(tel que promis hier)
2004
La meilleure amie de ma conjointe, Djou-Lee Toutalovski, une amie qu'elle connait depuis ses 12 ans (elles en ont 33) depuis leur école secondaire de filles où elles rêvaient ensemble pendant 5 ans l'homme idéal, avant de nous rencontrer et d'affronter les princes déchus, est atteinte du cancer. C'est au chalet de mes parents, la première fois, qu'elle se découvre une bosse, du moins, qu'elle nous en parle, sur un de ses seins. Elle a été diagnostiquée du crabe il y a quelques années, et puisque jeune et en santé, le crabe progresse agressivement.
Après plusieurs mois de chimiothérapie, elle souffre tant que son entourage lui suggère des thérapies différentes, axées sur les plantes médecinales à l'étranger et moins ravageuses pour elle. C'est moins ravageur sur elle, mais c'est aussi moins ravageur pour le crabe. Qui ne diminuera pas. Nous la voyons, un dimanche, dans la région de Québec, où elle vit avec ses deux jeunes enfants, 5 et 7 ans. La plus jeune, a l'âge de mon plus vieux. Les deux 5 ans ne comprendrons pas complètement ce qui se passera.
Nos visions de certaines choses seront aussi ébranlées.
Après ce dimanche, heureux, où on soupe tous ensemble, elle est toujours malade, très amaigrie, mais on arrive à rire et à se détendre. Ce dimanche est une belle soirée. À la fin de celle-ci, on revient à Montréal et on fait notre semaine de travail, à Montréal.
Le vendredi soir, la belle et moi nous nous couchons. Enfin pas complètement. On pratique une gymnastique sexuelle comme seuls les vendredis ont été inventés pour. Il est tard dans la nuit. Tout juste passé minuit. Après nos efforts, corps à corps, ma conjointe commence à pleurer. Je m'inquiète aussitôt pensant l'avoir blessée dans nos rapports. Mais non...
"Hunty...Hunty...je viens de sentir Djou me passer à travers le corps...c'est...c'est tellement bizarre!...j'aime pas ça! "
Je la réconforte, on appellera pas à Québec à cette heure. On ne texte pas encore, en 2004, on se couche là-dessus, après quelques temps de réconfort. Toutefois, quand le téléphone sonne, samedi matin. 6h00 du matin, le père de ses enfants nous apprend qu'à 0h04, Djoulee a rendu l'âme. À 33 ans. Au moment où ma conjointe la sent lui passer à travers le corps.
J'avais beau ne pas croire en l'extranaturel, je me dois de me raviser sur cette position. On peut probablement visiter ceux qu'on aime avant notre dernier souffle. Quand on se sait partir.
2010
Mon père est décédé le 17 décembre 2009. Comme sa mort n'avait rien de prévu, avec ma mère ils avaient acheté un voyage en croisière, pour avril 2010, avec deux leurs amis de leur âge. Comme mes deux soeurs sont enseignantes et que moi je suis traducteur pigiste, travaillant de la maison, je serai celui qui remplacera mon père pour cette croisière. Paierai ma part sur place. Pendant le voyage, ma mère passe pour une cougar. Trois boomers et moi, 38 ans. Au retour, je serai fouillé à l'aéroport car j'ai l'air du jeune trafiquant de drogues qui s'est trouvé des boomers avec qui faire semblant de voyager. C'est un somptueux voyage que je n'aurais jamais pensé être en mesure de payer. Venise, Rome, Capri, Pise, Pompei, Athènes, cette île si blanche et bleue qu'on voit partout quand on parle de la Grèce, Istanbul, Barcelone. J'ai la bonne idée d'apporter une ciné caméra (pas encore de téléphone intelligent) Je filme beaucoup. J'ai encore tout ça qu'il faudra un jour copier sur un autre support. Ce que je ne filme pas, mais qui restera mémorable est ce qui suit.
Vers la fin du voyage, on est tous les 4 très fatigués. Ma mère, moi, les deux amis de mes parents. On choisit d'aller à une soirée karaoké sur le bateau. Mais on s'y prend tard et la soirée est populaire, on hérite de places dans le fond de la salle que personne n'a prises parce qu'on ne voit rien de ceux qui chantent, c'est derrière une colonne. Sur cette colonne, au moins, il y a les chansons et les paroles, avec la petite rondelle qui bouge pour marquer le rythme de chant sur les mots sous-titrés. À un certain moment, l'écran qui nous fait face, ne fonctionne plus. On a un écran bleu. Avec rien. Il nous fait face. Nous sommes le seul écran ainsi.
Puis, sur cet écran bleu, soudainement des paroles de chansons, mais il n'y a pas de musique en cours. Ma mère et moi nous demandons mollement qu'est-ce qui se passe avec cet écran. On s'en moque un peu. Jusqu'à ce qu'on remarque les paroles...on les connait ses paroles...c'est quoi déjà?
(...)
Les yeux pleins d'eau, ma mère et moi nous nous regardons et comprenons que la chanson dont les paroles défilent est la chanson préférée de mon père, celle qu'on a joué à son enterrement, à son dernier jour de retraite, en limousine la préférée de mon père et ma mère, ensemble. Il y a deux témoins, les amis de mon père et ma mère qui voient la même chose que nous. Nous ne sommes pas fous, le temps de quelques minutes, sur notre écran, pour nous seuls, les paroles de la chanson préférée de mon père ont une pastille sur chaque syllabe, sur un fond bleu, sans musique qui joue pour quiconque.
Ce moment nous renverse.
Baby I'm amazed by you.
We was. (sic)
Ces deux évènements me forcent à voir les choses différemment par rapport aux disparu(e)s.