Le dernier film de Clint Eastwood, 87 ans, est comme une mauvaise anecdote, racontée par un grand-père qui aurait mal vieilli.
Il s'agit d'une fable réactionnaire aussi étrange que si Josey Waley était apparu sur grand écran, maquillé de blanc, se faisant passer pour un mime.
L'histoire est simple. Et presqu'entièrement vraie. Ce qui suit est vrai: Le 21 août 2015, un désaxé marocain, Ayoub El Khazzani, est monté dans un train en direction de Paris, qui quittait vers Amsterdam. Dans la salle de bain, il a enlevé son t-shirt, et a brandit une arme d'assaut, un pistolet et un couteau. Avec près de 300 balles sur lui, il a fait son chemin dans un des wagons. Un Étatsunien, naturalisé français, Mark Moogalian, lui a soutiré une de ses armes. Khazzani lui a tiré dessus avec le pistolet. Il a aussitôt repris son arme et a visé un Étatsunien, militaire en vacances, Spencer Stone. Mais l'arme d'assaut a barré. Stone et deux de ses amis voyageurs, Alek Skarlatos et Anthony Sadler, on sauté sur Khazzani, l'ont maintenu au sol, battu avec la crosse de son fusil, et attaché. Stone a été lourdement coupé dans la bataille. Il s'est tout de même rendu au chevet de Moogalian qui était plus mal en point encore, saignant beaucoup du cou. Le train s'est arrêté à Arras, la police française a investi le wagon. Khazzani leur a été livré. Les paramédics se sont occupés des blessés. Personne n'est mort. Moogalian, le plus mal en point (photo)
Dans ce train se trouvait le comédien français Jean-Hugues Anglade qui avait critiqué l'équipage qui s'était enfermé dans le cockpit, empêchant les passagers de s'y réfugier aussi, dont lui et sa compagne.
C'était toute une histoire en août 2005, qu'on a beaucoup relayée dans le monde à l'époque. Mais pouvait-on faire 94 minutes d'intérêt sur un événement de 4 à 8 minutes? Semblerait que oui, si vous vous appelez Clint Eastwood.
Avec l'aide de la scénariste Dorothy Blyskal, on a usé de nombreux flashbacks "explicatifs". Au moment où l'attaque menace de se produire, on atterrit en 2005, à Sacramento, où Stone et Skarlatos, bons amis, sont convoqués au bureau d'un directeur d'école, avec leurs mères, pour se faire dire que leurs enfants ont des troubles de l'attention. On sent qu'on veut planter l'idée que ce que l'on reprochait aux deux jeunes hommes, sera justement ce qui en fera des héros plus tard: leur côté alerte.
Transférés dans une nouvelle école, il feront la rencontre de Sadler qui formera le trio d'amis. Stone l'impressionne avec sa collection de fusils-jouets, et ils vont tous jouer à guerre. Projection encore de ce qui en fera des héros plus tard, de futurs militaires, essentiels à l'équilibre sociétaire (oui, comme Chelsea Manning, Clint, ferais-tu un film sur Chelsea Manning?).
Cette passion pour la survie armée est aussi le message lancé par Eastwood. Grand ami de la NRA et des militaires.
Dans American Sniper, un film d'Eastwood touchant sensiblement les mêmes thèmes, on pouvait y faire deux lectures faciles. La première était un simple brandissement caramélisé du drapeau des États-Unis, la seconde était celle d'un soldat goûtant à sa propre médecine.
Ce qui transpire du nouveau film de Clint, c'est qu'on y raconte des héros Étatsuniens, en vacances, sauvant pour la xème fois, les pauvres culs des Français, toujours du côté des victimes de quelque chose duquel ils ne savent se sortir du pétrin tout seul. Stone, Sadler et Skarlatos ont effectivement sauvé bien des vies. Et ont été des héros, aucun doute là-dessus.
Mais le film reste un ovni. Il y a bien quelques acteurs de métier dans le film. Jenna Fischer, découverte dans The Office, U.S., Judy Greer et quelques autres. Mais les principaux protagonistes adultes, Mark Moogalian, Spencer Stone, Anthony Sadler, Alek Skarlatos, se jouent eux-mêmes. Moogalian, acceptant étrangement de jouer son agonie, le doigt sur le trou dans sa gorge, pissant du faux-sang, comme pour exorciser (en revivant) sa presque mort. Néo-ciné-thérapie. Sa vraie femme, Isabelle, le pleure, les yeux dans les yeux, et l'implore de vivre. Le vrai parmédic qui l'a soigné se pointe et le soigne en lui donnant de la fausse morphine.
Ce n'est pas un précédent puisqu'on avait convaincu Audie Murphy, en 1955, héros de la Seconde Grande Guerre, de se jouer dans un film sur le conflit. Et ce fût alors un gros succès. Pélé, la légende de soccer, s'était aussi joué sur un film racontant sa vie. Dave Hanson (bien que non bagarreur), joueur des Jets de Jonestown, jouait un des trois frères Hanson dans Slap Shot.
Eastwood montre la vraie remise de médaille du Président François Hollande à Stone, Sadler et Skarlatos. On les voit se réveiller le lendemain matin, absolument lendemain de brosse, après une nuit chez les femmes faciles, fausse ou vraie. Rendu là, on s'en moque, ils ne sont pas de grands comédiens, on les prendra comme ils viennent, ces héros.
Ce qui pourrait sauter aux yeux, c'est tout ce que ce film aurait pu être avec de vrais comédiens.
Et que dire de l'absence de mention de l'anglais Chris Norman, qui a aussi eu la légion d'honneur en même temps que les autres, puisqu'impliqué dans la soumission du scélérat, et qui n'avait rien d'un athlète, ce qui le rend plus vénérable encore, selon moi. Ou le banquier français qui a tenu à rester anonyme et qui fût le premier à sauter sur le malfrat? Deux autres français ont aussi reçu la légion d'honneur pour ce jour-là, mais on en parlera pas.
Et Ayoub El Khazzani? le marocain au coeur de cette histoire? Clint nous montrait deux côtés de la médaille dans les beaucoup plus nuancés Flag of our Fathers et Letters From Iwo Jima. Khazzani était issu de quel tissu social? Était-il un fan des armes comme Spencer Stone? Était il aussi imprégné de foi en Dieu comme Stone et ses amis? Ne croyait-il pas répondre du bien comme Stone et ses amis?
Pour des raisons évidentes, Khazzani ne s'est pas joué lui-même dans le film.
Clint, a joué au créateur de héros*.
Sauvés par un fusil barré.
Et une éducation militaire.
94 minutes de pudding à la fierté.
Pas pour toute les diètes.
Pour obèses.
En salles depuis le 9 février.
*Ce qui est aussi le rôle d'un cinéaste.
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