Quand Stanley Kubrick a associé la musique de Beethoven à la violence dépravée dans A Clock Work Orange, en 1971, le public était outré.
Stan était si innovateur au cinéma, que le terme "Kubrickien" est devenu synonyme d'anachronisme musical et de mouvements fluides qui rendaient son cinéma si intéressant.
Des hommages, des parodies, des clin's d'oeil, de scènes cultes de ses films sont devenus récurrents au travers des temps. Tarantino, Romero, Lynch ou Scorsese en sont de brillants disciples. Et l'influence de Kubrick sera éternelle.
Qu'est-ce qui faisait son succès?
Ouvrons l'oeil.
-Une perfection maladive (pléonasme).
Il était fameusement reconnu pour son perfectionnisme. Son obsession pour mettre à l'image les détails les plus précis, nécessitait de longues recherches et exigeait une somme considérables, vraiment considérable, de nouvelles prises de la part de ses comédiens/comédiennes. Ça parle beaucoup au traducteur que je suis, où la précision est la pierre angulaire de l'art du métier. Son oeil aiguisé a créé des décors cultes.
Les chaises rouges éclatant, Djinn, très modernes, dans la station spatiale de 2001: A Space Odyssey.
La scène éclairée exclusivement par des chandelles dans Barry Lyndon.
Jack Nicholson qui a fait plus de 60 prises d'une même scène, en venant à improviser, une fois, une parodie du "Here's Johnny!" du Johnny Carson Show, dans la prise qui sera finalement gardée au montage dans The Shining.
Nicholson demandait après les prises:
"C'était bon Stan?"
Ce à quoi il répondait sans faute:
"C'était parfait, on la refait".
-Un bon timing.
Kubrick a été assez chanceux pour sévir à une époque où une nouvelle audace Hollywoodienne se pointait le nez. Une nouvelle génération de cinéastes, bientôt largement éduquée, ce qu'il était, beaucoup, ne serais-ce qu'à l'école du cinéma en salle, allait injecter une fraîche dose d'énergie dans l'industrie du cinéma d'Amérique en prenant des risques et en ayant un penchant pour la jeunesse rebelle. Dans A Clock Work Orange, il plonge dans la délinquance post-adolescente, la plaçant en confrontation face aux expériences extrêmes du contrôle de la pensée, alors que le gouvernement tente de sonder l'insondable sociopathie d'Alex, coupé dans ses élans de criminalité outrancière. Une violence stimulée par, autre anachronisme: un drink à saveur de lait drogué dans un dystopien UK. L'extrême violence, jusqu'alors sans réel précédent aux États-Unis (le film tourné en Angleterre par l'Étatsunien) avait alors causé un gigantesque scandale. Ce qui n'en fait pas moins un film IMMENSE pour le cinéma.
-L'humour le plus noir.
SK mettait face à face souvent les plus grandes peurs sociétaires. C'est dommage qu'il ne soit plus des nôtres, il aurait fait du règne de Trump un champ de bataille. Il attaque les peurs et les frayeurs et le fait dans l'humour. Comment a-t-il pu s'en tirer en tournant, en 1961, l'histoire d'un adulte tombant en amour avec une mineure? Dans l'humour! Dans Dr.Strangelove or How I Stop Worrying & Love The Bomb, il se moque de la Guerre Froide et de possibles attaques nucléaires. Il se moque de la testostérone et peint une image des Russes aussi grotesque que parfois juste. Kubrick disait d'ailleurs qu'un bon satiriste était quelqu'un de très sceptique de la nature humaine, mais qui trouve tout de même le moyen d'en rire.
Ça aussi, ça me parle vraiment. On a qu'une seule vie, faudrait pas la pleurer en entier.
-L'envie de parler de troublants désirs.
L'affiche de Lolita disait, dès 1962, "How did they make a film of Lolita?", puisque que le livre de Nabokov, racontant la passion d'un enseignant à l'égard d'une jeune mineure, était connu depuis longtemps. En atténuant largement les aspects sexuels les plus évidents et en plongeant dans la suggestion et l'évocation, dans la subtilité (Ces oiseaux en cage sur les peintures des murs), il a pu se jouer de la censure absurde des années 60, aux États-Unis. La transgression sexuelle apparaît à quelque reprises dans l'oeuvre de Kubrick. Dans Eyes Wide Shut, son extravagant dernier effort sur images, il nous plonge dans une famille bourgeoise, dans les fantaisies de leur univers, dans la décadence jalouse, dans l'occulte d'une société parallèle, dans la nuit noire de Manhattan, l'espace d'une seule nuit, en direction de Noël. Parlant échangisme, infidélité, soumission sexuelle, prostitution et proxénétisme.
-L'adaptation de matériel déjà écrit.
Stanley aimait écrire, mais aimait mieux encore adapter. Il adaptait Clean Break de Lionel White pour The Killing. Il adaptait Humphrey Cobb pour Paths of Glory. Nabokov pour Lolita, adaptait Red Alert de Peter George pour Dr. Strangelove, écrivait avec Arthur C. Clarke pour 2001: A Space Odyssey, adaptait Anthony Burgess pour A Clock Work Orange, s'inspirait de The Luck of Barry Lyndon de William Makepeace Thackeray pour Barry Lyndon, adaptait Stephen King pour The Shining, adaptait The Short Timers de Gustav Hasford pour Full Metal Jacket, partait de Traumnovelle d'Arthur Schnitzler pour créer Eyes Wide Shut.
Quand un univers est déjà clairement (ou pas) établi ailleurs, le moteur de la créativité et les pulsions imaginatives sont plus faciles à faire naître.
Dans le cas de Stanley pour le mieux.
Alors pourquoi Kubrick?
Parce qu'il aura frôlé l'inatteignable perfection.
Le formidable film 2001: A Space Odyssey a cette année, 50 ans.
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