Tordu voyageur sonore en moi cette semaine.
Je vous le présente.
Je ne sais trop comment, en consultant ceci-cela, les algorithmes du net me recommandaient le livre 31 Songs de Nick Hornby. J'ai connu Hornby par le film High Fidelity, adapté d'un de ses livres, que j'avais beaucoup aimé. Hornby est auteur anglais de About a Boy, Fever Pitch, aussi adaptés en film. J'ai même un film adapté de sa main que j'aime bien dans ma besace. Il est très axé sur la musique, l'univers de la musique, ses vedettes, ce sont des thèmes omniprésents dans certaines de ses oeuvres et son livre semble, en quelque sorte, être une liste de lecture très personnelle, dont il explique l'intérêt des morceaux pour lui. Il a une belle vie tout de même. C'est plus de 5 millions de fois qu'il a vendu dans le monde.
Afin de rééquilibrer la relative monotonie de ma journée à pianoter des chiffres et copier/coller du excel pour ma compagnie de recyclage, j'ai choisi d'écouter les 31 chansons qu'il proposait dans son livre (réussi à en trouver 29), en travaillant.
J'ai découvert la plupart. Pas tout aimé. Importé au moins 3 ou 4 morceaux. Mais surtout j'ai été transpercé d'un spectre. "Une expérience qu'on ne vit qu'une fois" dit Nick Hornby dans son livre de cette chanson.
Frankie Teardrop de Suicide.
Heureusement, si vous lisez les commentaires de l'hyperlien, vous verrez que les gens ont vite pris la direction de l'humour pour ironiser autour du morceau.
La chanson est issue du premier album de la formation Suicide, lancé en 1977. La chanson raconte l'histoire d'un jeune père de 20 ans, vivant dans l'extrême pauvreté, perdant son emploi dans une usine, ce qui le conduit à la folie. Il revient à la maison, tue son enfant et sa femme, et se suicide. On continue à le suivre en enfer dans la chanson. La musique derrière est plus ambiante que rythmée, et vous devinez que c'est plus hanté que festif. Un riff aux claviers, une batterie électrique, et surtout, la manière qu'a choisi Alan Vega de...je ne dirais pas chanter, mais réciter le texte est tout à fait angoissant. Il utilise un ton sombre, paniqué, comme le suggère le texte. Mais il crie aussi. De manière saisissante et presqu'inhumaine. Ce qui ajoute à la nature claustrophobique du morceau de plus de 10 minutes.
La pièce a reçu une attention particulière dû au nom du groupe (bien entendu) et à la nature très dérangeante du contenu de la chanson. Le site de musique Allmusic, une bible de référence de la musique de toutes sortes, dit de ce morceau que c'est une vision claire, plus littéraire et politiquement poétique que le travail de bien des groupes aux philosophies radicales plein la bouche. Bruce Springsteen a été hanté 6 ans par la chanson avant de la citer comme une influence importante pour l'écriture et l'enregistrement de son album Nebraska.
Le magazine musical Pitchfork a dit de la chanson que c'était celle du groupe qui suscite le plus de commentaires et que si le band passerait à l'histoire, ce serait pour ce choix lugubre. Le magazine a aussi ironisé en disant que la chanson était une sorte de Taxi Driver en "comédie" musicale.
Lou Reed a dit qu'il aurait souhaité avoir composé ce morceau.
L'animateur de radio Tom Sharpling avait un segment ponctuel de son émission de radio The Best Show, où il invitait les auditeurs (et les appelants, c'est une émission de lignes ouvertes) à relever le défi Frankie Teardrop. Débuté en 2013, ce défi consistait à écouter le morceau le plus fort possible, dans des écouteurs personnels, la nuit, seul(e) et de s'imaginer les situations les plus terrifiantes qui soient. Et d'ensuite appeler à la station et de parler de leurs impressions sur l'expérience vécue. Peu arrivait à l'écouter au complet. Scharpling, afin de prendre le contrôle absolu du la frayeur potentielle du morceau, fragmentait souvent celui-ci, faisait des montages et des collages sonores.
Ce qui est toujours une splendide manière de contrôler ses peurs. Le prendre de front et la modeler à sa façon.
Mais dans cette semaine de la discussion autour de la maladie mentale, je n'ai pas pu faire autrement que de penser à ceux qui n'ont jamais rappelé Scharpling. Honorant peut-être le nom du groupe de Martin Rev et Alan Vega. Deux expérimentateurs sonores de New York qui ont produit ensemble irrégulièrement entre 1977 et 2016.
J'ai pensé à Christian Daigle qui n'a pas fini la semaine. Ou qui a tout fini cette semaine...
Une version a été enregistrée par Lydia Lunch et me paraît moins intense. On comprend à peine les paroles. Elles sont plus en sourdine. Et elle évite les cris. Même les claviers sont plus polis et plus en avant-plan.
Une autre version, un demo, de la formation Suicide, frôlant les 13 minutes, se nomme Frankie Teardrop the Detective Meets the Space Alien, raconte aussi une toute autre histoire. Frankie est détective, un vétéran du Vietnam ayant tué plus de cent fois là bas. Il pourchasse et défie un extra-terrestre. Vega crie vers la fin aussi, mais c'est nettement moins dérangeant puisque le contact avec une réalité reste inexistant. Et son passage au Vietnam suggère un traumatisme ne justifiant pas de tueries ailleurs, mais offrant une source de déséquilibre. Bien entendu, j'ai écouté deux fois tout ça.
On a que nos imaginations à craindre.
J'espère que tout ceux qui luttent avec des démons intérieurs ont gagné leur combat cette semaine.
Et continueront toujours de le faire en tout temps.
La maladie mentale est une bête qui se dompte. Difficilement mais qui se dompte. Seul ou en équipe. Préférablement, en équipe.
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