux. 

Celle que nous habitons depuis hier. Et ce, jusqu'au 15 mars prochain. 

Ben ne veut pas de fin impulsive, mais une lente souffrance. 

Mais le film de Figgis n'est pas souffrant avec sa caméra active qui nous donnes l'impression d'être dans la jungle de Vegas. Ironiquement, pour souligner le talent de la meilleure actrice en 1995, c'est Susan Sarandon qu'on récompensera, également dans le rôle d'une accompagnatrice vers la mort

Ceci étant dit, ici, à Vegas, on est plus que raisonnable. (envers le jeu...)

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