lundi 1 mars 2010

Pêche au Crapêt, 1989


Par un froid week-end d'hiver, en 1989 dans le patelin qui m'a élevé, Beezer Lamouche, Stella Harnois et moi-même sommes allés à la pêche au crapêt.

À 16-17 ans, quand nous avions été "carté" dans un bar ou quand nous avions mal appris les dates d'anniversaires de nos fausses cartes, il nous fallait une alternative pour meubler nos projets de soirée détournée.

Un soir de renflouage aux portes d'un bar (ou étais-ce à la clôture d'un bar?), Stella, Beezer et moi-même avions choisi d'aller piocher de la poutine dans un restaurant spécialisé. Pas spécialisé dans la poutine mais bien spécialisé dans la récupération de louches noctambules.

Afin de rendre notre visite au snack plus intéressante, nous avions choisi de nous donner en spectacle. Beezer serais un français, tout nouvel arrivant, je serais un français déjà au Québec depuis un an l'accueillant et lui parlant de ce qui l'attends et Stella serait la Québécoise qui apaiserait les débordements.

Nous allions à la pêche à l'intolérance.

Aussitôt assis à notre table, nous étions campés dans nos personnages respectifs.

Beezer attaquait à coup de "AAAAh! Mais c'est joli la neige ici! Vous en manger des fois?" et "Où sont les indiens?". Je lui répliquais que contrairement à ce qu'on pensait en Europe "la police n'étais pas perpétuellement montée et que les gens ici semblent vouloir exterminer les indiens car il les cache, les drogue, les font boire et les font s'accoupler ensemble je crois, faut voir comment il traite John Kordic il le force à se battre sur glace".

Nous parlions suffisamment fort pour que les tables voisines nous entendent.

Et idéalement nous méprisent.

Stella nous relançait quand nous étions en panne avec des questions comme : "Qu'es-ce qui vous a le plus impressionné à votre arrivée au Québec?" et nos réponses "Les nanas aux gros nénés" ou "Cette femme qui a le droit d'avorter sans la permission de son homme(Chantal Daigle)" avaient pour but d'agiter les tables voisines et le remous était tangible.

Beezer était en feu:
"Moi j'aime bien votre artiste de cirque, vous savez le clown qui essaie de ressembler à Léo Férré, Gilles...Gilles Migneault...ou est-ce Gilles Mignon?"

"Migneault!-je confirmais, les cheveux fous, le col roulé, le nez en panache oui oui, Gilles Migneault!"

"Ah j'aime beaucoup sa chanson Heureux d'un Printemps qui me chauffe les veines...nananana dadelidela!" enchaînait Beezer et tous les trois embarquions dans la pire chorale de l'histoire des chanteurs-passés-minuits.

Une fois le grelot bien accroché dans les têtes des tables voisines, après avoir égrainé les pires clichés du nouvel arrivant Européen et avoir égratigné au possible quelques trésors Québécois de manière insensible, voire snobinarde, on a frappé le jackpot.

Nos accents Français ont semblé irréprochables car, sans réellement savoir où tout ça nous mènerait, le miracle s'est produit.

Un homme légèrement bourru, qui devait avoir à peu près mon âge actuel (38) à l'époque, s'est levé de sa table, s'est approché de la nôtre et a coupé nos improvisations en disant calmement mais exaspéré quand même:
"Je vous écoute depuis tantôt là...j'ai juste une chose à vous dire..." et sur ce il s'est retourné, a baissé son pantalon et nous as montré ses fesses poilues dans le moon le plus jouissif de la terre.

Nous étions si abasourdis que je ne me rappelle plus si il nous as gracié d'un "retournez donc chez vous!" ou si il a simplement rebroussé chemin vers la sortie. Mais sa haine à notre égard était totale et il a remonté son pantalon et marché calmement vers sa voiture. Rassasié de s'être vidé de son mépris.

Dès qu'il a quitté nous avons tous abandonné nos personnages et nous nous sommes esclaffés de rire, ayant obtenu un objectif que nous n'avions même pas osé nous fixer. Ceci avait fait notre soirée et nous aussi étions rassasié. Nous avons aussitôt laissé tombé nos faux accents et j'ai entendu un gars dire à un autre à une table voisine "Ah je te l'avais dit qu'ils étaient pas français pantoute, tu me dois deux piasses!"

Je pensais à ça quand j'ai vu que des ados ont volé une voiture pour se désennuyer à St-Léonard et se sont plantés dans un poteau.

Maudit que les jeunes ne savent plus comment s'amuser.

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