Je n'ai pas beaucoup été témoin de la mort.
Du moins je le pense.
Je m'en sens privilégié.
J'ai vu la mort dans l'oeil 3 fois. Et depuis pas longtemps.
La première fois était peut-être la deuxième. Je ne sais plus ce qui s'est produit en premier.
Peu importe disons décembre 2009: mon père.
Je l'ai vu étendu sur le dos, la moitié de son équipement de joueur de hockey au bas du corps et ses épaulettes coupées au ciseau. Son oeil avait la pupille parfaitement dillatée. Ses yeux n'avaient jamais eu cette couleur. Il n'y avait définitivement plus de vie dans son regard. Ma mémoire a presqu'aussitôt effacé ces dernières images de mon père par pudeur. Et pour étouffer la douleur.
La seconde fois, c'était sur le net. C'était différent cette fois. Il y avait d'abord la vie: la jeune femme qui marche aux côtés de son père dans des manifestations au milieu d'une foule. C'était en Tunisie ou en Égypte je ne sais plus. C'était le printemps Arabe en tout cas. Je ne tiens pas à être trop précis sur quand et où, je ne tiens pas à vous envoyer aux images.
Il y avait donc, la vie.
L'insouciance mais la vie. Puis un bruit de tir au fusil, des cris, la cohue, on s'y perd dans la chaos, les images deviennent confuses et on entend de plus en plus de cris, puis les gens se poussent et on découvre cette même jeune fille aperçue auparavant, étendue sur le dos, avec le corps qui fait des soubresauts au rythme du déversement d'une flaque de sang qui s'élargit derrière sa tête. Elle a les yeux ouverts et on voit clairement le passage de la vie à la mort dans son oeil.
Troublant.
Dérangeant.
Traumatisant aussi.
Je le revis en vous l'écrivant me gardant bien de ne pas mettre de lien. C'est très facile à trouver sur le net de toute façon. Mais je ne vous le conseille pas.Traumatisant je vous dis. Alors ne faites pas exprès pour vous déranger les sens.
Et la troisième fois, c'était le mardi suivant l'attentat du Marathon de Boston. J'attendais mon tour chez le coiffeur et je feuilletais le journal du jour. En page 2 il y avait cette photo des dégats. Et cette fille, couchée sur le dos...les yeux...ce regard...cette pupille...j'ai tout de suite su. Elle était bien morte sur cette photo. Les yeux grands ouverts, paralysés par l'incompréhension et la stupeur, mais ce regard ne trompait pas. D'autant plus que sur la photo, un secouriste lui prend le pouls. J'ai essayé de chasser cette image de ma tête mais le dimanche suivant, on me montrait à la télé le visage de l'une des trois victimes et je la reconnaissais. J'ai même été revoir la photo sur le net et l'ai encore reconnue sur le dos, les yeux tournés vers le ciel qu'elle allait rejoindre.Chrystle Campbell, fauchée en plein élan.
Je ne sais pas pourquoi j'ai tenu à aller valider ce que je croyais avoir vu en page 2. Je suis toutefois certain que les éditeurs du journal ne savaient pas qu'ils exposaient une morte en page 2 ce jour-là. Elle a les yeux grands ouverts. Mais c'est définitivement le regard de la mort.
J'avais donc cette sacrifiée en tête quand, en pliant du linge, j'ai choisi d'écouter pour la première fois
Dérapages de Paul Arcand. Le film passait en soirée à la télé et ça m'a rappellé que je l'avais acheté pour 399 cennes noires au club vidéo. Je l'ai acheté pour l'écouter avec mon fils qui conduira peut-être dans 3 ans. Mais là je me suis offert une avant-première tout seul. Sans pauses commerciales. En après-midi.
Et là je suis devenue une madeleine. La première moitié de l'inégal documentaire m'a achevé. J'ai pleuré comme j'avais oublié que j'en étais capable. Incontrôlablement. Je m'étais fragilisé avec les images de Chrystle Campbell et je me transformais en lavette avec Dérapages en pliant du linge.
100% viril.
J'ai relavé une débarbouillette.
Le film est loin d'être parfait mais il a aussi beaucoup de vertu.
Un effet dissuasif assuré.
J'ai hâte de le réécouter avec Monkee.
Parce qui si ils ne comprennent pas qu'ils auront un jour entre les mains une potentielle machine à tuer avec ces témoignages...
J'ai choisi au visionnement de ce film de me porter 100% disponible à chaque sortie de mes kids un jour pour être leur chauffeur à l'allée comme au retour si il le faut.
Parce qu'il y a des regards que je ne veux plus voir.
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