samedi 19 septembre 2020

Passager & Négligeable


Il va s'en dire, nous le sommes tous sur cette terre.

Les initiés savent à quel point c'est vrai pour moi, martien undercover prenant des notes à ramener un jour aux bonzes de sa vraie planète. 

Là d'où je viens, la bonté humaine est innée et non sujette à exploitation. Mais il y a des comportements que je n'arriverai probablement jamais à expliquer aux gens de ma planète.

Certains codes, entre autre. Comme ceux de l'amoureuse qui est capable de dire des choses comme "Non, une fondue au fromage, ce n'est pas un repas du dimanche soir". Pardon? Aucun soir de la semaine n'est promis à un certain type de repas. Une fondue au fromage, un hot-dog, du blé d'inde, c'est bon quand t'en as envie. C'est tout. Je ne comprends pas ce type de barrage mental.


Je ne pourrais pas expliquer non plus comment un animateur de télé, Billy Bush pour ne pas le nommer,  se fait limoger parce qu'il a ri à la phrase "Sometimes my way to get a beautiful girl is to grab'her by the pussy" tandis que celui qui l'a dite,  alors un aspirant président, reste intouchable. Encore cette semaine, pour la xème fois, une ancienne mannequin a dénoncé un assaut dont elle aurait été victime de la part de ce même homme. Pas un viol, même si il y aurait eu agression et dépravation presqu'animale contre son corps non consentant pendant quelques secondes trop longues. Et désir sexuel non réciproque. On ne sait trop comment appeler cela quand on tente de forcer sa langue dans la bouche de l'autre, disons, une intrusion illégale et non souhaitée, mais l'homme qui dirige le pays d'en bas, traite la Femme comme un accessoire de comptoir.  C'est la seule conclusion que je peux en tirer pour fin d'analyse pour les gens de ma planète. Pour mes dossiers, le sujet est limpide, je vais bientôt cesser de parler du président des États-Désunis. Il se résume en une seule phrase: Sur la peau de la surface terrestre, le président des États-Unis est une plaie infecte ne pouvant pas s'améliorer. 


J'ai vécu un petit épisode identitaire cette semaine. 

Dans mes tâches de réparateur, livreur de bacs de recyclage/déchets/compost, j'ai pour fonction de justement faire cela: livrer ou réparer des bacs de recyclage/déchets/compost. Rien d'autre. Ce n'est pas un concept facile à comprendre pour les gens (beaucoup trop) à la la maison quand je passe . Je n'ai jamais à les rencontrer. Ma relation est entre le bac et moi. Ils n'ont rien à signer, je sors ce qu'il faut pour réparer le bac, le répare, le change, reprend le fendu, car on est une compagnie de recyclage, et refait mon chemin. Vous vous levez après votre café du matin et regardant par la fenêtre vous vous dites "Ah! tiens! on a maintenant des roues sur notre bac!". Je suis la surprise du matin ou de la fin de journée. Je ne m'attends pas à vous voir de jour. Normalement vous travaillez. 


Normalement...

Mais rien n'est actuellement normal. Vous êtes trop disponibles. Et mesdames de certains arrondissements de Montréal, trop souvent d'origine asiatique étrangère,  je vous le dis en grosses lettres: ICI VOUS AVEZ LE DROIT DE TRAVAILLER AUSSI.  


Mercredi, j'avais une adresse où la ville me demandait de changer le bac de déchets pour un nouveau. Tout en précisant "Qu'il ne fallait pas que je touche au contenu du bac". Ça posait déjà problème. Je ne suis JAMAIS tenu de m'occuper du contenu du bac. Je m'occupe de tout ce qu'il y a autour. Quand il est fendu, la ville a pour devoir de demander au citoyen  de la garder vide car je vais reprendre le fendu. Mais quand la ville n'a pas fait ses devoirs, ou que le citoyen s'en est sacré, il arrive que le bac à reprendre soit plein. Ce n'est pas ma tâche, mais quand c'est faisable, je transvide le contenu d'un bac à l'autre. Mais je ne suis pas supposé. Si je me blesse, ce faisant, les assurances ne couvriront pas mes absences pour blessures. Nous ne sommes d'ailleurs aucunement formé pour transvider d'un bac à l'autre. On fait ça comme on peut et ça donne ce que ça donne. Souvent une rue plus sale que lorsqu'arrivé. Si le bac est troué ou largement fendu, ben ça sort de partout en transvidant. La ville/le citoyen souffrira de son manque de devoir. Oui, il m'arrive de salir les rues. 


Donc, ce mercredi, je me rends à cette adresse, où madame est franchement trop disponible. Je fais ce que j'ai à faire. Je vois son bac rongé, j'en sors un neuf, le prépare (les roues ne sont pas toujours montées) et m'apprête à transvider les quelques vestes d'hôpital dans le fond du bac brisé, dans le neuf. Mais la madame arrive en trombe et me dit "nononon monsieur, ne faites pas ça! vous devez repartir avec comme ça!"

Hein? Vous m'expliquer ma job? C'est votre version du mansplaining?

Non je ne dois pas repartir avec vos déchets. Jamais. 


"Le contenu du bac est toxique de vêtements de quelqu'un qui avait la Covid-19, les pompiers (!) nous ont dit de ne surtout pas y toucher, vous venez changer le bac justement pour ça!"

Non, madame, ai-je dis poliment, je change votre bac rongé pour un bac neuf. Mais je ne repartirai pas avec vos déchets. Encore moins si il est plein de Covid. Je l'ai placée face à son raisonnement douteux. Il serait dangereux pour vous de garder ce bac avec du matériel "covidien" dedans, mais si c'est dangereux pour moi, ce ne serait pas tellement grave? C'est ma job? are you out of your fucking mind? Qu'est-ce qui empêche madame de piler, par dessus le prétendu matériel à Covid, d'autres déchets, que le camion à déchets ramassera dans la semaine? 


"Les pompiers (!! mais quelle nuisance ceux-là, qui les as placé dans sa vie?) nous ont dit que les gens des déchets ne les reprendraient pas* et gnagnagna..."

Alors moi encore moins, très chère madame. Le malentendu a été éclairci, le bac est resté sur place. Le nouveau a été livré, et je suis passé ailleurs. J'en avais quand même 103 adresses ce jour-là et j'en était à l'adresse 6.

Mais le mal était fait. Une pastille de marde marinait en moi.


Je suis traducteur autonome aussi. C'est un métier fameusement compliqué si vous n'êtes pas lié à une agence. Je dois me vendre chaque fois, justifier mes tarifs, et surtout me faire payer. On peine à vouloir payer un traducteur. Ça semble si facile comme métier. Alors quand je donne mes prix (1 page = 1 heure, pratiquement jamais à mon avantage), on tombe en bas de la chaise. Et je charge moins que les membres de l'Ordre Des Traducteurs. Avec la pandémie, mes contrats de trad ont ralenti. C'est un métier qu'on juge consciemment ou non, négligeable. On y pense en fin de parcours. Deux mois à penser au projet, on le monte, on est fier le vendredi d'avoir fait tout ça, puis on réalise qu'ion voudra ça en anglais aussi. Pour lundi idéalement. 237 pages. Duh! Et tu ne veux pas me payer 50$ de l'heure pour un travail de pro? Bref, je ne suis pas tellement valorisé par mes clients en général. Pas que je le souhaite, j'ai assez d'ego pour ne pas avoir besoin de ça, mais bon, on associe toujours ces mots infâmes ensemble : "traducteur pas cher" ce qu'on ne dirait jamais d'un chirurgien. Je suis chirurgien des bacs. Chirurgien des textes. 

Mais là, dans mon second métier de chirurgien des bacs, on me pensait si négligeable qu'on me demandait de prendre le bac plein de covid et de m'en remplir le camion. Ça m'a trituré le mental pendant un bout de temps. Au moins jusqu'au jeudi soir. J'étais si peu important aux yeux de cette dame que je pouvais risquer ma vie à prendre pleine main ce parfum de Covid qui la hantait. J'étais aussi rebut que ses déchets à elle. Et ce même mercredi, j'apprenais qu'un couple d'amis et leur plus vielle avaient la Covid. 


De retour à la maison, je n'étais pas plus heureux. On a fait refaire le patio arrière. Un stress que je n'ai jamais voulu vivre. Il y a plein d'imperfections à fignoler. C'est eux qui viennent les refaire. Un peu tous les jours. Mon fils a un problème d'écran avec son ordi qui fait en sorte qu'il emprunte pas mal le mien pour ses cours. Avec le Cégep en pleine envol en ce moment, virtuellement, je cours mon propre ordi trop souvent. 

On change la clôture, le patio, la porte de garage des stress dont je veux pas. Donc revenir chez moi était aussi irritant cette semaine. Je me sentais comme trop souvent depuis qu'on a déménagé: passager chez moi. 


J'avais 5 films empilés** dont j'aurais au moins commencé 2 entre mercredi et jeudi tout en pianotant à l'ordi, mais je n'avais pas accès à mon ordi, ni à un lieu pour écouter mes films, mon fils suivant son cours virtuel dans le premier espace dvd et ma conjointe travaillant trop près du second espace dvd. 

Donc j'étais perpétuellement castré entre mercredi et jeudi soir. Partout. 


Mais la musique de Miles, Belle & Sebastian, m'a un peu requinqué le moral.

Je savais aussi que le fléchissement de mon moral ne serait que...

...passager. 

Ma conjointe travaille aujourd'hui. J'écoute deux ou trois films en vous écrivant. Gens de ma planète, ça s'appelle, un samedi. 


*C'est pas vrai. Ils ramassent. 

** L.A.Confidential, Masculin/Féminin, La Chinoise, Jerry Maguire, Pretty Baby


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