lundi 25 juin 2012

Un Été Sans La Voix De Jacques Doucet

Grave et tranquille était la voix de Jacques Doucet.

Elle l'est toujours.

Quand nous étions jeunes, 1977, 1978, 1979, 1980, mes deux parents, enseignants, ramassaient les trois enfants et nous quittions toujours le permier mois d'été en camping. Il y avait forcément toujours quelqu'un qui avait sa radio ouverte en permanence sur un match de baseball des expos de Montréal. La route sonore s'annonçait par un faux-silence: un bruit de foule qui murmure attendant l'action. Car au baseball, l'action est lente. Le commentateur peut se permettre de longue pause sans raconter quoi que ce soit. Puis on entendait cette voix suave qui venait nous situer dans l'espace:

"  3 et 1, deux retraits, 6ème manche, l'offrande de Donnie Moore à Valentine..."

Trame sonore de mes étés, la voix de Jacques Doucet était la voix du chauffeur de train de 1976 à 1984. Quand nous ne l'écoutions plus dans le camping, on l'écoutait dans la voiture. Le soir quand on se couchait, on entendait quelques fois de la tente un match tardif à Houston, San Francisco ou San Diego. C'était la musique de la mer qui nous endormait, c'était la voix de Jacques Doucet.

"L'américanité en beau français" disait de lui Serge Bouchard, un autre qui a la voix qui ne fléchit pas.

Le baseball était une religion murmurée. Un sport pastoral, poétique et bucolique. Sur 180 matchs, on ne les suivait pas tous religieusement. Mais une fois sur quatre on avait un match plus coloré que les autres, qui nous gardait vissé à notre hot-dog près du transistor. Des fois on ne savait même pas d'où venait le son ou qui diffusait le match et on s'assoyeait carrément là d'où on l'entendait le mieux. Tant qu'on l'entendait. Tant qu'une combine Speir-Scott-Cromartie pouvait faire un double jeu. Tant que Lea, Rogers ou Gullickson pouvaient contrôler la très sérieuse attaque des Phillies du monticule. Tant que Carter pouvait coincer les rapides Cards au deuxième but. Tant que Jacques pouvait nous raconter tout ça. En stimulant notre imaginaire.

Je n'ai joué que deux ans au baseball mais j'avais toujours la balle. J'étais receveur. À cause de Cincinnati. À cause d'un joueur fini, Johnny Bench, qui, même si il avait un nom de réserviste*, était un joueur dont mon père me disait beaucoup de bien. De plus, il avait l'air si cool sur ses anciennes cartes des années 70 avec ses yeux verts champs gauche et qu'il était "catcher" comme moi. Précieux souvenir que celui d'avoir assisté, l'été 1980, à un programme double Los Angeles/San Francisco au Dodgers Stadium. On avait acheté les deux casques de receveur des deux équipes. J'ai encore celui des Giants.

Précieux souvenir aussi que cette série de la saison écourtée de 1981 où Montréal était tombé dans le carré d'as, éliminant les Phillies dans des matchs toujours plus intenses avec des fins de manches tout pleins de Phillies en position de marquer tout le temps. Douleur quand Monday allait éliminer tout ça d'un élan.

Puis, comme si une équipe canadienne n'avait pas le droit d'être aussi forte dans le sport national des ricains, 1994, avec une équipe comme on en verra plus. Les Expos avaient gagnés 20 de leurs 23 derniers matchs, ils étaient non seulement les meilleurs de la ligue nationale mais aussi les meilleurs de tout le baseball. Tom Glavine, au sommet de son art comme lanceur des Braves d'Atlanta, qui disait qu'il ne voyait pas comment Montréal, qui non seulement ne cessait pas de gagner mais qui s'améliorait de matchs en matchs, pourrait ne pas rafler les grands honneurs. 1994 et une grève qui a assassiné le sport à Montréal à jamais.

Walker, Wetteland, Grissom, Martinez, Alou, White ils sont tous aller gagner ailleurs. Nous avions alors les meilleurs. Et le meilleur commentateur.

Nous avions l'impression d'être dans la confidence d'un secret, un secret si important qu'il a respecté la logique des secrets, il s'est éteint tout seul. Le club a disparu.

La voix de Jacques Doucet est devenue plus confidentielle à Québec commentant les matchs des Capitales. Après 36 ans à être la voix des Expos. Si j'habitais encore à Québec, j'écouterais peut-être les matchs juste pour entendre sa voix à nouveau. Je me prépare à un autre été sans la voix de Jacques Doucet car j'habite Montréal.

Les gens du temple de la renommée du baseball sont beaucoup trop médiocres, assurément incultes, pour savoir que Jacques Doucet a sa place au temple de la renommée des artisans du baseball.

Mais nous, nous savons.
Nous sommes dans le secret.
Chuuuuuut...

*Rollie Fingers, un excellent lanceur, avait en revanche tout à fait le nom de l'emploi.

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