J'aime le gris.
Les villes sont pleines de gris. L'asphalte, les gratte-ciels, les édifices à condominiums. Je suis un homme de ville.
La nuance est grise. L'éminence aussi, à ce qu'on dit.
J'ai intérêt à aimer le gris, mes tempes sont poivres et sel et quand je me laisse pousser la barbe, régulièrement depuis octobre, c'est aussi poivre et sel.
Ce matin-là je venais de lire une nouvelle de JG Ballard. Je dois ponctuer ma lecture de Ballard. Premièrement parce que ce sont 98 nouvelles, ça ne se lit pas tout d'un coup, mais aussi parce que chacun des univers qu'il nous présente me transporte si loin que de réattérir en 2012 au Québec par la suite en devient toujours un peu plus difficile.
J'ai écouté le court-métrage de Chris Marker, La Jetée par la suite. Ce photoroman de 26 minutes a inspiré des dizaines d'artistes. Gilliam, Spike Jonze, Bowie parmi ceux-ci.
C'est mentalement entre l'aéroport d'Orly et le coeur de Londres que la belle m'a ramené en 2012 dans le beige 450.
"Va falloir retourner le lavabo et le meuble que j'ai acheté hier, les mesures étaient pas bonnes".
Wach.
Je déteste retourner du matériel. Je suis contre en fait. Un consommateur devrait assumer ses achats. Si il y a un défaut de matériel, un retour est complètement justifié. Mais parce que c'est nous qui avons érré? avons changé d'idée? N'avons pas fait nos devoirs? Fuck it! Assume.
Mais bon. J'ai retourné la merde quand même. Ce faisant j'avais choisi de me mettre propre comme un cadre d'entreprise afin d'être aimable pour le gars/la fille des retours. J'avais mis un pantalon gris. Peut-être une coupe de 1996 d'après les regards que la belle a porté sur moi, mais bon, un pantalon plus chic que bum. Et j'étais frais rasé ce qui enlevait aussi une couche de "potentielle malpropreté".
J'ai toutefois remarqué que la fille du comptoir des retours me regardait le bas ventre (deux fois). Ce n'ai que là que j'ai noté que j'avais une tache de pâte à dentifrice entre le sexe et la poche gauche de mon pantalon gris. POUR MOI c'étais une tache de pâte à dentifrice car je savais que ce l'était mais pour la fille du comptoir ce pouvait être n'importe quoi. Et j'ai bien vu dans ses yeux qu'elle a pensé que c'était autre chose...Je n'allais quand même pas dire, en plein échange de lavabo et de meuble à lavabo, "Ce n'est pas du sperme madame, c'est du dentifrice". Et bien que je n'avais pas de raison de me sentir coupable, je me sentais horriblement... coupable. De son imagination potentielle qui était aussi un travers de la mienne. Je vous l'ai dit quand je lis Ballard, je réatteris difficilement sur terre dans ma réalité par la suite.
Et comme je ne pouvais laisser les choses comme ça. J'ai pris une grande inspiration et j'ai expiré encore plus profondément. Si profondément que je lui ai soufflé toute mon haleine au visage comme un séchoir à main l'aurait fait. Elle en a fermé le yeux avec tout ses longs cheveux lancés par mon souffle. La stratégie étant qu'en humant mon haleine, elle verrait bien que je m'étais brossé les dents et que le blanc sur mon gris ne pouvait qu'être du dentifrice. Alambiqué je sais.
Mais ma bête stratégie n'a pas fonctionnée. J'ai expiré si fort que les muscles de ma mâchoire sont passés inexplicablement en mode sportif et mon cerveau a dû enregistrer les commandes du verbe "cracher". Ce que je lui ai fais en plein visage. Sans le vouloir.
Bêtement entre ses deux yeux.
Fermés toujours, mais maintenant avec une bouche grande ouverte et outrée.
Elle avait eu le temps de me tendre la carte de crédit que j'ai saisi à toute vitesse avant de quitter les lieux en trombe.
Un garde de sécurité obèse à dû croire que je venais de faire un vol car il a tenté de me prendre en chasse. Je l'ai toutefois mis hors de combat assez vite en enlevant mon pantalon hyper rapidement (un lover sait faire ses choses-là avec talent) et lui tirant le pantalon gris-blanchi de mon malheur en plein sur le visage. Aveuglé, il est entré en collision viollement avec un poteau ce qui a fait un bruit si sourd que tout le monde en a été saisi. Il a roulé au sol et est tombé inconscient sur le champs.
Boule de suif au sol avec mon pantalon gris au dentifrice sur la tête.
Au volant de ma voiture, en caleçon et bottes d'hiver, j'ai remarqué la bouteille de Yop que j'avais bu pour diner sous mon poste de radio. Ce devait être ça le blanc, je tenais la bouteille entre mes jambes en conduisant.
"Qu'est-ce que tu fais en...en boxers?" m'a demandé la belle quand je suis rentré de l'extérieur.
"Y étaient vieux ses pantalons là, y étaient laids, j'ai essayé d'autre paires au magasin, rien ne me plaisait, je leur ai dit que je préférais revenir en caleçon que de les reporter. J'ai une fierté t'sais..."
"??? oui...pour revenir en caleçon avec des bas noirs et des bottes en hiver, toute une fierté..."
"Oui mais j'ai les tempes grises, on me prend au sérieux"
Pas la belle. Elle a repris sa carte de crédit et a visuellement questionné mon état mental sans rajouter quoi que ce soit. Sinon un autre regard au-dessus de son épaule, franchement inquiet de ma personne.
J'aime encore le gris. Mais pas le blanc.
Le blanc prête à confusion.
Et un écrivain ne veut pas faire face à la page blanche.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire