mardi 20 mars 2012

Les Sourdes Oreilles

Quand je serai vieux, je souhaite ne pas être comme eux.

Ma mère habite le 418. Quelle ne fût pas ma surprise l'autre tantôt quand dans la routine du matin j'apperçois de loin, à la télévision, un gros plan sur le nom de son immeuble à condominium et son adresse.

???

La son était presque inaudible car je l'avais laissé volontairement très bas pour ne pas réveiller la belle qui commençait sa journée plus tard au bureau ce matin là, mais en m'approchant du téléviseur j'ai compris pourquoi l'immeuble où réside ma mère était en vedette aux nouvelles.

Dans son immeuble du 418, de Québec plus précisément, ville de fonctionnaires/baby-boomers, la moyenne d'âge des hâbitants est autour de 55 ans. Arizona, ma mère, en a 63. Comme il s'agit de tours de condominiums, tout se décide en collégialité par l'intermédiaire d'un conseil d'administration de l'immeuble. Les heures d'ouverture de la piscine, à qui devrait-t-on donner le contrat d'entretien du terrain et à quel prix?, quelles devraient être les couleurs des tapis, devrait-on refaire la plomberie de tout le 13ème étage? qui devrait cotiser sur quoi? devraient-t-on permettre les barbecues sur les galeries?, etc. Mon père, de son vivant, avait le nez partout là-dedans pour occuper son hyperactivité. C'est le principe même des condominiums, tout se décide en groupe. C'est une démocratie en tout petit où les décisions se règlent entre gens qui prennent plaisir à faire de la microgestion.

Ils sont très nombreux dans cet immeuble classé dans la catégorie "condominium de luxe". Plus de 200. Parmi eux, se trouve un homme qui est devenu avec le temps de plus en plus sourd. Si sourd qu'il a maintenant besoin d'un chien-guide, un bouvier, ses braves bêtes si belles et si utiles, pour gérer son quotidien.

...Un chien-guide pour un sourd? Vous êtes certains qu'il n'est pas aveugle? Nonon, il est bien sourd. Et le chien lui est indispensable. Il est dréssé pour réagir quand on cogne à la porte, quand le téléphone sonne quand une alarme se déclenche, quand une minuterie de micro-ondes ou de four se fait entendre, etc. Un médecin lui a prescrit une ordonance l'obligeant, en plus de porter son appareil en tout temps sauf sous l'eau, à être accompagné de son chien-guide pour sa sécurité. Ce chien représente ses oreilles.

Toutefois un règlement du bâtiment souligne l'interdiction d'avoir des animaux de compagnie dans l'immeuble. Certains intolérants on souhaité l'expulsion de l'homme devenu sourd et de son chien. On prétend entre autres qu'il n'est même pas sourd puisqu'on l'a connu bien entendant auparavant. Comme sa surdité a été progressive sur plusieurs années, il a developpé la lecture sur les lèvres d'autrui il y a longtemps, il est donc très bon et ne parait aucunement sourd. Si ce n'était de son appareil sur la partie supérieure de son oreille et de la plaque de métal qui longe l'arrière de sa tête, on ne devinerait jamais que cet homme est restreint de quelconque façon. Il est très éloquent, il s'exprime bien, il a l'air du boomer traditionnel ni plus, ni moins. Puis, il tourne la tête et on apperçoit cet appareil qui fait en sorte que lorsqu'il l'enlève, pour se baigner dans la piscine disons, il n'entend plus rien. 

Mais ça les habitants de là-bas ne le croit pas. Il faudrait prouver sa surdité, lui pêter un ballon à l'hélium par derrière pour les satisfaire. Ils veulent son expulsion. Pas seulement à cause du règlement, ce serait trop bête, mais parce que certains font de très sérieuses allergies.

Mais le dernier étage pose problème...
Il s'agit d'un étage placé au sommet de l'immeuble, un étage qui ne contient qu'un seul logement d'à peu près 23 pièces et qui appartient au promoteur de l'endroit. Un homme riche, qui a amplement mérité son condo d'extrême-luxe mais qui se permet aussi d'avoir un chien lui aussi. Un golden. Chien contre lequel personne n'élève la voix. Ce chien-là est là depuis toujours. On l'apperçoit autant que l'autre et il laisse autant de poil sur les tapis, sinon plus car il était là avant l'autre, et doit donc causer autant d'allergies pour les poumons des habitants.

Le malentendant ne veut pas quitter les lieux, il se trouve très bien là où il est. Le conseil d'administration est à son tour devenu sourd à ses doléances et réclame son départ, les avocats se mêlent de tout ça, les médias aussi. Ils font le pied de grue à la porte de l'immeuble pour reccueillir les commentaires des gens qui y habitent. Ma mère a été interviewé alors qu'elle se rendait au gym, elle est passée à la radio manifestant son appui au pauvre homme. J'étais fier d'elle.

Mais quelle honte ces gens qui les veulent ailleurs, lui et son brave chien.
Je crois comprendre qu'ils n'acceptent pas le caractère "indispensable" du chien dans la vie de l'homme mais si il faut sacrifier ce résidant commençons d'abord par viser le golden du promoteur en premier. Non? Je soupçonne aussi un entêtement déraisonnable.

Cessons d'attaquer lâchement le moins riche des deux.
Le malentendant veut que le syndicat le laisse garder son chien et lui rembourse ses frais d’avocats, qui se chiffrent à 30 000 $. Le syndicat a annoncé qu'il va emprunter l’argent au fonds de réserve et le remboursement va se faire par une cotisation qui sera versée par tous les copropriétaires. 

Un vote récent, le 3 mars dernier, a fait gagner la cause du malentendant et de son chien mais on va en cour quand même car il fallait entre autres que 75 % des copropriétaires, qui représentent 90 % de la valeur totale du condominium, votent en faveur. Ce qui ne fût pas le cas. Ma mère, entre autre, était au Mexique lors de la tenue du vote, elle n'a donc pas voté. Coincidence que ce vote ait eu lieu le premier samedi de la semaine de relâche bandes de lâches? 

Alors qu'à Montréal, un animateur aux accents toniques parfaitement déréglés, faisait de la totalité de son émission une tribune sur le sujet, interviewant même "l'accusé", ma mère devait montrer patte blanche pour franchir le barrage policier et prouver qu'elle avait des raisons de se rendre sur place jeudi matin puisque des dizaines de manifestants se cambraient à l'entrée de l'immeuble en appui au pauvre homme.

Les vrais pauvres dans tout ça, ce sont ceux qui votent pour son éviction.

Le plus absurde dans tout ça c'est que les fumeurs sont admis. La voisine à ma mère empeste tout le corridor même si sa porte est fermée.

Mais ça...investir le poumon d'autrui par la nicotine et le goudron des autres, c'est beaucoup plus...normal?

Vous allez gagner Bob & Christina. On les auras à l'usure les intolérants.

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