Au Boulevard des Moulins, dans la vitrine de Artcurial de Monaco, toute la semaine dernière, logeait un dessin à l'encre de Chine, de gouache et d'aquarelle, sur fond noir, signé de la main de George Rémy, connu à travers le monde sous le pseudonyme de Hergé, créateur de Tintin.
La pièce en question devait être la couverture du cinquième livre, chez Casterman, des aventures de Tintin, Le Lotus Bleu. Il avait été jugé trop complexe à reproduire, trop fin, La proposition avait été refusée et on lui avait préféré une version plus simplifiée. Le dessin original de 1936, qui avait été plié en 6, a été vendu dans un encan pour la modique somme de 4,87 millions de dollars. Ce qui est un nouveau record, qui était aussi celui d'Hergé, dont on avait vendu des pages de gardes de certains de ses albums, vendues en 2014 pour 3,85 millions de dollars.
Le Lotus Bleu est une oeuvre importante dans l'ensemble de ce qu'à créé Hergé. Dans son premier effort, le journaliste Tintin était chez les Soviétiques. Dans le second, le reporter était au Congo. Dans le troisième, chez nous, en Amérique. Et dans le quatrième, le premier qui ait un titre différent que Tintin quelquepart, il se trouvait en Extrème-Orient pour Les Cigares du Pharaon. Ce dernier album présentait pour la première fois les détectives Dupont et Dupond et le vilain Rastapopoulos. Dans ces 4 albums, avec le temps, on avait critiqué la naïveté et Tintin, au final n'était qu'un redresseur de torts. "torts" parfois nourri de lourds préjugés. Hergé lui-même l'avait admis, il ne connaissait aucun de ces pays et s'était inspiré de ce qu'on en racontait, nécessairement des impressions et des ouïes-dires. Nous étions dans les jeunes années 30. Le Lotus Bleu est publié en 1936.
Hergé avait annoncé publiquement que Tintin allait vivre des aventures en Chine. Nouvelle qui s'était rendue aux oreilles d'un aumonier chinois qui avait alors pris les devants et écrivant à Hergé et en l'invitant à ne pas reproduire les Chinois comme des caricatures ou de les décrire nourris pleins de préjugés. L'aumonier l'invitait à se renseigner, lui suggérant même de l'aide sur le sujet.
En effet, Hergé avait, dans ses albums précédents, représenté des Chinois de manière légèrement péjorative. Dans Tintin au Pays de Soviets, Tintin est fait prisonnier et est torturé par deux Chinois. Dans une première version de Tintin en Amérique, il se fait aussi enlever pendant une réception tenue en son honneur, menacer d'être envoyer au fond du Lac Michigan et deux complices Chinois menacent de manger Milou...rien de moins...
Hergé est ouvert à l'idée d'aide et sera mis en contact avec l'étudiant et futur artiste et sculpteur Zhang Chongren. Le jeune "Tchang" changera la vie d'Hergé. Celui-ci fera de riches dossiers sur l'histoire récente de la Chine, sur les moeurs, sur la culture de l'endroit, sur ses gens. Il prend conscience de l'impact que ses dessins et ses personnages ont sur le monde. Il sera complètement en immersion chinoise et recevra même des conseils culinaires sur l'alimentation chinoise. A-t-il été endoctriné? Certains le prétendent. Mais une chose est certaine, son oeuvre change. Et Hergé se lie d'amitié pour la vie avec Tchang.
Pour la première fois, dans un de ses albums, Tintin a des émotions. La narration est aussi différente, avec des idées placées ici et là comme des perches à explorer plus tard, alors que dans les albums précédents la narration était plus linéaire.
Autre nouveauté, il s'agissait d'une suite aux Cigares du Pharaon. Faire de deux albums une seule histoire est un concept qu'il reprendra quelques fois dans le futur.
Mitsuhirato sera un terrible ennemi pour Tintin dans cet album. Chef d'une filière japonaise (tiens, tiens..nationalité suggérée par Tchang...?) de réseau de trafic de stupéfiants. (divulgâchis) Ce personnage se fera hara kiri en fin d'album, ce qui représente aussi le tout premier mort dans les aventures de Tintin.
Tintin y verse aussi l'une de ses rares larmes.
Gageons que personne n'a versé de larmes à la réception de tous ses millions pour les coups de griffes d'Hergé.
Qui ne finira jamais de faire jaser.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire