dimanche 24 avril 2016

De Toute Évidence, Je Ne Suis Pas Une Jeune Fille de 13 ans

Traducteur je suis.

Français/anglais souvent, anglais/français surtout.

Bref l'anglais je connais. Ma fille Punkee le sait. Dès qu'elle a une chance, elle se pointe vers moi avec son devoir d'anglais pour des explications ou des améliorations.

"papa d'amour" a-t-elle chanté l'autre tantôt. Je savais qu'elle me demanderait alors, beaucoup. Elle a quand même un bon professeur en sa mère pour les mots doux contre services intéressés.

"On fait un travail en équipe à l'école et on a choisi de faire un film"

Punkee est en secondaire 1. Mon fils termine son secondaire en juin. Dans les deux cas, les travaux en équipe pleuvent. Je ne peux m'empêcher de croire qu'une certaine paresse dans les corrections existent de nos jours. Je ne me rappelle pas avoir fait énormément de travaux en équipe plus jeune, que ce soit au primaire, au secondaire, au CEGEP ou à l'université (1977-1994). Ça a vraiment commencé seulement lors de mon second passage universitaire dans les années 2010, et ce fût un calever. Coordonner des vies d'adultes et synchroniser des talents d'efforts équilibrés est une chose délicate à faire passé 18 ans. Avant, c'est pas mieux.

Dans son équipe de 4, on sait déjà que Bianca ne fera rien. Ou moins que les autres. Et les équipes sont des piges aléatoires. Ma fille est donc avec 3 petites québécoises francophones. Elle en est la 4ème.

Et alors me direz vous?

Le devoir/film doit être fait en anglais. Et sa classe comporte 50% d'élèves dont l'anglais est la langue première. Cette école est assez cloche pour ne pas faire de classe d'élite en anglais afin de départagez ceux qui sont déjà dans la marmite depuis qu'ils sont aux couches et ceux qui ne faisaient que chanter des chansons en anglais, comme ma fille, pendant 3-4 ans seulement, au primaire. Ma fille a été suffisamment malchanceuse pour tomber sur une Tremblay, une Soutières et une Brouillard. Pour leur part, les trois autres devaient être euphoriques de se trouver jumelée à une Jones mais c'est un leurre. Ma fille parle aussi bien anglais que Nathan Beaulieu ou René Bourque parlent français.

"Je leur ai dit que mon père écrit beaucoup, qu'il est bon là-dedans, et qu'on serait responsable de l'histoire"

"On?"

"Toi et moi"

Oui j'étais d'accord avec tout ça. la seule phrase qui me chicotait était "il est bon là-dedans". Ça ne devrait jamais être un argument vendeur pour leur équipe car JE ne fais pas partie de leur équipe, MA FILLE does. De plus, et j'en ai fait la mise-en-garde à ma fille, il faut le moins possible promettre trop au risque de décevoir beaucoup. Il est toujours mieux de surprendre et d'étonner.
Undersell & overdeliver. C'est toujours comme ça que j'ai fonctionné. Et le risque est moins grand.

Peu importe, comme elle m'a annoncé ça à l'heure où elle se rendait au lit (traître russe) et que les trois autres exigeaient des preuves de nos talents d'écriture pour le lendemain, j'ai donc passé cette soirée là à concocter, seul, une histoire à filmer pour 4 jeunes filles.

J'aurais préféré ajuster une de leurs histoires mais bon, fallait faire avec ce que j'avais.

Comme la dernière fois que ma fille avait fait un travail d'équipe j'avais trouvé un angle humoristique à leur exposé en éthique, et que les rires avaient fusés en classe, j'ai opté encore pour l'option humour.

J'ai tricoté l'histoire d'une jeune fille qui se faisait piquer par une abeille, une autre lui demandait ce qui se passait (chaque personnage doit parler au moins une minute) et lui retirait son dard du pied. mais il en restait encore une partie, donc elle repartait chercher des outils, Arrivait une autre jeune fille qui échangeait avec l'éplorée et ne comprenait pas qu'elle puisse marcher nu pieds dans le jardin d'un autre. Ce passage était le plus drôle et le coeur du court-métrage de 5 minutes. Des dialogues dignes de Douglas Adams. J'essayais aussi de viser dans le coeur de jeunes adolescentes et me convainquait que je visais juste. La blessée, se reblesserait en prenant une rose et s'écorchant la main sur une épine. La dernière jeune fille allait se pointer du terrain pour se fâcher contre les deux autres qui sabotaient le jardin de ses parents. Du vrai Chico Marx.

Je n'avais pas vraiment de fin, mais je leur laissais le soin de conclure elles-mêmes, fallait bien qu'elles fassent leur part aussi, non? J'avais 6 pages. Ajuster à votre guise, mesdames. I don't care. Je vous remercierai lorsque l'Oscar viendra.

Ben le lendemain matin, Punkee me textait "Zont pas aimé ton histoire, on va faire un film d'horreur à la place, c'est moi qui ai trouvé l'idée, on la travaille en ce moment même ensemble".

J'étais à la fois content, pétrifié, et content à nouveau.
Content parce qu'elles créeraient leur propre histoire elle-même et je pourrais y jeter un oeil et aiguiller certaines choses si souhaité, comme je le voulais d'abord.
Pétrifié d'humilité parce qu'à la phrase "il est bon là-dedans", les trois ados avaient conclu un brutal "NON!"
Et content again parce que ma fille avait sauvé la face en trouvant la nouvelle idée enthousiasmante pour le quatuor de filles.

J'avais quand même en tête cette phrase merveilleuse de Jeffrey Eugenides, dans le premier deux minutes du somptueux premier film de Sofia Coppola*:

"De toute évidence docteur, vous n'avez jamais été une jeune fille de 13 ans..."

Ça s'appliquait tout à fait à moi.

Ma fille à la fin de ma journée, venant me voir:
"Alors, papa, on l'écrit ce film d'horreur?..."

Er....


*Sofia allait encore plus séduire les traducteurs et interprètes dès son second film.


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