Mais ce n'était pas une victoire complète.
Pendant le procès du prédateur sexuel Harvey Weinstein, on a fait témoigner l'actrice Annabella Sciorra contre lui en partie parce que, selon les calculs conventionnels du dossier légal, le cas, dans son ensemble, était faible.
Par exemple, les deux ont continué d'avoir des relations, voire des liaisons, avec l'agresseur après avoir été victime de viol. Ce qui n'est pourtant pas inhabituel. Il est largement documenté, et ce depuis des années, que les victimes de viol ne répondent pas à leur agresseur automatiquement par la réjection. Depuis 1993, les spécialistes tentent de faire comprendre que la dynamique des abusés et des abuseurs n'est pas facilement binaire. Les victimes sont souvent, dans les premiers temps, des apaiseurs d'abus. Parfois, longtemps.
Mais ce type d'explication psychologique pointue ne s'est pas rendue souvent aux cerveaux du citoyen ordinaire. Et c'était 7 hommes et 5 femmes qui allaient décider du sort du prédateur Weinstein. La tournure finale s'est avérée étrange. En raison de l'ordre des témoignages.
On a cru les viols de Mann & Haley, plus gris, mais pas celui de Sciorra, qui était pourtant la définition la plus conventionnelle du viol, tel qu'on l'entend depuis des années.
Sciorra s'était fait laisser à la maison par l'équipe de Weinstein. Mais ce dernier est revenu. Il s'est directement imposé dans la demeure, a plaqué ses deux bras au dessus de sa tête contre le mur et l'a agressé contre son gré. Sciorra l'a ensuite confessé à son amie, l'actrice Rosie Perez en lui disant "je pense que j'ai été violée". Elle a pris quelques jours avant de révéler à Perez que son violeur était Weinstein. Une amie de Sciorra a confirmé que Sciorra n'a jamais plus été la même par la suite, nerveuse en tout temps, fragilisée, elle se taillait les jambes avec des lames pour calmer ses angoisses.
La défense a présenté un "ami très proche" de Sciorra, un producteur, qui a dit que Sciorra lui avait dit "qu'elle avait fait des choses plutôt folles avec Weinstein". Ce qu'il avait interprété comme étant "elle s'était amusé au lit avec". Mais en contre-interrogatoire, il a été démontré que "cet ami très proche" ne connaissait que très peu Sciorra, presque pas du tout, n'était jamais allé chez elle, et qu'il avait ridiculisé sa version du viol en privé, en suggérant que c'était pour la faire retravailler davantage et gagner de l'attention qu'elle racontait ça. L'avocate de Weinstein n'a pu faire mieux que de dire que Sciorra était une actrice qui jouait encore un rôle, et a montré un clip de Sciorra chez David Letterman où elle disait "qu'elle aimait inventer des histoires pour la presse et s'avouait menteuse".
Comparé à l'histoire de Sciorra, l'histoire de Mann était beaucoup plus difficile à prouver. Non seulement a-t-elle poursuivi des relations sexuelles avec son agresseur, mais une de ses amies est venue confirmer que Mann n'avait aucunement changé post-viol. Son cas devenait plus difficile à expliquer et pourtant, et c'est tout à leur honneur, ils ont réussi à faire passer la chose. Elle a survécu victorieusement au "Mais pourquoi ne l'avez vous tout simplement pas quitté?" et à la satisfaction du jury en place. Elle a gagné le concours de crédibilité que deviennent alors ces cas.
Mais pourquoi le plus facile à comprendre cas de Sciorra n'a pas été cru?
Croire à la triste histoire de Sciorra aurait fait escalader les charges contre Weinstein. Au final, des 5 charges contre lui, il a été trouvé coupable des deux moins pires. Quand le jury a dû prendre sa décision, ce qu'ils ont demandé à réentendre était les témoignages de Perez et Sciorra.
Le cas de Sciorra plaçait la barre si haute, de manière si évidente, si vite dans les procédures, que le jury, qui devait arriver à un verdict unanime, en a été rapidement intimidé. Le jury, dès le départ (Sciorra a témoigné dès le départ) n'était pas entièrement d'accord et très vite, on a pas voulu que certains jurés ne changent d'avis. On a donc choisi des arrangements. Weinstein a échappé à plus grave comme accusations, simplement par l'ordre des témoignages.
Sciorra était très réfractaire à témoigner, se rappelant comment on avait traité les victimes du passé, Asia Argento, entre autres victimes, et Christine Blasey Ford. Elle ne voulait pas que tout devienne public et que l'on réduise ou diminue sa triste expérience.
Elle a dit qu'elle a trouvé le courage de parler en puisant sa force dans le coeur des près de 100 victimes de Weinstein.
Au final, elle s'est tout de même fait dire "ton viol n'était pas assez viol".
Ce qui pourrait encore freiner bien des témoignages futurs de cas similaires. Again.
Mais le 23 ans qu'a écopé le prédateur restent une victoire.
Faudrait toutefois ne jamais hésiter si abusé(e).
Ça c'est ombrageux.
Dieu merci, l'issu de son procès s'est dévoilée tout juste avant le trou juridique actuel qui sauvera peut-être un paquet de crotté(e)s.
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