(Adapté de Tommy Faile)
J'étais sur la côte est. Tentant de faire un peu d'argent comme tout le monde. Mais je prenais le pire moyen pour y arriver. Je chantais, la guitare acoustique accrochée au cou dans les bars. Sexe bleu et liqueurs douces oui, odeurs de rousse aussi. Mais vide total et pas un sou qui m'adorait.
J'étais entre Gaspé et nulle part et j'avais décidé que je revenais chez moi. Mais si j'avais pu compter sur une âme charitable pour me mener dans le trou où j'étais, j'étais sans moyen de transports pour retourner à Montréal. Sans moyens tout court pour dire vrai. Tout juste une dizaine de dollars que je me réservais pour un drink ou deux en chemin. Je faisais du pouce le long de la route.
J'avais calculé, avec la circulation plus ou moins constante, qu'en une semaine je pourrais finalement être chez moi. Dormir à la belle étoile ne me faisait pas peur. Et manger...c'est jamais complètement essentiel pour les drogués comme moi.
À la troisième nuit, j'avais froid et je me sentais seul. La pluie s'est mise à tomber et là c'est vrai, j'avais faim. Pas une voiture à l'horizon depuis des heures. L'horreur. Puis soudainement, deux yeux au loin. Des lumières de voitures qui promettaient au minimum un passage. Je me retourne, tend le bras pour indiquer que j'aimerais bien un petit transport. Miracle! la voiture ralentit et m'ouvre la porte du passager. Une vieille Buick 1976 comme je croyais qu'il ne s'en faisait plus. Chaude et confortable pour reposer mes jambes et me sécher un peu. Au volant: Un gros homme qui insiste pour que je l'appelle Gros Jeff. Facilement 230 livres. Il serait des États-Unis que je l'aurais cru. Mais non. Il arrivait de je ne sais où et pouvait me ramener un bout de chemin.
Je lui ai raconté mes histoires, il m'a raconté les siennes. On aurait dit un homme qui n'aurait jamais voulu connaître le monde passé les années 70. Un vrai nostalgique. Il m'a offert plusieurs cigarettes et quelques snacks qu'il avait dans la voiture. Des choses dont je n'avais jamais entendu parler mais qui avaient bon goût. J'avais si faim. Quand on était gros comme lui, on devait avoir tout goûté et vouloir varier, je suppose.
Rendu un peu plus loin, il ralentit, s'arrête, me dit qu'il doit me laisser ici, à une intersection. Il me propose que j'ailles prendre un café chaud en son nom au snack bar où il me laisse. Je pense plutôt à une bière et lui promets de le faire.
Dans le café, je m'installe au bar, m'allume un clou de cercueil et commande ma bière. Quand j'annonce que c'est gros Jeff qui me suggère de prendre un verre et de mettre ça sur son bill, le serveur se retourne vivement vers moi et me demande de répèter son nom.
Ceci impose un silence chez toute la clientèle de l'endroit.
"Tu as bien dis Gros Jeff?"
"ou...oui...pourquoi? Il n'est pas aimé ici? il vient de gracieusement me transporter sur presque 125 kilomètres dans sa Buick Century 1976"
Là le serveur est passé de tendu à plus confident. Il s'est penché vers moi en me servant ma bière et m'a dit:
"Tu sais quoi? Laisses-moi te raconter ce qui s'est passé cette semaine il y a 35 ans...Oui ça fait bien 35 ans cette semaine que c'est arrivé. Gros Jeff conduisait sa Buick Century 1976 quand il est arrivé à une intersection, celle d'en face tu vois? Un autobus scolaire avait laissé des enfants sortir et ils traversaient la rue. Gros Jeff arrivait par la gauche et ne pouvait pas voir qu'il y avait des enfants qui traversaient au beau milieu de la rue. Il fonçait vers eux et quand il a vu les enfants, il a choisi de lancer sa voiture dans le ravin juste là. Il est mort au volant de sa voiture en sauvant la vie de 7 enfants. Mais tu vois, de temps à autres, il se trouve quelqu'un faisant du pouce pour dire qu'il vient de voyager en compagnie de Gros Jeff"
"Mais je..." et je notai qu'il y avait un miroir géant en bordure de l'intersection permettant de voir sur la gauche en cas de gros moyen de transport bloquant la vue. Il y avait aussi une croix sur le terrain en face, en mémoire de Gros Jeff j'imagine. Il y avait le chiffre 7 afin de rappeller à tous qu'il avait sauvé 7 vies il y a 35 ans.
"Mais j'ai vraiment été conduit jusqu'ici par Gros Jeff..." ai-je finalement dit.
"Je sais, dit le barman, prends cette bière, c'est la maison qui paie, Gros Jeff protège la vie, désormais"
Je ne suis pas devenu plus riche depuis.
Mais j'avais redéfini l'expression âme charitable sur la route de la Gaspésie.
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