Crier c'est burlesque.
Crier m'a toujours semblé contre productif.
Si vous criez, 9 chances sur 10 qu'on ait pas envie de vous écouter.
Dans un aréna, vous êtes une honte et un cancer si vous glissez dans l'émotion et la colère.
Dans la chanson, c'est souvent bon, mais ça peut aussi agacer.
Si vous criez et vous vous agitez, alarmé par la présence d'une abeille, vous lui demander de paniquer aussi et vous justifiez qu'elle vous pique.
En présence de tout animal qui nous fait peur, crier est la pire des idées.
Je n'ai jamais été une Femme. Je n'ai jamais non plus, senti cette vulnérabilité, probablement d'abord physique, face à quelqu'un qui fasse en sorte que le seul moyen de défense à ma disposition soit un cri. C'est très féminin ce réflexe.
Faites faire un saut à un homme et il lancera un rugissement ou vous enverra un coup de poing. Il peut même crier parfois (je sais, je généralise). Plus souvent, une femme hurlera. Plus jeune, je me plaisais à quelques fois faire faire des sauts à mes soeurs quand je les trouvaient taches.
Elles sont toutes deux plus jeunes que moi et parfois, avaient toutes les deux envies de faire ce que faisait le grand frère ou je ne sais trop. Elles me collaient au cul. Excédé, je partais à courir du sous-sol, je montais l'étage jusque dans l'entrée, où se trouvaient trois autres marches menant à la cuisine. Avant la porte menant à la cuisine, sur la droite, un espace au pied d'un escalier menant au logement d'un(e) locataire que nous avions nous gardait caché de ceux qui suivaient. Je courais du sous-sol donc, les deux soeurs à mes trousses m'expliquant les vertus de jouer "Ken" avec leur Barbies, je feignais d'entrer dans la cuisine pour me glisser dans l'espace de l'escalier du locataire et quand mes soeurs arrivaient je leur faisait faire le plus grand des sauts.
L'une des fois, Grennjelly, ma plus jeune soeur avait tant crié qu'elle était tombée sur mon autre soeur J.J.. C'était jouissif de les voir tétanisée par un simple "booh!" et j'ai imaginé avoir fait ça des tonnes de fois, mais ça a peut-être fonctionné deux fois maximum. Mais ça avait si bien fonctionné que mes soeurs m'en parlent encore.
Ce qui me fascinait déjà était "pourquoi le cri?"
Pensait-elle que j'aurais peur de leur cri et que ça me ferait prendre mes jambes à mon cou?
Dans une situation ou on se croit seul(e) je peux comprendre de crier pour ainsi alerter le plus de gens autour et par le fait même solliciter de l'aide. Mais parce qu'on fait un saut?
Comme ça. Pour rien. Ça m'a toujours fasciné de stupéfaction. Quelque chose de zoologique. Je me rappelle aussi une fille de secondaire II, Laura Padtchum-Trôgéné. Elle n'était ni laide ni belle. Mais de tempérament agréable. Très calme et douce. Timide aussi. On voulait d'emblée la protéger d'un monde agressif autour.
Un jour, un bachi-bouzouk était passé à ses côtés, nous avions 14 ans, et lui avait fait faire un saut. Elle avait tant crié, si haut et si fort que tout le corridor était tombé dans un rire hystérique. Laura qui hurle. On entendait à peine sa voix en général et là, elle était cantatrice soprano. Ça l'avait fait rougir très rapidement. Elle était timide, mais ne rougissait pas vraiment. Sauf cette fois là où elle était mauve. Elle revisitait peut-être mentalement son propre cri qu'elle s'ignorait peut-être en mesure de faire alors.
Je n'étais plus capable par la suite de la voir autrement qu'associée à ce cri et à cette teinte du visage humilié qui a suivi.
Peu importe, quand, entre amis, on évoque la sympathique Laura du passé, c'est son cri strident du corridor et son visage pourpre soudain, comme on remplirait une carafe de vin, qui me reviennent vite en mémoire. Elle est surement bien d'autres choses depuis. Mais si je la recroisais avec des enfants de nos jours, je leur demanderais de lui faire faire des sauts.
"Vous ne verrez plus maman de la même manière".
Cette semaine, ma conjointe m'a demandé de faire du BBQ. Je ne fais pas souvent du BBQ de mon propre chef. Je ne suis pas du tout un BBQ man. Je me débrouille très bien sur un BBQ, mais manger dehors m'agace en général, donc faire du BBQ, faut qu'on me le demande. Mon amour me l'a demandé. En ouvrant la calotte du BBQ, je sursaute, recule et passe très près de tomber dans la piscine. Dans le silence.
Ma conjointe me voit et me demande ce qui se passe.
"Une souris, un mulot, un suisse, je ne sais pas, sous les grilles du BBQ, parmi les briquettes, il doit y avoir quelques miettes de bouffe, elle semble bien s'amuser".
L'amoureuse n'a pas peur des souris (dit-elle). Et c'est vrai. Par le passé, on préparait un party au chalet de mes parents en hiver. Une souris était passée et j'avais grimpé dans les rideaux. Comme le brave homme que je suis parfois. L'amoureuse s'était émue de la petite chose, l'avait prise dans ses mains et l'avait lancée dans la neige. Nous attendions des amis, dont certains pas convaincus des bestioles de nuit pouvant peupler un chalet, des amis qui allaient peut-être coucher au chalet en raison des consommations d'alcool qui seraient absorbées. Il fallait les convaincre de coucher avec dans le coin gauche de nos regards, la forme parfaite d'une souris atterrissant les 4 pattes bien écartées, dans la neige sur la galerie. Jamais ils n'ont distingué la forme.
La même amoureuse voulait sauver à nouveau la souris. Moi je voyais une chance de manger autre chose. Punkee, ma fille, est venu voir aussi. La souris était bien là, agitée du public que nous étions.
"oooooh! cute!" disait ma fille.
Puis, comme seules les mécaniques féminines s'expliquent, quelque chose de toujours fascinant s'est produit. Un dynamique de type chorale de détresse.
Ma fille de 17 ans, qui disait "cuuuuuuuute" il y a 4 secondes, a poussé le plus grand des hurlements, alarmant plusieurs voisins. La souris était sortie du BBQ et s'était dirigée en trombe vers le dessous de la galerie.
Ce qui m'a amusé davantage c'est que l'amoureuse à ses côtés, celle qui n'a pas peur des souris, qui les trouvent aussi "cutes", a eu le réflexe d'accoter son cri et de hurler également à son tour.
La situation devenait absurde. Plus de voisins encore se sont montrés la tête au dessus de nos clôtures.
"Mais...mais pourquoi t'as crié Twingling?"
"Ben là...Punkee criait..."
Ça semblait l'argument massue.
J'ai pas cherché à comprendre. Ma conjointe était tapie dans une forteresse d'orgueil et elle était la seule à avoir la clé de l'endroit.
J'ai rejoué quelques fois la scène dans ma tête cette semaine.
"AAAAAAAAAAAAAH!"
"AAAAAAAAAAH!"
"Quoi?"
"Oh rien, la souris est repartie".
Burlesque, je vous dis.
Crier c'est burlesque.
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