Le décès de Bob Saget, dimanche dernier, a été un choc et une surprise.
Il a été retrouvé sans vie dans une chambre d'hôtel, ce qui n'est jamais bon signe, à seulement 65 ans. Et il avait tweeté, après un spectacle sur scène, "Adoré le show de ce soir, public appréciable...consultez http://BobSaget.com pour mes dates en 2022".
Il était d'ailleurs très touché par les faiblesses et les morts autour de lui. Et il y en a eu beaucoup. Ses deux soeurs, ses deux parents, son meilleur ami, Norm MacDonald, en septembre dernier. Mort dont il ne semble jamais avoir vu venir le jour. Et ne jamais se remettre non plus. MacDonald était pourtant facile à anticiper mourir. Il était cancéreux depuis longtemps et fondait à vue d'oeil. Mais Saget se trouvait en déni. Et MacDonald ne jasait pas de la chose. Saget n'a cessé depuis l'automne de parler de son deuil de MacDonald. Partout. Sur scène, en entrevue, en talk show, en podcast. En Oregon, il a invité son public à applaudir son ami disparu et a admiré l'ovation de 5 minutes qu'on lui (leur) a donné. Trois jours avant sa mort, il avait dit en entrevue qu'il se concentrait à garder son ami Artie Lange, qui a par deux fois tenté de se supprimer du monde, en vie. Mais avec son tweet, il ne semblait pas particulièrement inquiet par rapport à lui-même.
Au sommet de sa carrière, la rumeur voulait qu'il ait un sombre jardin secret. La personnalité publique montrait un homme qui semblait si gentil (et il l'était) presqu'un garçon, un père aimant, un petit frère. Quand il animait America's Funniest Videos (c'était avant Youtube) ou quand il incarnait le père Danny Tanner dans Fullhouse, on avait une impression de transparence absolue. On avait l'impression de voir le vrai gentilhomme parfait. Son sourire était sincère. Mais sur scène, le même homme pouvait être plutôt sale. Il trempait même dans le vulgaire. Il l'inspirait aussi parmi ses amis. Il avait été étiquetté "le roi des aristocratiques" tellement il semblait porter un masque. La blague était connue, si on voulait faire un gag à contre-courant, on suggérait dans un segment de comédie que Bob Saget n'était pas cet ange que tout le monde semblait connaître. Et Bob participait au gag très volontairement. Si il n'avait pas une double vie claire, il avait une double image amusante.
Étais-ce une fausse révélation de penser que Saget, sombre et plein d'ombres, était le vrai Bob, et que le masque était le père dans la sitcom ou l'animateur sobrement comique? La vérité semble aussi compliquée que la Covid. Le documentaire de Penn Jillette, The Aristocrats, justement, révèle un côté inconnu de Saget. Mais qui a vu ce documentaire? Ce qui transparaissait du personnage, même dans ce clip, c'est à quel point il semble important pour lui d'être un bon ami pour son entourage et à quel point, il aime le soigner cet entourage.
Surtout autour de son ami disparu Norm MacDonald. Auto-proclamé workaholic, Saget travaillait sans relâche sur une suite au film de MacDonald de 1998, Dirty Work (que Saget avait réalisé). Il avait terminé le scénario du film et avait même obtenu l'aval et les conseils de Norm MacDonald avant sa mort. Quand en novembre on a demandé à Bob Saget ce que ça valait de travailler sur un projet comme ça si il était certain qu'il ne verrait jamais le jour, Saget a répondu que ça lui était égal, tant que MacDonald pouvait le lire et en rire, c'est ce qui avait compté pour lui. Ce qui était important pour lui était de "connecter" avec MacDonald, un homme reconnu comme presqu'impossible avec lequel se lier d'amitié.
"Écrire une suite de film pour un homme qui se meurt de la leucémie n'est pas un geste intelligent" lui disait son ami Artie Lange. C'est un geste généreux semblait lui répondre Saget. Et les deux pensaient vraiment battre ce cancer. Quand Norm est parti, Saget encaissai à la fois une mort. une défaite et une trahison. Et quiconque connait MacDonald sait qu'il était un passionné gambler. Et que là aussi, il faisait un pari. Probablement avec Bob. Mais là aussi c'était faux. MacDonald jouait tout seul. Il avait gardé le secret du sérieux de sa maladie. Ou était, lui aussi, en déni. Saget dira de lui que sans se parler, les deux pouvaient se comprendre dans une pièce pleine de gens. Bob a perdu la moitié de lui-même en septembre dernier.
Voulait-il continuer de vivre à moitié? On ne sait toujours pas de quoi il est mort. Mais on le sait probablement aussi. On ne voudra pas brouiller l'image de cet homme aimé de tous en Amérique du Nord en suggérant le suicide. Il se suggère tout seul dans sa chambre d'hôtel, de toute manière. Moi je préfère penser qu'il est tout simplement mort de peine. C'est possible de mourir de peine.
Dans un de ses derniers échanges, avec le troublé Artie Lange, il lui disait (comme il avait dit à Norm) "I love you, I always love you. I always reach a lot, you know that. And you stay silent and I get it. So I have to give you, your space." Lange avait fort probablement les yeux vitrées d'eau en studio, à la radio.
Ne pas savoir de quoi est décédé Saget serait aussi lui laisser son espace à lui.
Lange dira de Dirty Work que c'était un film comme Poltergeist. Sur lequel un sort avait été jeté contre ses interprètes.
Jack Warden, Norm MacDonald, Chris Farley, Don Rickles n'étaient plus de ce monde. Ce à quoi Saget a encore dit en quelque sorte "I love you" en répondant : "But we've got you!". Rajoutant aussi "You better stay alive!"
Promesse qu'il n'a, ironiquement, pas tenue lui-même, dimanche dernier. Contre toute attente.
C'est un homme qui tendait toujours la main qui a quitté notre monde dimanche dernier.
Un Homme ensoleillé mais plein d'ombres aussi.
Il laisse dans le deuil trois enfants, son épouse, Kelly Rizzo, et des millions de frères et soeurs en Amérique du Nord.
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