vendredi 8 mai 2015

Louie Louie

Le matin de 6 avril 1963, Jack Ely était planté sous un micro d'un studio de Portland aux États-Unis et derrière lui, en formation de cercle, se tenait son band, The Kingsmen, avec leurs instruments.

Sans le savoir, Ely est ses Kingsmen enregistraient leur plus gros hit, une adaptation d'une chanson de Richard Berry de 1957.

Sans savoir non plus que le FBI s'intéresserait à ce morceau pendant presque 2 ans.

Louie Louie fût enregistrée en une seule prise.

Ce matin d'avril, le seul micro disponible en studio était rattaché au plafond, donc loin de la bouche (pleine de broches) du jeune Ely. Le résultat final fût un enregistrement très amateur, où les instruments sont joués très fort mais où la production léchée est inexistante. Les paroles sont aussi tout à fait incompréhensibles. C'est là que le FBI a froncé les sourcils.

Lancée en mai, puis lancée à nouveau en octobre, la chanson allait atteindre la position #2 des palmarès et devenir un grand hit international. L'interprétation vocale, avec ce langage près de l'esperanto, allait avoir des échos chez des artistes aussi variés que Black Flag, les Beach Boys ou Barry White.

Post-Elvis mais pré-Beatles et hors des sentiers de Dylan, la chanson allait plaire à toute une génération de jeunes. Parmi eux, une adolescente dont le père, un brin ringard mais aussi paranoïaque comme l'Amérique l'est alors, écrira au procureur général Robert Kennedy qu'il entend toute sorte de subversions malsaines.

Parmi celles-ci, il entend dans le second couplet:
At night at ten
I lay her head
Fuck you girl, oh
All the way

Il entend aussi:
Every night & day
I play my thing
Fuck you girl, oh
All kinds of way

"Notre pays est en proie à une grave dégénération morale en ce moment et il tient à nous d'être vigilant sur le sujet" écrira-t-il, chevaleresque, à Kennedy.

Bobby K a alors refilé l'étude de la chanson à une équipe travaillant sur les moeurs au FBI et jusqu'en 1965, on a scruté les potentielles paroles chantées par Jack Ely. Sans succès, sans être en mesure d'y trouver avec assurances quelques obscénités.

Jack Ely & les Kingsmen ont concocté un chef d'oeuvre kitsch du mono mais le band était pourtant composé de musicien chevronné. Ely avait suivi des cours classiques de piano depuis ses 11 ans. Il avait ensuite été le leader d'un band (en plus d'en être le guitariste), qui faisait des reprises d'Elvis. C'est en faisant du vaudeville qu'il se lie d'amitié avec le batteur Lynn Easton avec lequel il fondera le band The Kingsmen. Ils seront intéressés par Louie Louie non pas par la version originale de Berry, mais bien par une version, lancée 4 ans plus tard, par Rockin' Robin Roberts & The Wailers. Les paroles chez Roberts sont nettement plus claires et sont très conventionnelles. Si le FBI s'était soucié de demander à Ely ou Easton, ils leur auraient probablement dit.

Ce qui rajoutait à la dichotomie sonore de l'époque c'est que la chanson qui allait empêcher les Kingsmen d'avoir un #1, celle qui régnait incontestablement sur les palmarès, était celle de Jeanne Deckers, dite The Signing Nun (ou Soeur Sourire).

Richard Berry l'auteur original, n'aurait jamais pu prédire que sa chanson serait étudiée dans la catégorie des obscénités. Il avait lui même adapté les accords d'un rythme cubain fort ensoleillé.
Loin des méandres sombres et malsaines.

Ma version préférée reste celle de Toots & Maytals, l'année de ma naissance.

La seule vraie obscénité, et apparemment elle a échappée aux "experts" du FBI, apparaît à la 0:56 ème seconde de la chanson des Kingsmen, enregistrée en une seule prise je le répète, quand Easton échappe une de ses baguettes à la batterie et échappe un sonore "FUCK!".

Jack Ely n'a plus jamais enregistré un hit avec les Kingsmen par la suite, quittant le band suite à une mésentente avec son ami Easton alors que la chanson était encore au sommet des palmarès fin 1963.

Jack Ely est décédé la semaine dernière.






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