(à D.P.)
1987.
Mon ami Michaud et moi sommes en secondaire 4, nous sommes à l'automne, nous le commençons. Le midi, parfois à trois, après avoir mangé, on comble l'heure de congé par une petite marche au centre d'achats, fierté locale de notre région. Mais ce jour là, nous sommes deux. Michaud et Jones.
On erre au cente d'achat de Ste-Foy. Un des endroits de errance favori est le Paquet Syndicat. Il est drôle, avec le recul, qu'une entreprise eût choisi d'honorer son syndicat jusque dans le nom de marque. C'est mort assez vite, aussi. Syndicat pas syndicat. Bref, au Paquet Syndicat, on vend des tonnes de guenilles (du linge) des cossins (des bibelots) des babioles (des accessoires de maisons) mais aussi de la zizik (des cassettes de musique).
Michaud et moi (et parfois un troisième mousquetaire), faisons toujours un arrêt obligé aux cassettes.
Woooooooooooooooah! Peter Gabriel! Wooooooooooooah! Japan! Wooooooooooah! The Police! Bof, Maiden.
Mais ce jour-là, les règles du jeu changent. 8,99$ la cassette, Wooooooooah! la fortune. Faut rééquilibrer l'injustice. Je glisse The Queen is Dead de The Smiths dans ma poche. Michaud glisse probablement du Peter Gabriel dans l'une des siennes. À la seconde même où on s'exécute, une voix de femme se fait entendre dans le magasin.
"Un employé est demandé dans le rayon du divertissement, svp, code 34, un employé du divertissement, code 34".
Michaud et moi on se dévisage et on comprend tout de suite. Faudrait pas être con, on a été vu. On remet tout de suite les cassettes là où on les avait prises.
Mais voilà, la vieille petite dame qui se présente comme employée du divertissement nous divertit tant qu'on prend sa présence, à étiquetter des produits au large, sans porter attention à nous, comme une insulte. On est cons finalement. On reprend nos cassettes et les replaçons dans nos poches. On les vole. Puis, on se dirige vers la sortie en essayant d'être naturel dans notre conversation.
Devant nous, presqu'à la limite de la sortie du magasin, une minuscule madame, assez âgée aussi, se retourne vivement, et nous prend tous les deux par un bras.
"VOUS VENEZ TOUS LES DEUX AVEC MOI" nous surprend-t-elle, d'une voix probablement tremblante, car il en faudrait trois comme elle pour atteindre notre grandeur. Mais pour le moment, ce sont les deux gars de 15 ans qui tremblent. On est traîné sur ce qui nous as semblé 9 kilomètres dans la plus grande humiliation, par une petite dame outrée de nos agissements.
On sera enfermé dans un bureau, forcé d'avouer nos crimes, et avertit que nous serons bannis à vie du magasin. On fera le numéro des larmes et de la première fois, mais ça ne fonctionne pas vraiment. On tente de rejoindre nos parents en direct, avec nous, penauds, assis devant madame, mais nos parents ne sont pas disponibles de jour. Ils travaillent. Et les répondeurs ne sont pas encore légions. Ça ne répond ni chez Michaud, ni chez moi. On nous sort du magasin nous disant que nos parents seront avertis et vous n'exister plus pour ce magasin.
Nous finissons l'après-midi scolaire dans l'angoisse et nous fuyons jusqu'à la maison pour pouvoir débrancher la ligne téléphonique au plus vite.
Mon père remarque une première fois que la ligne est débranchée et la rebranche.
"Je ne sais pas depuis combien de temps la ligne était débranchée..." dira-t-il...
3 heures.
Notre famille vient d'acheter un chalet au Lac St-Joseph. Mon père choisit ce soir là de non seulement organiser un party au chalet, mais aussi de s'y rendre après les nombreux appels pour inviter les gens. Nous sommes à une époque où Facebook où un courriel ne sont pas possibles. Presque personne n'a d'ordinateur chez soi. Et si oui, on le comprend et l'utilise à 10% de son potentiel. L'internet n'existe pas.
Alors me voilà, dans une pièce adjacente à celle où mon père occupe le téléphone (une deuxième ligne reste aussi inexistante) assez longtemps, mais le raccroche de temps à autre. Entre chaque appel, je tente, dans un effort de synchronisation assez formidable, de DÉCROCHER pour occuper la ligne, quand lui raccroche, et de raccrocher quand il reprend et compose. Fameux ballet dont je me tire assez honorablement de la chose, la ligne est occupée pendant plus d'une autre heure. Quand mon père semble avoir terminé, je débranche encore la ligne.
"Tu viens avec nous au chalet ce soir?"
"Nonon...je...j'ai Dostoievki à finir pour ce soir, j'ai pas commencé le livre..."
Mes 2 soeurs m'offrent le miracle d'accompagner mes parents.
Quand ils sont partis et que je suis seul à la maison, je me dis qu'il faudra bien me libérer de cette angoisse. Je pratique une voix grave, ce que j'ai déjà, et qui n'a pas dû trop poindre dans mes larmes chez Paquet Syndicat.
Je rebranche la ligne. Il n'y a pas dû avoir plus de 3 minutes avant que le téléphone ne sonne. Il est autour de 19h. C'est la vieille dame du magasin.
"Oui bonjour, M.Jones?"
"C'est bien moi, oui"
"Je vous appelle parce que votre fils et gnagnagna... il sera banni du magasin, on a été gentil, on a pas appelé la police"
Je suis si nerveux que je fais quelques onomatopées savamment placées, mais je parle aussi hors téléphone à une marche des escaliers en tapis où je gère tout ça en disant:
"Y est où lui? le petit maudit tu sais pas ce qui a faite? y a volé? Trouve-le tout de suite!". La marche de tapis ne me répond pas.
"J'ai essayé d'appeler plusieurs fois, mais la ligne était toujours occupée" dit la vieille branche.
"Oui, je viens de réaliser que ma ligne de téléphone était débranchée"
"Je pense qu'il a eu peur"
"Si y a pas eu peur, je vais lui faire peur, moi!"
Un Oscar.
Comme disent les chinois, the monkey is off my back.
Mais pas pour Michaud. J'essaie de l'appeler mais ça sonne toujours engagé. Il a aussi probablement débranché. On a pas les moyens de nos jours pour communiquer. Je choisis donc de me rendre en autobus chez lui. 30 grosses minutes. En écoutant du The Smiths dans mon walkman jaune question d'expurger l'angoisse du jour.
Arrivé chez lui, il m'accueille. Penaud. Ses parents sont séparés et sa mère commence à fréquenter quelqu'un d'autre. Ce soir, là, ça devait être un vendredi, elle est partie pour la soirée avec lui. Michaud reste seul et ne sait trop quoi faire. Sa ligne ne peut pas rester débranchée tout le temps.
On choisit d'appeler notre ami Barry Thon. Il a une voix très profonde et, malgré ses 14 ans, il peut facilement passer pour un adulte. On l'invite et lui promet une cassette (mieux volée) de son choix comme récompense. Il se compose un texte, un personnage paternel et appelle lui-même Paquet Syndicat:
"Oui, bonsoir, je suis Messu Michaud, le père de Yssé, le papa de Hunter Jones vient de m'appeler pour me parler de ce qui s'est passé aujourd'hui...oui...oui...han...o.k.....oui, j'ai remarqué que ma ligne était effectivement débranchée depuis je ne sais trop combien de temps, vous pouvez être certaine que je vais y voir. merci. "
On s'est servi dans le généreux bar des Michaud ce soir-là.
On l'avait travaillée cette virée
Mais voler c'est pas beau.
C'est
pas
beau.
Paquet Syndicat avait beau nous bannir, ils se sont éteints avant nous.
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