mercredi 12 juillet 2017

Rappels du Futur

L'autre tantôt, j'étais au centre-ville, feuilletant une copie papier du Journal de Montréal, en attendant un ami. Sans trop y penser, j'ai regardé le sommet de la page que je lisais afin d'y trouver...

...une barre d'outil...

Plus souvent encore, ma vue baissant année après année, j'ai le réflexe de grossir de mes doigts une page de livre que je suis en train de lire ou une photo dans un livre, pour zoomer comme je le fais de mes doigts sur mon téléphone intelligent.

Ces petits moment de crampe mentale est ce que j'appelle un rappel du futur. Un petit moment du présent qui te rappelle que tu ne vis plus dans le passé.

Encore récemment, j'envoyais un colis et je me cherchais du papier journal afin de remplir les espaces dans ma boîte. Ça m'a pris un temps fou à trouver du journal! Je n'en ai pas trouvé en fait. J'ai fini par prendre du papier blanc 8 1/2 par 11, troué, chiffonné, qui faisait toujours obstruction à l'imprimante de toute manière. J'ai trouvé du papier-bulle aussi, des restants d'une heureuse commande eBay récente, dont je réutilisais justement la boîte.

Finalement, quand l'amoureuse m'a demandé d'aller chercher à l'épicerie du cumin moulu, je n'avais aucune image mentale de la chose. Je l'ai googlé en images et ai vite trouvé.

Collectivement, nous reconstruisons notre manière de chercher et de calibrer nos informations incontestablement. Notez, par exemple, quand vient le temps de chercher plus tard une information lancée entre amis, comment nous nous y prenons maintenant: "T'auras juste à googler 2 girls 1 cup pis tu vas trouver tout de suite" (dit le banquier au politicien)

Nous redéfinissons notre manière de chercher qui devient aussi un reflet de notre manière de ficher l'information dans nos cerveaux. Ou pas. L'une des grande découverte de notre époque techno est de maintenant savoir une tonne de choses auxquelles on ne se serait jamais intéressé. Comme le nombre de langues que l'on peut parler en cliquant ici. Ou les chances de tomber en amour en prenant le métro. Ou encore quel type de fruit serais-tu si tu répondais à ceci? Plus sérieusement, on a plus besoin de se rappeler les choses autant qu'avant, ayant un moteur de recherche à porter de main. La mémoire sommeille peu à peu en nous. Elle est libérée d'un fardeau ancien. Ça a du bon comme du mauvais.
Certains ne peuvent plus bullshitter avec des légendes urbaines aussitôt noyée par un Ipad et Google ou raconter une fake news, sans se faire trahir par la même chose, vérifiée sur le champs.

Je me demande parfois si la nostalgie de mes années 80, la nostalgie de la vivacité de mon cerveau des années 80, n'est pas une perte de temps. Si quelques fois l'époque pré-internet me manque, je n'y retournerais très certainement pas. Voudrait-on vraiment revenir à cette époque où, pour savoir quel artiste venait de jouer un morceau à la radio, il fallait appeler la station et souhaiter que quelqu'un réponde et se rappelle le moment? Ou encore appeler tous les Jean Morin de l'épais bottin téléphonique, afin de leur demander si ils ont une fille du nom de Geneviève qui irait à notre école?

Nous sommes extrêmement cavaliers lorsque nous disons "Laisse-moi googlez la chose" alors que que ce que nous faisons est de consulter la somme totale et accumulées de milliers de recherches et de documentation internationale que nous pouvons recenser en deux agitations de poignets rapides.

J'ai travaillé par le passé au défunt Cinéma du Complexe Desjardins à Montréal. De jour. La nuit, je travaillais dans un club vidéo de Verdun. Je voyais 4 films par jours, 5 jours par semaine. Par la suite, j'ai aussi travaillé à la Cinémathèque Québécoise. Où j'y voyais des dizaines de films par semaine. J'ai quelque peu gardé le rythme. Mes heures de travail à la maison et mon peu de sommeil m'en garantissant l'espace. J'ai vu facilement plus de 1000 films dans ma vie. Ma consommation de musique est aussi phénoménale. Je me suis rappelé pas plus tard qu'hier mon amour solitaire pour Wall of Voodoo. Je lis aussi tout ce que je peux (parce que c'est un peu mon métier) là où la curiosité me guide. Et ma curiosité semble exponentielle. Pour quelqu'un né en 1992, 20 ans après moi, même si cette personne s'agite à essayer de suivre mon rythme de consommation de ces trois domaines, ce serait futile. Mais tout à fait possible. Les accès au cinéma, à la musique et aux écrits se sont multipliés.

On dit que Goethe était le dernier humain connaissant tout ce qu'il y avait à savoir du monde à son époque. Goethe aurait été l'internet avant l'heure. Goethe vit aujourd'hui dans un nuage 2.0.

Nous sommes maintenant tous un peu Goethe.

N'en déplaisent aux technophobes.




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