Chaque mois, dans ses 10 premiers jours, tout comme je le fais pour la littérature (dans ses 10 derniers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: Le cinéma.
Je l'ai consommé, l'ai étudié, l'ai écrit, tourné, ai gagné du prix, le consomme encore goulûment, j'en suis sortit mais le cinéma ne sortira jamais de moi.
Je vous parle d'un film pour ses qualités de réalisations, de scénario, de cinématographie, d'interprétations, de style, d'audace, bref je vous parle d'un film, généralement tiré de ma collection personnelle, dont j'ai aimé pas mal tous les choix.
Celui-là, pourtant assez simple, je l'ai trouvé tout simplement fantastique.
Avant de me le procurer (après l'avoir découvert, au CEGEP, à la fin des années 80) j'étais tout simplement gaga d'avoir trouvé, sur Ebay, en provenance d'un pays d'Asie, l'ensemble des films de Bunuel pour 1$, Oui, oui oui, les 33 films de l'artiste espagnol pour un seul dollar. Je me suis couché la tête aérienne pour me réveiller dans la réalité du lendemain. C'était trop beau pour être vrai. Le vendeur n'avait aucunement les films de Bunuel. Comme les vendeurs sur les réseaux sociaux tiennent à leur réputation et il s'est confondu en excuses pendant trois jours. Suppliant la bonne critique, et moi, tenu dans le boudage, il a fini par m'envoyer "une pièce de monnaie rare". Qui n'avait aucune valeur pour moi et que j'ai jeté dès réception.
Peu à peu, j'ai réussi, avec le temps à trouver certains de ses films*, pour pas cher. Dont son meilleur, selon moi.
LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE de LUIS BUNUEL
Tous les films se moquent de nous. Mais les meilleurs sont ceux qui l'admettent d'emblée. Certains films prétendent révéler "la vérité" et veulent qu'on les prennent au sérieux. Les comédies, pour leur part, ont le droit de briser les règles. La plupart des films de Luis Bunuel sont des comédies. À peine déguisées. Et l'auteur ne s'arme pas de gags et de lignes punchées autant que de rires sournoisement glissés dans les côtes, de manière absurde et douloureuse. Et très drôle.
Dans L'Ange Exterminateur, un groupe d'invités se rassemble pour souper ensemble, savoure son repas, et reste prisonnier de la salle à manger. Ils passent mystérieusement la semaine à errer dans le sorte de manoir où ils étaient rassemblés, squattant, leurs comportements civilisés s'érodant au fur et à mesure que les citoyens curieux, la presse et la police vient les voir par la fenêtre comme on le ferait au zoo. Incapables, eux, pour leur part, d'y entrer. Le Charme Discret de La Bourgeoisie s'intéresse aux gens prisonniers de l'autre côté du miroir. Ils arrivent constamment quelque part pour y manger, arrivent à s'assoir, parfois, mais ne sont jamais capable de manger. Jamais. Ils arrivent le mauvais soir, sont alarmés de trouver un cadavre au restaurant ou sont interrompus par une opération de guérilla militaire.
Les repas sont le rituel des classes moyennes. Une table afin de montrer ses bonnes manières. Il s'agit d'un endroit pratique pour vanter ses richesses, en faisant quelque chose (manger) tout en ayant aussi autre chose à discuter (les plats), et est aussi un grand soulagement pour éviter de parler de choses dont on aurait jamais voulu parler. La bourgeoisie, c'est connu, a parfois peu à dire. Mais à surtout, trop souvent, beaucoup à cacher. Bunuel danse sur ce type d'hypocrisie. Sottises, adultère, trafic de drogue, tricheries, coup militaire, perversion, sont le bouillon servi en entrée par l'excellent chef espagnol. Ses personnages principaux sont politiciens, militaires ou riches. Un splendide personnage religieux (autre cible récurrent chez Bunuel) se travesti parfois en jardinier pour l'hôte d'une maison, qui n'en veut pas comme jardinier. C'est un imposteur. Ignorant. C'est la religion.
Bunuel tourne toujours en anarchiste, avec un non respect ponctuel pour l'autorité, et jouant du scalpel pas seulement dans l'oeil, mais dans la nature humaine aussi. Ses personnages (et ceux de son fidèle co-scénariste, Jean-Claude Carrière) sont souvent égoïste, narcissique, orgueilleux, et près à toutes les bassesses pour se montrer meilleur qu'ils le sont vraiment. Dès le début du film, on sait à qui on a affaire. Les personnages sont fiers, sûrs d'eux et porte leur position en société comme un costume. Fernando Rey est un ambassadeur rappelant le fier paon. Stéphane Audran est la riche hôtesse. Bulle Ogier, la soeur alcoolique, qui s'ennuie facilement. Ils se comportent tous comme si ils jouaient des rôles. Julien Bertheau est tordant dans le rôle du curé/jardinier. Dans les films de Bunuel, l'habit ne fait pas seulement le moine, il est le moine.
Le film est sequencé par moments de polies socialités, aspirations au luxe, suffisances, dévoilant la faiblesse de tous et chacun. Quand les invités arrivent, le couple hôte est surpris à faire l'amour. Ils ne peuvent se contenir et passent par la fenêtre pour mieux poursuivre leurs ébats, et reviennent accueillir les invités ébouriffés et des feuilles du buisson dans les cheveux. Plus loin, quand un coup militaire interromps un repas, un invité ayant réussi à se cacher sous la table, se trahit en étant incapable de résister à l'envie de manger du jambon sur cette table.
Voyez le style?
Bunuel (et Carrière) s'amuse(nt) et nous amuse. Il n'est pas toujours féroce (mais très têtu et farouchement indépendant), et surtout cynique. Il a tourné ce film à 72 ans. Un film lancé justement dans la merveilleuse année 1972. Le film a gagné l'Oscar du meilleur film en langue étrangère et s'est mérité une nomination pour le meilleur scénario original.
Bunuel trouvait que nous prenions le sexe trop au sérieux. Il nous place face à notre propre animalité. Il était cynique mais pas déprimant. On dit une chose mais faisons le contraire. C'est partout dans ses films, mais dans nos vies aussi. Ça fait de nous des gens mal? Non, des humains. Et de son point de vue (martien, chuuuuuuut!) des humains comiques à exposer. On a dit de lui qu'il était parfois cruel. Mais au contraire, je trouve personnellement qu'il a vite compris les multiples hypocrises de nos vies. Admettant aussi en être, lui aussi, un hypocrite.
Il savait qu'on était construit comme ça. Il arrivait à nous montrer, par l'absurde, qui on était parfois.
Et en extrait tout le ridicule.
Il avait compris que le meilleur moyen de s'en guérir était d'en rire.
Ce type de cinéma, d'audace, me manque.
*J'ai aussi trouvé La Voie Lactée et Belle De Jour pour moins de 20$ et compte me dénicher Cet Obscur Objet de Désir et Tristana.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire