Chaque mois, vers le milieu, tout comme je le fais pour le cinéma (des ses 10 premiers jours) et tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: La musique.
C 'est ma sainte trinité
Le titre de la chronique est inspiré de 4 albums que j'ai tant écouté qu'ils sont composantes de mon ADN. J'en connais chaque son, chaque parole, chaque nuance, chaque ton, chaque air.
Par ordre de création:
Blonde on Blonde de Bob Dylan
The Idiot d'Iggy Pop
Low de David Bowie
The Unforgettable Fire de U2.
B.I.B.I, c'est moi. C'est aussi la terminaison de mot habibi, qui, en dialecte irakien veut dire, Je T'aime.
Musique, je t'aime.
WHAT'S GOIN ON de MARVIN GAYE
1970.
À la fin des années 60, Gaye était plongé dans une profonde dépression. Sa partenaire de disque, avec laquelle il avait connu tant de succès, sa grande amie, Tammi Terrell était diagnostiquée d'une grave tumeur au cerveau. Gaye voyait son mariage avec Anna Gordy, grande soeur du patron de Motown, Berry Gordy, s'effondrer. Il avait aussi des problèmes d'impôts impayées. Au coeur de tout ça, une dépendance à la cocaïne venait polluer l'ensemble. Comme si ce n'était pas assez, il avait aussi des problèmes de contrat avec 'Motown, avec qui il travaillait depuis presque 10 ans. Un soir, seul à son appartement de Détroit, le père de Berry Gordy arrive chez lui tout juste à temps pour le sauver quand Gaye tente de se suicider d'une balle à la tête. Avant que son propre père ne l'assassine, il avait aussi tenté plusieurs fois de s'enlever la vie.
Bref, il ne va pas bien. Mais avec Terrell, en solo, Gaye a beaucoup de succès depuis 10 ans. Mais Gaye n'est pas satisfait. Il se sent manipulé par Berry Gordy, par Anna. Il dit avoir un esprit bien à lui, non utilisé. En mars, Terrell décède de sa tumeur à l'âge tendre de 24 ans. Gaye répondra par une absence de tournée pendant de nombreuses années. Il refuse aussi de faire la promotion de son album lancé en janvier. Il se terre chez lui, se laisse pousser la barbe, porte du "mou" alors qu'on le connaissait publiquement plutôt chic.
Il entre en contact avec sa spiritualité et essaie même très sérieusement de faire l'équipe des Lions de Detroit, au football de la NFL. Obie Benson, des Four Tops, voyage depuis 1969 avec des images épouvantables qu'il garde en tête de brutalité policìère dont il a été témoin au jeudi sanglant de People's Park. Il se ne comprend plus rien et se pose toute sorte de questions sur sa société. Il compose, avec Al Cleveland, une chanson qu'il propose aux Four Tops, mais ceux-ci la refusent sous prétexte que c'est une chanson de protestation et que ce n'est pas ce qu'ils font comme matériel. Il la propose à Marvin Gaye qui lui, trouve que ce serait un morceau parfait pour The Originals. Mais Benson convainc Gaye que ce serait plutôt une chanson pour lui. Gaye la retricote à son goût et l'enregistre avec les Funk Brothers. Benson dira qu'il avait pris les mesures de son corps et que Marvin Gaye avait confectionné et taillé le costume merveilleusement.
Gaye avait été très affecté par les lettres de son frère, soldat au Vietnam. À son retour, ils en avaient discuté, avaient pleuré ensemble, c'était du double traumatisme. Le 1er juin 1970, il entrait dans le studio de Motown, Hitsville USA pour y enregistrer la chanson What's Goin On. Son bassiste, James Jamerson se pointe si saoûl en studio qu'il n'arrive pas à s'assoir convenablement pour jouer. Il enregistrera sa part assis pas terre. Eli Fontaine, saxophoniste de The Originals, Joue n'importe quoi pour décrasser son instrument. Gaye trouve ça splendide et choisit de l'incorporer en ouverture du morceau. "Mais je jouais absolument n'importe quoi! je faisais le clown" dira Fontaine. "Tu fais le clown de manière exquise" dira Gaye.
Les sessions sont pleines d'arômes de marijuana et de tournées de scotch. L'idée de superposer sa propre voix en double survient par erreur et Gaye aime tant qu'il le fera sur toute la durée de l'album. En septembre, on présente à Berry Gordy mais il n'est vraiment pas convaincu. On lance quand même, en automne la chanson et elle vend plus de 200 000 fois. Gordy se ravise et demande si Gaye peut écrire un album en entier en 30 jours. Gaye négocie que si il le fait, il veut le contrôle absolu sur ce qu'il fera par la suite. Production, contenu, et tout et tout. Gaye prendra 10 jours pour faire le reste. L'album sera lancé un an presque jour pour jour après le décès de Tammi Terrell.
L'album est formidable. 35 minutes en continu sans réelle pause sinon entre (l'ancienne) Face A et la Face B. Les arrangements sont fabuleusement planants. Gaye choisit de mettre l'emphase sur l'humanité, au moment où la contreculture et les mouvements en faveur des droits civiques prennent leur essor, aux États-Unis. La seconde chanson est directement en lien avec les discussions qu'il a eu avec son frère et le traitement réservé aux vétérans du Vietnam à leur retour aux É-U. La drogue est évoquée dès le morceau suivant avec l'utilisation d'une partie du slogan d'une compagnie aérienne dans le titre. De claires références à la dépendance à l'héroïne sont faites. Save The Children, comme l'indique le titre, est un plaidoyer en faveur de l'aide aux enfants défavorisés. Gaye lui-même a une relation terrible avec son père qui n'accepte pas ses choix de vie et qui le tuera 13 ans plus tard. Les première références religieuses sont claires dans le petit segment de 1:41 qui suit. Il ferme la Face A avec un autre plaidoyer, pour l'environnement celui-là. La guitare y est formidable telle une rivière sonore coulant merveilleusement.
La Face B ne contiendra que 3 morceaux commençant par un long jam de 7 minutes 31 secondes habité d'influences latines, de blues et de funk. Gaye suggère que l'amour doit tout vaincre. L'avant dernière chanson est un autre plaidoyer, gospel celui-là, en faveur de l'idée d'abolir les divisions sociales et de mieux se rassembler, sauvés par l'amour. La pièce de clôture traite de la pauvreté urbaine dans un minimalisme blues sombre avec un ton funk et une partition de base composée et interprétée par Bob Babbit, qui jouait aussi la base de Mercy, Mercy Me (Jamerson jouant partout ailleurs). Les derniers moments du disque ramène à son ouverture, ce qui créé un merveilleux effet de boucle. Un morceau extraordinaire.
Somptueux album.
Les textures de l'album sont si riches, touchant le jazz, le soul, le gospel, la pop, le rock, le psychédélisme que le magazine Rolling Stones, pas plus tard qu'en 2020, déclarera cet album le meilleur de tous les temps dans son palmarès des 500 meilleurs albums de l'histoire de la musique populaire.
En ce mois de l'histoire des noirs, à qui on doit tout en musique, j'ai fais l'effort d'écouter une large part de l'oeuvre de Stevie Wonder (dont je me suis fais une très heureuse liste de lecture de 2h06 qui me met toujours de bonne humeur) une bonne part de l'oeuvre de James Brown (dont je me suis fait une liste de lecture d'1h17 et qui me fait toujours danser), Marvin, bien entendu, Prince, qui est partout dans mon téléphone (me suis aussi acheté sa bio posthume), me suis (re)téléchargé l'album Control de Janet Jackson et son 6ème et je m'apprête à entamer l'exploration de l'oeuvre des Supremes et de revisiter Billie Holiday. J'écoute toujours du jazz. Sans efforts cette fois.
Février, fameux mois inspirant.
L'album de Gaye aura 50 ans en mars prochain. Un album encore si pertinent.
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