vendredi 28 septembre 2012

Chris Marker (1921-2012)

Il est mort comme il a vécu, quasiment incognito. Et pourtant difficile de trouver plus militant.

Incognito et militant. Mariage impossible? Pas complètement.
Tant que la cause défendue progresse.

Christian-François Bouche-Villeneuve est né le 29 juillet 1921 à Neuilly-sur-Seine.

Son enfance est vague, le futur réalisteur brouillant volontairement les pistes lui-même en disant souvent absolument n'importe quoi sur son passé.

On le retrace toutefois facilement pendant la guerre, alors qu'il rejoint la résistance tout en dirigeant un journal Pétainiste, donc collaborationiste sous l'occupation nazie (!).  Il n'y publie que deux numéros sous le pseudonyme de Marc Dornier.

Après la guerre, il continue d'écrire pour des revues fortement influencées par le communisme. Sous Hervé Bazin entre autre. Il écrit des commentaires sur l'actualité politique, des poèmes, des recensions littéraires et cinématographiques. C'est dans les bureaux de Bazin, à esquisser des projets de revues propagandistes qu'il se lie d'amitié avec Alain Resnais à la fin des années 40.

Il publie un livre, plusieurs poèmes et un essai sur Jean Giraudoux. Brillant et fort en langue, il traduit également des ouvrages allemands et anglais, en français.

Son ami Resnais est déjà oscarisé depuis 1947 pour un documentaire réalisé sur Van Gogh, c'est une star. Celui qui devient Chris Marker, réalise coup sur coup un documentaire sur les jeux olympiques d'Helsinki et un court-métrage documentaire sur l'art africain avec Resnais.

L'idée du voyage est installée pour toujours dans l'oeil de Chris Marker. 4 films qu'il réalise par la suite seront le fruit de globetrottisme en Chine, Sibérie, Israël et à Cuba.

Lorsqu'il ne tourne pas, Marker photographie. Un recueil de photos racontant son voyage en Corée du Nord parait en 1959. La même année son ami Resnais conquiert le monde entier avec un de ses films. Marker se convainc alors du cinéma comme arme de propagande.

Le Joli mai est un long documentaire réalisé à partir de 55 heures d'entretiens avec des Parisiens avec un commentaire en voix-off lu par Yves Montand. Une sorte de radiographie spirituelle et idéologique des Parisiens.
La Jetée, son film le plus célèbre, marquera son parcours à jamais. Dans ce film construit comme un photo-roman fait d'images fixes, Marker abandonne le mode documentaire et utilise les ressources de la science-fiction pour construire une fable sur le temps, la mémoire et la subjectivité, ainsi que sur leurs relations avec l'image.

À partir de maintenant, son oeuvre sera perpétuellement teinté de ces thèmes.

En 1964, il part pour le Japon afin de tourner un possible documentaire sur les jeux olympiques comme il l'avait fait en 1952 mais détourne son mandat et tourne à la place le portrait d'une jeune franco-asiatique qu'il rencontre par hasard. Sa fascination pour le Japon lui fera retourner sur place très souvent.

En 1967, il fonde le collectif  SLON (Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles) dont le but est de faire des films politiques. Godard, Varda, Resnais, Lelouch, Ivens et Klein tourneront pour la boîte de Marker. Marker aussi tourne mais ne signe pas toujours ses films. Il fait le montage d'à peu près tous les films.

La découverte des purges Staliniennes vers ses années-là lui fait prendre conscience que le communsime n'est plus aussi séduisant.

Il reste foncièrement intéressé par la politique internationale et lance un documentaire en 1978 sur la montée des mouvements de gauche à travers le monde.

Marker revisite son obssession de la mémoire en 1982.

Ses films des années 1980-1990 sont pour la plupart des hommages posthumes ou tardifs à des ami(e)s ou des artistes qu'il admire profondément. Ils se veulent, dès lors, déchiffrage du passé plutôt que description d'un présent. Kurosawa, Signoret, Medvedkine, Tarkovsky, Bellon, seront couverts par Marker.

Les nouvelles technologies, telle que la vidéo ou l'informatique, lui permettent de nouvelles formes d'expression et de prendre de nouveaux chemins. Ainsi, à coté de cette réflexion sur la mémoire et l'Histoire, il fait aussi de la télévision avec la mini-série de treize épisodes commanditée par la Fondation Onassis sur l'héritage de la Grèce antique dans la Grèce moderne.
Pour un homme obssédé par la mémoire, le passage du temps et le souvenir, il est étonnant de constater qu'il a presque toujours fuit les feux de la rampe, refusant souvent d'être "immortalisé" en photo lui-même.

Marker continue à explorer les nouvelles ressources médiatiques jusqu'à sa mort. Il s’est attaché en 60 années de travail à observer avec une curiosité, un discernement méticuleux, une ironie caustique et souvent amusée, voire avec colère, les vicissitudes de l’histoire mondiale tout autant qu’individuelle.

Le plus grand des cinéastes inconnus s'efface discrètement chez lui le jour même de ses 91 ans, en juillet dernier. Il y a deux mois presque jour pour jour.

Il nous laisse en héritage le centre de ses réfléxions: la mémoire, le souvenir, la nostalgie du temps passé réinventé mais à jamais disparu.

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