Selon moi, il était le seul qui aurait pu faire un film sur Rimbaud, il en avait la sensibilité, l'intensité, les pulsions et le talent.
Fils cadet d'un couple de peintres, Chéreau sera initié à la culture dès son très jeune âge. Il rejoint la troupe de théâtre de son lycée mais faire l'acteur ne lui suffit pas. Il met en scène les spectacles de lycéens et se lance dans la conception des décors et des costumes. Par la suite, il étudie l'allemand et les lettres classiques au niveau supérieur avant de se consacrer définitivement à la scène.
À 21 ans, il met en scène Marivaux, puis Labiche, Reinhold Lenz et des auteurs chinois. Intense, frondeur, il divise autant qu'il attire. Il compte autant d'ennemis qu'il a de collaborateurs. Mais ses collaborateurs lui seront très fidèles. Le théâtre qu'il dirige dès ses 22 ans est très engagé, deux ans plus tard, ce sera la marmite de Mai 1968 qui explosera. Ce théâtre, le théâtre de Satrouville fait faillite en 1969. Chéreau se pousse vers l'Italie où il intègre le Piccolo Teatro de Milan. Il se met en scène en parrallèle, à Marseille, dans le rôle tître de Richard II. Il monte également une nouvelle version de Don Juan de Molière à Lyon. Ces deux spectacles montrent le soin maniaque qu'il a toujours entretenu vis-à-vis les décors.
De 1971 à 1977, il dirige avec Roger Planchon et Robert Gilbert le Théâtre national populaire de Villeurbanne auquel il donne de nouvelles ambitions, proches des idéaux de mai 68. Il y met notamment en scène Le Massacre de Paris de Christopher Marlowe avec une signature baroque, sombre et glauque. Un avant-goût de son chef d'oeuvre au cinéma réalisé 15 ans plus tard.
Son premier long métrage, La Chair de l'Orchidée, adaptation libre du roman éponyme de James Hadley Chase qui élabore un univers à la lisière du fantastique, privilégiant les thèmes du désir, de la folie et de la mort, est livré en 1974.
Chéreau invente un cinéma singulier, sensible à certaines recherches stylistiques et oscillant entre grand spectacle flamboyant et intimisme.
En 1973, il monte La Dispute de Marivaux.
En 1976, pour le centenaire du Festival de Bayreuth, sanctuaire du compositeur Richard Wagner, Pierre Boulez demande à Chéreau de mettre en scène les quatre opéras de la célèbre Tétralogie de l'auteur allemand. Sa mise en scène cause un scandale lors des premières représentations, avant de le rendre célèbre sur le plan international et d'être finalement saluée partout dans le monde jusqu'en 1980.
En 1979, Boulez fera à nouveau appel à lui pour la mise en scène de Lulu d'Alban Berg.
En 1982, il met en scène Peer Gynt d'Henrik Ibsen qui révèlera Dominique Blanc, son actrice fétiche.
De 1982 à 1990, Chéreau dirigera la maison de la culture de Nanterre où il fait découvrir Koltès et monte Jean Genet de manière originale. Il trouve également le temps de se consacrer à sa carrière de simple acteur, interprétant Camille Desmoulins dans Danton d'Andrzej Wajda ou Napoléon dans Adieu Bonaparte de Youssef Chahine.
Son travail de metteur en scène est rapidement et très largement reconnu en Europe pour son goût de l'innovation esthétique et de l'image fastueuse. Son inspiration visuelle et son lyrisme laissent une place importante au mystère, à la fantasmagorie, à l'hyper-expressivité des corps, mêlant sensualité et jeu d'acteurs archaïque (expressions grotesques, maquillage outrancier, gestes violents ou ritualisés).
Le cinéma sera aussi un terrain de jeu puissant pour Chéreau.
En 1978, il tourne son second film avec Simone Signoret, film qui ne sera pas son plus réussi.
En 1983, il co-scénarise son film le plus personnel avec Hervé Guibert, un autre homme intense et dérangeant. Il raflera le César du meilleur scénario original en 1984 (avec Guibert).
En 1987, il adapte Tchékhov de manière moderne et fait découvrir une toute nouvelle génération d'acteur dans un nouveau film qu'il présente à Cannes.
L'année suivante, au Festival d'Avignon il met en scène Hamlet de Shakesperare avec beaucoup de succès (primé d'un Molière entre autre) et il fait la rencontre du comédien Pascal Greggory qui devient son partenaire de vie.
En 1989, il met en images un chef d'oeuvre qu'il travaille avec Danièle Thompson depuis 4 ans. Il sera largement primé partout dans le monde pour ce fabuleux film, à voir, revoir et revoir encore.
Il se consacre à l'opéra, met en scène Strauss, Koltès et réalise un autre film percutant en 1998.
Le film récoltera trois Césars, ceux de la meilleure réalisation pour Chéreau, du meilleur second rôle féminin pour Dominique Blanc et de la meilleure photographie pour Éric Gautier.
En 2000, il tourne, pour la première fois à l'étranger et en anglais un film très intense tiré de certains récits d'Hanif Kureishi. Chéreau met ensuite en scène l'un de ses plus grands triomphes Phèdre de Racine. Sa mise en scène fait exploser la diction de l'alexandrin classique, le rôle-titre est confié à Dominique Blanc et celui de Thésée à Pascal Greggory.
En 2003, avec la sortie d'un film adapté d'un roman de Philippe Besson, il dépeint avec pudeur et retenue le drame d'une famille divisée face à la mort imminente d'un de ses membres. La même année il est Président du jury du Festival de Cannes qui couronnera sans surprise Elephant de Gus Van Sant, jumeau cosmique d'Amérique de Chéreau.
Deux ans plus tard, il adapte Conrad avec Isabelle Huppert et Pascal Greggory à l'image.
En 2007, il met en scène Tristan et Isolde de Richard Wagner à la Scala de Milan.
Fin 2008, il retrouve au théâtre sa complice Dominique Blanc dans La Douleur, d'après Marguerite Duras. Pour sa prestation, Blanc est récompensée d'un Molière.
L'année suivante, Chéreau présente son dernier film.
En 2010, il travaille au Louvres, sur une exposition d'abord puis sur une pièce de Jon Fosse.
Il travaillait sur l'adaptation d'un roman de Laurent Mauvignier en film.
Ses oeuvres traitaient des recherches plastiques, des réflexions politiques et de l'exploration des obsessions humaines.
Le Cancer l'a fauché lundi dernier. Il avait 68 ans.
Je ne sais même pas si il s'intéressait à Rimbaud.
Et ce film, je l'attendrai maintenant en vain toute ma vie.
Merci la vie pour Patrice Chéreau.
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