mercredi 22 février 2023

Miroir Made in USA, Caché

Vers 1974, Martin Scorcese voulait faire une adaptation du Joueur de Dostoievsky. 

Son ami Brian DePalma lui suggère alors Paul Schrader à la scénarisation. Schrader est tranquillement la saveur du jour, le scénario qu'il a co-écrit avec son frère Leonard qui deviendra The Yakuza, sera un script que les studios s'arrachent en misant toujours plus pour le faire. Mais si Sidney Pollack n'arrive pas à maitriser un Robert Mitchum beaucoup trop alcoolisé pendant le tournage, et que le film sera plutôt un échec, le nom de Schrader circule favorablement dans les cercles des initiés. Quand Scorcese se pointe à L.A. pour le rencontrer, ils ne trouvent ni DePalma, ni Schrader. Qui se sont alors isolés pour concocter ensemble, Obsession, le prochain projet de DePalma. Que Schrader signera. 

Quand un autre projet de Schrader tombe entre les mains de Scorcese, Taxi Driver, DePalma l'a déjà lu. Mais a choisi de ne pas le faire. DePalma devient ami de Schrader peu de temps après que celui-ci, critique de cinéma, eût fait l'éloge de son film Sisters. DePalma, ne voulant probablement pas admettre ne pas avoir eu de flair, dira qu'il trouvait Taxi Driver "trop peu commercial", lui qui avait besoin d'un succès après le relatif échec de Phantom Of Paradise. Argument absurde puisque que Robert Mulligan s'y était attaché avec Jeff Bridges dans le rôle titre. Que Columbia Pictures était une grosse machine. Que Bernard Hermann allait faire la musique.

C'est encore moins légitime l'argument du "non commercial" car Columbia Pictures tentait de renouveler le succès du film de vengeance mettant en vedette Charles Bronson, Death Wish, de 1974. Taxi Driver suggérait un personnage revanchard encore plus dérangé que celui de l'architecte voulant venger l'assassinat de sa famille. Au final, là où Schrader écrivait un traité anti raciste, on aura plutôt l'histoire d'un homme seul dans la foule qui se lève pour se faire entendre et qui en a assez. On fera un film principalement de vengeance. Comme il y en a plusieurs populaires alors. 

Quand ce script tombe entre les mains (Script original aujourd'hui entre les mains d'un ancien professeur de cinéma à moi) de Scorcese, il sait qu'il a quelque chose pour lui là-dedans. 

La différence majeure entre un Taxi Driver de Marty ou un Taxi Driver de Brian restant probablement le point de vue. 

Il serait dur de croire que DePalma serait aussi tendre avec Travis Bickle que l'ont été Schrader, Scorcese et DeNiro. En écoutant leur film, on devient Travis Bickle. C'est notre "héros". Qu'on soit d'accord ou non avec ses habitudes, ses manies, ses rituels d'existence, comme on vit sa solitude en direct, on finit par la comprendre. Il est moins un monstre raciste. Ce que Schrader voudra d'abord décrier. Quand Brian a lu le script, il n'a pas probablement pas lu le personnage de la même manière. Marty le tourne au "je", à la Nouvelle Vague Française. DePalma en aurait fait un thriller. Peut-être politique. DePalma en aurait fait un assassin politique, là où Marty en fait un égaré mental avec un Mohawk. Il aurait filmé comme dans Carrie, au ralenti, un assassinat politique réussi. 

Mais je vous dis tout ça parce que le cinéma me passionne et je m'éloigne terriblement de mon propos. je veux vous parler de racisme et de Schrader. Ce dernier écrit coup sur coup deux fois, à peu près le même film.
Taxi Driver, un chauffeur de Taxi qui détestent les humains à la peau noire, et Rolling Thunder, l'histoire d'un ancien prisonnier de guerre du Vietnam qui revient et voit son épouse et son fils se faire assassiner par des Mexicains qui lui tranchent aussi une main, faisant de lui, un fervent raciste anti mexicains. 

Dans les deux cas, les producteurs ont épuré le script original. Dans Taxi Driver, le proxénète était un noir. Tous les travailleurs du sexe autour de Jodie Foster étaient des noirs. Dans la recherche pour un personnage de proxénète, on ne trouvait aucun blanc. C'est ce qui donne l'idée à Schrader. Le proxénète de Foster est noir. Mais ce sont les producteurs qui souhaitent donner une image plus positive des humains à la peau noire. Et comme Scorcese cherchait un rôle pour Harvey Keitel, qui ne voulait pas du rôle du partenaire de travail de Betsy dans la campagne politique, on finira par en faire un proxénète blanc. Mais tout le film, on sent clairement Bickle très inconfortable autour des humains à la peau noire. On sent clairement le raciste en lui. 

Dans Rolling Thunder, lancé l'année suivante, William Devane incarne (assez mal) le vétéran prisonnier de guerre de retour chez lui et qui perd tout en très peu de temps. Jamais on ne sentira le racisme. Les producteurs interviennent aussi, craignant la stigmatisation culturelle et un plaisir malsain dans la vengeance contre "des Mexicains" en imposant deux blancs parmi les 5 Mexicains assassins. Les deux seuls qui auront des répliques d'ailleurs. Le film est si dévié du propos original de Schrader qu'il voudra son nom retiré de l'affiche, sans succès. 

Ce qui reste fascinant, mais vraiment fascinant,  est qu'après la manque de flair de DePalma sur Taxi Driver, John Flynn, qui réalise Rolling Thunder du même scénariste tout de suite après, manque fameusement de flair aussi en supprimant une scène qui aurait été formidable. 

Dans le script original, Travis Bickle fait un cameo dans Rolling Thunder. Quand le vétéran part en voiture avec l'excellente Linda Haynes (ce qui rend Devane tellement plus fade à ses cotés) afin de venger sa famille, il s'arrêtait en ville et dans la voiture d'a côté se trouvait Travis Bickle, avec son mohawk fraichement taillé. Les deux racistes s'échangeaient un regard presque complice d'une même mission.

Se débarrasser de "l'étranger". Une tare encore extraordinairement présente dans bien des têtes Étatsunienne.

Un miroir qu'on refuse de regarder en profondeur pour s'y regarder. 

Cette scène ne sera jamais filmée. 

Tout comme le racisme, ne sera jamais complètement soigné. 

Un miroir rendu de bord en bord qu'on refuse de réparer.

Qu'on préfère, cacher. 

 

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