On essaie sur terre, de toute sorte de manière, de désigner le monde, de l'extraire du bruit. Trouver un sens à la vie, c'est essayer de restaurer le silence dans le bruit ambiant, ne serais-ce que puisse en surgir parfois une parole plus cardinale qui puisse nous rendre tellement bien dans nos têtes.
Pas facile d'être bien dans nos têtes.
Plus facile à écrire qu'à expérimenter.
Un homme devait cesser de travailler le matin même. Il avait en main un papier du médecin confirmant qu'il devait cesser de le faire. Il a déchiré ce papier, a fait fi des recommandations qu'il y avait dessus et a ouvert une grande brèche dans la planète qui n'avait d'égale que la fissure qui se taillait dans son cerveau. Il a plongé dans cette crevasse et a entraîné 149 innocents avec lui.
Il était malade. Il a fait souffrir des centaines et des centaines de gens.
Un autre, son coéquipier, n'aura jamais eu le temps d'aller à la salle de bain. Quand il le fera, ce sera fatal pour 144 voyageurs et 4 autres collègues de travail. Ce besoin commandé par son corps sera son dernier. Ce besoin que son corps lui commandait aura été la faiblesse attendue par le malaise du corps de l'autre. La baisse de la garde.
"Ouvre cette foutue porte!" sera comment on se souviendra de cet homme.
"Je voudrais que tout le monde connaisse mon nom!" sera comment on se souviendra de l'autre.
Parfois la vie n'a tout simplement pas de sens. Pour 149 personnes au mauvais endroit au mauvais moment, dans la trajectoire de la descente aux enfers cérébrale, ce fût le cas. Pour ceux qui leur survivent c'est pire.
La montagne as avalés les leurs pour rien en France, entre l'Espagne et l'Allemagne.
Avoir perdu le goût de vivre, c'est possible. L'imposer aux autres, c'est affreusement criminel.
L'austère philosophe allemand Emmanuel Kant avait ceci à dire sur ceux qui désespèrent non seulement d'eux-même mais du genre humain tout entier aussi:
Il faut croire aux progrès de l'humanité et en l'avènement d'un monde meilleur où les individus seront des personnes, c'est-à-dire des êtres libres, considérés comme des fins et non seulement comme des moyens.
Dans le monde futur qu'il imaginait au tournant du 19ème siècle, il pensait que la dignité de chacun sera reconnue, que la politique sera subordonnée à la morale, que la paix régnera entre les nations. Le règne des fins est un germe déposé en l'être humanité Il appartient aux hommes de la faire fructifier. C'est là que nous avons tous un rôle à jouer. Contribuer à ce progrès. Aider l'humanité à devenir meilleure. Être au service de la liberté, de la justice, de la dignité et de la paix non seulement personnelle, mais collective aussi.
Il faisait aussi une mise en garde en plaçant les gens dans deux catégories: ceux qui sont victimes de la vie et esclave de la morale, et ceux qui vivent vraiment faisant écho à force vitale qui est en eux. Si tu te sens éteint, passionne toi pour quelque chose. Intensément. Une saine intensité. Sois le surhomme.
En France, plus tard encore, et après avoir subi les tortures allemandes des Nazis, Jean-Paul Sartre considérait que la vie n'avait effectivement aucun sens, que nous sommes jetés dans la vie sans raison, sans transcendance, qu'il n'y a rien à se raccrocher, ni Dieu, ni bien en soi, ni vérité, ni salut. Toutefois, ce vide de sens doit forcer l'être humain à le combler de quelque chose. Et là est toute la beauté de la liberté. La vie n'aura bien le sens que l'on veut lui donner. Il s'agit d'abord de choisir.
Choisir.
Tu forgeras toi-même ta raison de vivre. Tu es libre, mais tu ne dois pas faire n'importe quoi.
Tu es responsable de ce que tu es, mais aussi responsable de tous les autres Hommes.
Responsable...voilà un mot dont assez peu comprennent le sens.
Il n'est pas un de tes actes qui, en créant l'homme que tu voudrais être, ne créera en même temps une image de l'Homme tel que tu estimes qu'il doit être. En te choisissant, c'est l'être humain que tu choisiras.
Pas facile de gérer tout ça dans une tête malade.
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Pendant ce temps chez nous, une jeune fille tente de donner un sens à sa vie en se regroupant avec des amis afin de manifester contre les mesures d'austérité du gouvernement Couillard. Au mauvais endroit, au mauvais moment, elle mange un coup de fusil en pleine bouche, dans une coordination de mouvement tout ce qu'il y a de plus imparfaite. L'agent est fautif, le groupe de la fille est fautif, les mesures du gouvernement, accessoires dans le drame.
Puis, vendredi dernier, de nuit cette fois, et à Montréal et non Québec, une flèche a atteint un policier en devoir face au même type de rassemblement.
Je ne sais pas encore ce qu'il faut extraire de tout ce bruit.
Mais je sais que sur la route qui donne un sens à nos vies, la crevasse se fait plus grande, jour après jour entre les forces d'un certain ordre et les rêveurs d'avenir.