Lewis Brian Hopkin Jones était le magicien noir des Rolling Stones. C'est par lui que Robert Johnson s'est rendu aux oreilles de Keith Richards. Mick Jagger chantait du Buddy Holly. C'est Jones qui l'a tourné vers l'harmonica de Little Walter. Alexis Korner disait à Jones qu'il ne devait pas se rendre à Londres, que c'était inutile. Que le blues ne serait jamais grand public.
Depuis trois quatre ans, Brian Jones se sépare progressivement de sa famille. L'excellent élève, voir le nerd, se détache de l'école et s'investit férocement dans le jazz d'abord puis, dans le blues. Il applique son intelligence et son zèle sur l'apprentissage d'instruments, qu'il fait tout seul. Le saxophone, la guitare, l'harmonica. À 19 ans, il en sait déjà beaucoup sur son instrument (la guitare) et sur la musique, en général. Il joue beaucoup et il lit beaucoup sur le blues. Il ne quitte pas Cheltenham, où il a grandi, il fuit la région. Il a non seulement enfanté plusieurs jeunes femmes, dont une mineure (mais il avait lui-même tout juste 18 ans) mais sa famille est devenue nettement dysfonctionnelle à la mort précoce de la soeur de Brian, qui était tout juste un an plus jeune que lui. Et elle était morte à l'âge de 2 ans, de leucémie. C'était une longue agonie familiale. Peut-être que ses proches auraient été dysfonctionnels de toute manière, mais en mars 1962, les ponts sont définitivement coupés entre lui et ses parents. Et Jones est une telle merde socialement que son autre soeur sera empêchée de devenir enseignante, simplement parce qu'elle porte son nom.
Jones logera au 102 Edith Grove, à Londres.
1962.
Fortement investi dans les sessions de Blues avec Alexis Korner, BJ arrive à Londres avec une réputation. Il est jeune, il est charmant et il est surtout excellent à la slide guitar ou à la bottle neck. Il sait jouer des choses qui prennent généralement beaucoup de temps à apprendre. Confiant, il choisit de partir son propre band qu'il nommera d'une ligne d'une chanson de Muddy Waters. Il choisit en premier un grand jeune homme de 21 ans, Ian "Stu" Stewart, un pianiste qui lui, manque de confiance. Ensemble, ils choisissent ensuite Dick Taylor à la base et Keith Richards, à la guitare. Ce dernier ira même habiter au 102 Edith Grove. Il apprendra beaucoup de Jones. Si Jones est plus ou moins sans famille (par choix), Keith n'a qu'une mère, qui lui apporte parfois des repas, et prend son linge pour le laver. BJ et Keef sont un temps très près l'un de l'autre. Mick Jagger est choisi pour chanter. Il habitera aussi au 102 Edith Grove. Mais y sera moins souvent. Parce qu'investi aussi à la London School of Economics. Fils d'enseignant en éducation physique, il est issu d'une famille assez aisée et unie. Tony Chapman est souvent absent à la batterie, et plus souvent à Liverpool. Quand le 12 janvier de cette année-là, à Londres, les Rolling Stones jouent leur tout premier grand concert, des reprises du blues, c'est Mick Avory, qui est à la batterie,
1963.
En décembre 62, le mot commence à se passer que le band de BJ est assez cool à aller voir en spectacle. Le tranquille Charlie Watts, à qui on avait offert le poste de batteur, commence à les trouver plus intéressant et cette fois dira oui. Dick Taylor ira co-fonder les Pretty Things. On voudrait un bassiste régulier mais on ne le paie que 10 livres sterling par semaine. Les bassistes qui jouent avec eux sont habitués aux 40 livres payés par d'autres. Mais Bill Perks est issu de l'extrême pauvreté où on coupait une patate en 6 pour souper. Il trouve le 102 Edith Grove dégueulasse (lui rappelant sa misère familiale, surement) mais reste avec les boys quand on lui demande d'être le bassiste. Un an et 2 jours plus tard, au Flamingo, la formation des Stones sur scène comprend Perks, qui a été un temps, Lee Wyman, mais qui se choisit Bill Wyman comme nom de scène, à la base. Ils pratiquent grâce à ce jeune ingénieur de son, Glyn Johns, qui leur offre du temps de studio gratuit. Une carte de mode, Andrew Loog Oldham, devient leur gérant, avec le plus froid Eric Easton aussi gérant. Oldham s'habille avec du Mary Quant et a travaillé avec Spector et Epstein. Ça les fait fréquenter les Beatles qui verront en Jones, toujours le leader des Stones. Les Beatles leur donne une chanson, mais la font superviser en studio par un des leurs. Oldham veut vendre ce qu'il voit sur scène quand ils y sont: du sexe. Brian en étant le plus vil projecteur/agresseur. Ça implique de sacrifier Stu. Le premier que Brian avait choisi. La fissure sera lourde. Ils seront de l'émission Ready Steady Go!, Jagger est toujours étudiant de la LSE. Le leadership de Jones est gauche. Il est sombre. Narcissique. On dirait parfois prisonnier d'une claustrophobie adolescente. Quand Stu, déjà brisé de l'intérieur, découvre que Jones s'octroie 5 livres sterling de plus que ses amis, par contrat, avec la complicité d'Easton. Un lien est brisé pour toujours. Le respect n'y est plus entre les boys.
1964
Oldham, obsédé par le succès des Beatles qu'il veut accoter, exige que l'écriture des chanson soient un tandem du genre McCartney/Lennon. C'est ce qu'il fait pour un autre de ses clients, The Small Faces, dont les chansons sont signées Marriott/Lane (Même si c'est Marriott qui écrit tout). Les Stones seront Jagger/Richards. On ne peut pas faire toujours les chansons des autres. Jones ne s'organise pas bien pour composer. Il arrange merveilleusement, mais composer un morceau en entier, il n'en a pas la discipline. Le pouvoir change de mains dans la fratrie. Mais pour le grand public, ça ne parait pas trop. C'est encore le beau blond, la bête de sexe sur scène. Quand on arrive aux États-Unis, on leur demande si ils se sont douchés une seule fois dans leur vie. Jones lève son bras et leur demande de venir sentir pour vérifier. Il y a encore du leader en lui, il a de la répartie. Mais le style de vie, le stress des tournées, les nuits blanches, les abus d'alcool et de drogues, l'auto-destruction qui loge en lui lui creuse de lourdes poches sous les yeux, difficiles à masquer. Aussi cruel que Jones ait pu l'être avec les autres (les femmes surtout), Mick & Keith commencent à l'être contre lui aussi. On quitte sans lui si il n'est pas là à l'heure. Bill & Charlie sont ceux qui, parfois, réussissent à modérer leurs cruautés. Très asthmatique et d'une santé extrêmement fragile, le style de vie, le détruit déjà. Oldham, Jagger & Richards habitent ensemble, ça l'exclus de bien des complicités, mais en studio, il gère encore. U.S. blues with an english twist. On ne lui pardonnera jamais les 5 quids.
1965
La drogue, l'alcool aussi, rendent BJ paranoïaque. Mais les complicités adverses dans le triumvirat Oldham/Jagger/Richards et le rejet de ses débuts de compositions y sont aussi pour beaucoup. Il arrange du la finesse au clavecin ici, fait des voix arrières là, du xylophone, mais à la production on l'étouffe. Il devient le Rolling Stone esseulé. Il multipliera alors les sorties avec les autres. Le batteur de Vince Taylor, Jack Nitzsche, Toni Basil, Wallace Berman, Eric Burdon et Hilton Valentine des Animals, Nico, Zouzou et Françoise Hardy Chez Castel, en France. C'est là qu'il rencontre Anita Pallenberg avec laquelle commence une relation amoureuse. Voulant fuir un conflit où il est en minorité, il disparait pendant une tournée aux États-Unis, mais réapparait pour une apparition télé. Le ressentiment est absolu chez les 4 autres. (I can't get no)Satisfaction, composée par Keef(inspiré ici) et dont les paroles sont de Mick encapsule complètement BJ. Le titre représente BJ complètement, la tonalité de guitare trouvée par Keef le place guitariste innovateur devant ce que BJ semble en mesure d'offrir, les paroles sont subversives et placent les Stones dans la position de vrais bad boys of rock. BJ perd le contrôle de son band. Mais il est riche, et ne voudra pas quitter le bateau alors qu'il a pris une pleine vitesse de croisière. Quand la porte de la décadence est entrouverte, Jones l'ouvre du pied et l'agrandit pour s'y faire une place. Avec Pallenberg ils deviennent un couple diaboliquement sexy. Marianne Faithfull, copine de Jagger se lie d'amitié avec Pallenberg et les positions de pouvoir se redéfinissent. Jones et Pallenberg n'ont qu'à se faire poser ensemble et tout le monde y voit ce qu'il y a de plus cool. Il co-écrit un des meilleurs morceaux des Byrds mais se moque d'en être crédité. Jones est ailleurs. (les Jones aiment se sentir ailleurs...). Au contact de Mimi et Richard Farina, il se procure et apprend le dulcimer.
1966
Hypersensible et à la fois fort immature, il irritait. Il devenait une cible facile de vengeance cruelle. Comme quand Oldham/Jagger/Richards lui font reprendre des morceaux de harpe en studio (Jones joue de tous les instruments qu'il s'apprend tout seul) au point de saigner des doigts, mais "oublient" de l'enregistrer une seule fois. Toutefois, son extrême sensibilité est aussi une qualité d'artiste. Et sur Aftermath et Between the Buttons qui suivra, l'oreille attentive saura reconnaître l'apport de l'aventurier des sons du band qu'il était. Brian, auprès de Pallenberg, devient une carte de mode. Il est parfois crapaud en privé, mais prince en public. C'est le Stones que les Beatles invitent pour les sessions de Yellow Submarine, les bruits de verres sur la chanson titre sont de lui. Sur les trois albums entre avril 1966 et décembre 1967, le couleur des tons comprise par Jones reflète cette envie qu'il avait de "penser les sons en dehors de la boîte". Il n'en sera jamais franchement crédité. Xylophone, orgue, dulcimer, clavecin, synthétiseur moog, flûte, flûte de pan, harpe, saxophone, sitar, percussions, piano, guitare il joue de tout. Paint it Black est entièrement composée musicalement par Wyman/Watts et Jones mais créditée au final Jagger/Richards. Le narcissique n'est pas difficile à convaincre dans les tenues vestimentaires extravagantes proposées par Pallenberg. Keef se colle de plus en plus à eux deux. Pour des raisons...complexes. Une tournée aux États-Unis, leur 5ème, sera la dernière de BJ. Avec Anita et leur ami Christopher Gibbs, ils voyagent au Maroc. Il en revient aussi troublé que plein de nouveaux sons en tête. Il s'y casse un poignet en se chicanant avec Anita (en frappant contre le métal, de rage) et passe une partie du voyage à l'hôpital. À son retour, Il propose un morceau à la flûte, et il joue aussi le piano à Keith et ensemble ils composent un de leurs meilleurs morceaux. Jagger/Richards crédités auteurs, encore. Eric Easton était le dernier support réel pour BJ, et il est maintenant parti. Jones est seul à nouveau. Quand l'ami commun d'Anita, Keith et Brian se tue le 17 décembre, les trois le pleurent ensemble, même si la fille entre les deux hommes désire les deux hommes et que Jones implose sur le sujet.
1967
Anita a tourné un film avec Volker Schlöndorff. BJ a proposé au jeune cinéaste allemand d'en faire la trame sonore. Schlöndorff lui dit qu'il n'a pas l'argent pour le payer. Jones lui dit qu'il le fera gratuitement. Mais le processus créatif sera terriblement ardu. Il n'est jamais prêt, a besoin d'être constamment rassuré, travaille tard et dans la nuit, et reste immature et difficile. Le mauvais leader, encore. Incapable de décisions claires comme un Jagger. Un voyage en Europe et en Afrique place Jones encore à l'hôpital et Richards et Pallenberg devenu amants. Mick vient les rejoindre. Brian est pneumoniaque. Profitant d'une xième errance de Jones, ses "amis" se poussent et l'abandonnent sur place. Jones est blessé par le total abandon. Andrew Loog Oldham remercié parce que trop enclin à la dépression et sous l'emprise de beaucoup de drogues, l'enregistrement du prochain album prendra une éternité à se faire puisque c'est Oldham qui en gérait le budget et les plages horaires. Mais il y a aussi ceci: une nouvelle loi, vieille de deux ans, permet de faire des descentes de police là où on pense y trouver de la drogue. Il y a surtout un département de police qui veut se faire de la publicité. On coince Mick et Keith mais c'est Brian qu'on visait. La police planque un portefeuille plein de cannabis dedans, chez Jones et l'accuse de possession. Bien qu'il ne fasse aucun doute qu'il ait déjà beaucoup consommé de drogues par le passé, ce jour-là, il n'en a pas, et n'a pas consommé, tout est fabriqué. La suite sera catastrophique. Depuis un an, on tente de coincer Jones au moins 7 fois, cette fois, on en a assez, on triche. Jones est leur victime idéale. Paul McCartney offre son aide et invite BJ a participer à un de leurs morceaux. Jones y jouera du saxophone vers la fin. Toutefois la chanson de John Lennon ne sera publique que trois ans plus tard, alors que les Beatles et Jones ne sont plus qu'histoire ancienne. BJ leur donne raison et plonge dans les Qualuudes sur la côte Ouest. Il sera parfaitement dégénératif, parfaitement non coordonné des mouvements et avec une envie continuelle de dormir dès juin. Et complètement immature. Il voit de la cocaïne quelque part, la consomme, sans demander c'est à qui, sans penser la repayer. Il boit aussi beaucoup. BJ est fort probablement bipolaire non diagnostiqué. Il reste celui qui collabore le plus à l'album en cours. Avec Wyman. Un album que personnellement, j'adore, mais que les Stones n'aimeront jamais. Et qui restera comme BJ, incompris. Brian utilise le mellotron pour la chanson We Love You. Notez à quel point il semble "ailleurs" dans le clip...Jagger et Richards détestent cet album. Quand ils supervisent la conception de la pochette de compilation Flowers, les représentant tous dans des fleurs, les fleurs de Wyman et Jones sont d'une couleur différente et sans feuilles. Les deux dont on voudrait se débarrasser.
1968
Jones évite la prison mais sera interdit de séjour an Amérique et doit bien se comporter pendant 3 ans. Il traine avec celui qu'il connait depuis longtemps et qui commence à faire jaser, Jimi Hendrix. De retour en studio, sans Oldham, les autres Stones se choisissent un nouveau producteur en Jimmy Miller, sans consulter Jones. On est plus gentil avec lui et on retourne même au son blues qu'il affectionne depuis toujours. Mick en particulier lui offre toute la place qu'il souhaite. Mais BJ est dans une spirale abysalle sans fin. Une plongée auto-destructrice qui aura une fin. Il y avait pourtant espoir, il venait de signer une trame sonore entière. Il avait prouvé savoir composer en entier. Il retourne au Maroc pour y enregistrer des sons qui piquent sa curiosité musicale, mais l'endroit lui rappelle l'abandon de ses frères, la fissure, Anita qui le quitte pour Keith, la blessure. Il ne fera rien de ses enregistrements. Sur l'album des Stones qui les ramenait au son de leurs racines, (le son de Brian), il collabore dignement à la guitare slide sur No Expectations. Il est aussi responsable de ce fameux son en fin de chanson. Pour fêter la fin de l'enregistrer de l'album, on visionne en privé le dernier film de Kubrick: 2001: a Space Odyssey. À son retour à la maison, la police fait un autre raid et y retrouve du cannabis. Il sera encore accusé au criminel. Jones est mentalement réduit à l'état d'enfant. Quand Godard filme le groupe en juin, Jones est un fantôme sans abri fugitif. Il fût un temps où il dormait tout le temps, maintenant, il ne dort tout simplement plus et son corps s'en trouve très affecté. Un autre voyage au Maroc, où il enregistre les sons de Joujouka, lui redonne vie. Mais il est à nouveau trouvé coupable pour possession de drogue et continue d'en absorber en grande quantité. Quand les Stones tourne leur Rock'n Roll Circus, les invités sont tous abasourdis de ne plus le reconnaître. Il est physiquement sur place, mais mort de partout ailleurs.
1969
Les Stones sont sur un bon momentum. Mais ne pourraient plus aller aux États-Unis en raison de Brian. Il est devenu un vrai problème. Il collabore en février aux percussions pour Midnight Rambler et à la harpe pour You Got Silver, Il participe à une première version de Honky Tonk Women, mais on reprend le morceau autrement, sans lui. Et avec celui qui le remplacerait. À la fin de l'enregistrement du morceau Sister Morphine, Mick se rend à un Brian Jones assis, amorphe, fixant le vide en studio "Just go home, Brian". Quand Mick, Keith et Charlie se rendent chez lui, tout le monde s'entend pour qu'il quitte le band qu'il avait fondé, 7 ans avant. Jones est plein de projets. Il veut lancer un disque sur ce qu'il a découvert à Joujouka. Il côtoie Alexis Korner à nouveau. Ils ont des plans de jouer ensemble mais Jones ne semble plus capable, ni intéressé à reprendre la guitare. Il semble avoir peur de tout. Est enthousiasmé pour des riens, mais tombe dramatiquement dépressif aussi vite. Prenant trop de vin par jour, il a une bedaine d'alcoolo. John Mayall est invité chez lui et voit bien qu'il n'est pas en mesure de jouer de la musique. Son cerveau ne suit plus ses mains. Celui qui apprenait tous les instruments à l'oreille ne fait plus que taper du tambourin comme un enfant. Il est définitivement perdu.
On le perd pour vrai le 2 juillet, un peu avant minuit, retrouvé noyé dans sa piscine. Sa mort sera le sujet d'une autre chronique un jour, celle-ci s'éternise. Il n'avait que 27 ans. Lourdement asthmatique et très intoxiqué ce soir là, ont conclu à une mort accidentelle. Son foie et son coeur seront d'ailleurs, irrécupérables.
Son ami Jimi Hendrix lui dédicace une chanson, Jim Morrison lui compose un poème. Pete Townschend en écrit aussi un superbe qui sera publié dans le Times. Trois jours plus tard, le spectacle gratuit au Hyde Park de Kensington, qui devait être le spectacle de présentation du nouveau membre Mick Taylor, devient un spectacle hommage à Brian Jones.
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