Contraintes de vie/contraintes du contraire.
Aujourd'hui j'aurais dû être à Québec. Mais des contraintes de vie m'ont empêché de le faire.
Le père d'un de mes très bons amis est décédé.
Cet homme, qui avait emprunté dans la vie des chemins assez conformes, a mentalement fait tout le contraire. L'intérieur de sa tête depuis un an, deux, peut-être plus, a peu à peu implosé.
Par une splendide journée de soleil, ce mardi printanier, la chandelle s'est éteinte en après-midi.
La maladie d'Alzheimer touche autour de 15 000 personnes dans la région 03. Le père de mon chummey était parmi ceux-ci. Le deuil pour la famille a été amorti par un an ou deux de dégénération neuronale continue, ce qui fait que mon ami n'était déjà plus reconnu par son père depuis facilement un an. C'est la forme de son père qui a disparue mais bien peu de l'homme qu'il avait été pendant plus de 70 ans auparavant.
Parce qu'avant, mardi. aujourd'hui aux funéraires, il y avait eu la vie.
Une vie peuplée d'enfants, Deux grandes filles et un garçon comme petit dernier. Des petits enfants aussi. Avant d'être mi-chauve, il avait eu des cheveux. Avant de ne plus rien se rappeler, il était tombé amoureux de sa belle aux yeux bleus. Avant de susciter des pleurs, il avait fait rire et ri aussi.
Bizarrement, en fouillant sur le web, j'ai découvert que les bureaux de La Société d'Alzheimer de Québec étaient situés sur une rue sur laquelle j'avais grandi pendant 16 ans. Dans un édifice que je connais très bien, dont le stationnement arrière donne sur celui de l'épicerie. Dans ce même stationnement, il y avait pendant un temps un vieux panier de basketball à l'abandon. Avant que l'on en installe deux chez nous, c'est là que j'allais pratiquer mes lay-ups. Avoir été à Québec, j'aurais été revisiter les lieux. Et fait un don en personne sur place. (je le ferai pas internet).
J'aurais évoqué la proverbiale nostalgie. C'est ce que je souhaite à cette famille éprouvée, j'en reparlerai plus loin.
La maladie d'Alzheimer est une horreur. En plus d'être peu en mesure de freiner la dégénérescence du cerveau, il y a toute la honte qui habite le/la malade, Il y a aussi toute la fatigue, morale et physique, répandue chez les proches des gens atteints. Le père de ma belle-mère s'est aussi éteint d'une maladie cousine. Il avait plus de 80 ans. Il appelait toute les femmes "Georgette" car ça l'insultait de ne plus se rappeler. Son amoureuse elle, autour du même âge et fidèle et brave à ses côtés, se trouvait perpétuellement blessée de se faire crier des noms d'oiseaux car il tombait dans des excès de rage, la trouvant aussi envahissante qu'une employée d'hôpital trop zélée. La prenant pour une intervenante sociale.
Mourir d'Alzheimer, c'est mourir au compte-goutte. Je ne sais pas si on le réalise complètement la première fois. Quand on a détecté la maladie, je veux dire. Que c'est incurable. Peut-on vivre d'espoir quand même quand on sait que c'est incurable? Est-ce sain? Quand on est atteint de la maladie, est-ce comme être dans la phase de pré-sommeil ou sous hypnose? sommes-nous conscients de l'impact de nos dégénérescences publiques?
L'amoureux de madame M., qui portait le même prénom qu'elle, à deux voyelles près, savait-il pleinement qu'il s'engouffrait la traînant un peu avec lui? Pouvait-il se rappeler la jeune fille qu'elle avait déjà été?
Peut-elle, elle aujourd'hui. se rappeler le jeune homme qu'elle a épousé?
Parce qu'avant aujourd'hui, il y a eu la vie.
Avant le malade, il y a eu le jeune homme.
C'est de celui-là dont elle doit se rappeler. Celui qui l'a charmé, celui qui lui a plu. Celui qui lui a tricoté trois merveilleux enfants animés. J'espère que tout ça lui a accroché un sourire aux lèvres tantôr. J'aurais voulu être à Québec pour la faire rire. Lui faire tomber la tonne de livres qu'elle doit encore porter sur ses frêles épaules.
La fin de la vie de cet homme aura été tout le contraire de ce qu'on appelle "animé". Le courage obligatoire de madame à ses côtés restera admirable. Les méthodes de survie ne sont pas toujours évidentes pour tous. Mais elles sont toujours naturelles. Monsieur M. survivait à l'innommable lui aussi depuis un an, deux?, trois?.
L'Alzheimer est une véritable tare de société. La démence peut-elle atteindre les enfants? les petits-enfants? Dans un certain pourcentage, oui.
Pour chaque excès de rage de la part de l'un de ses enfants, causé par la fatigue , mon buddy se posera peut-être la question. lui, qui se bat déjà, d'une horreur à une autre, avec sa conjointe sur d'autres terrains de guerre, "est ce que cela pourrait-être?..."
Si l'homme avait perdu sa mémoire, ceux qui restent ont gardé la leur. J'espère qu'aujourd'hui celle-ci à trempée dans le nostalgique bonheur.
Se rappelant, ce qui a rendu le disparu si aimé par le passé.
Et non pas cet homme prisonnier de son corps en faillite.
Avant, il y a eu la vie.
Celle qui anime cette famille aujourd'hui en est toujours le fruit.
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