Lire c'est penser, prier, parler à un ami, entendre la voix d'un autre, l'écouter, c'est se confesser, exprimer ses idées, forger les siennes, les confronter, c'est écouter de la musique, suivre un rythme, vivre des moeurs qui ne sont pas les nôtres, adverses ou nouvelles, c'est explorer sous une nouvelle lumière, c'est s'ouvrir les sens et en agrandir l'espace. C'est découvrir de nouveaux angles, marcher sur une plage de la vie s'ouvrant sur le monde et les gens qui le compose. Lire c'est apprendre la vie par les yeux, par la tête et le coeur. Lire c'est la vie des autres et la sienne aussi.
Chaque mois, vers la fin, je vous entretiens d'un livre qui m'a bouleversé par son auteur, son contenu, son sujet, parfois les trois. J'essaie de vous dire pourquoi.
J'ai toujours un livre ou deux à la main. Lire, c'est un peu aussi mon métier.
Lire pour moi, c'est apprendre à mieux respirer.
LES BIENVEILLANTES de JONATHAN LITTELL
Grand prix du roman de l'Académie française de 2006, c'est sur cette seule base que j'avais acheté, dans un moment de noirceur mentale, la brique de 1403 pages en 2009. Je l'avais lue en très peu de temps. Totalement absorbé par cette histoire en 7 parties, du durée inégales, racontant Maximillien Aue, officier SS ayant participé aux massacres de masse nazis, et la chronologie morbide de la guerre sur le front de l'Est, dans la Seconde Guerre Mondiale, de la Shoah par balles en 1941 aux camps d'extermination des juifs, en passant par la bataille de Stalingrad pour s'achever sur la chute de Berlin en 1945. On suit le manque de remords de Max, ses crimes, les jeux de pouvoirs, la saleté de la guerre.
Le livre a été inspiré à Littell par une photographie (attention: graphique) de Zoya Kosmodemianskaya, partisane russe assassinée par les nazis, par le documentaire fleuve de Lanzmann sur la Shoah, et la lecture de Raul Hilberg et David Rousset. Il s'est aussi rendu au Caucase, en Urkaine, à Stalingrad, en Pologne, en poméranie afin de goûter les lieux et s'imprégner de l'univers de l'action de son livre. Comme travailleur humanitaire, il a aussi été sur place pour les conflits en Boznie-Herzégovine et en Tchétchénie. Il s'est aussi plongé deux longues années dans les archives sur la Seconde Guerre Mondiale, afin d'y inclure le plus de situations réelles dans ses moments de fictions. Une manière qu'utilisait son propre père, écrivain lui aussi, dans son livre, entre autre, sur l'espionnage et les premières années de la CIA, The Company.
Le personnage de Max Aue est suivi de l'âge de 25 à 31 ans. Il assume pleinement son engagement nazi et y participe aussi. On suit les rouages de la solution finale et sa bureaucratie. max veut naïvement faire travailler les prisonniers de guerre, ce qui obligerait de meilleures rations alimentaires pour les garder en vie, et qui détonne de l'attitude des SS qui préfèrent les affamer, les massacrer et les affaiblir. Les 7 parties du roman son titrés de morceaux de Jean-Philippe Rameau, musicien apprécié de Littell.
La partie 1 (Tocatta) est une sorte de prologue Faustien qui nous présente le personnage, fier nazis, croyant en la mission nazie jusqu'au bout, aujourd'hui (probablement dans les années 70) industriel spécialisé en France, sous une fausse identité. Les nazis n'ont jamais été des bourreaux pour lui, mais bien des frères humains.
La partie 2 (Allemande I & II) suit Aue dans les batailles en Ukraine, en Crimée, dans le Caucase et les massacres qui s'y produisent à ciel ouvert contre les Juifs et les Bolchéviques. Suite à un affront à ses supérieurs, il est envoyé en punition à Stalingrad, où on prévoit une lourde défaite, ce qui équivaut à une condamnation à mort de Aue.
La partie 3 (Courante) Siège de Stalingrad. Aue échappe à la défaite de Stalingrad même si une blessure aurait dû lui être fatale.
La partie 4 (Sarabande) Convalescence de Aue et présentation d'une partie de sa famille.
La partie 5 (Menuet en Rondeaux) Chapître le plus long du roman qui présente Aue travaillant auprès d'Himmler, Eichmann et Speer. La mort des prisonniers n'est jamais moralement discutable pour Aue, mais une erreur selon lui. Ce n'est pas un crime dans son esprit. C'est simplemenent une mauvaise stratégie de guerre. La mère de Aue ayant été assassinée, 2 policiers détectives harcèlent Aue, le croyant matricide.
La partie 6 (Air) Aue rejoint sa soeur et son beau-frère, se livre à des obsessions sexuelles en solitaire, chapitre court et onirique ou l'alimentation et l'alcool offrent de nouvelles vertus au narrateur.
La partie finale (Gigue) raconte la fuite suite à l'avancée soviétique, le séjour dans Berlin assiégée, Aue quitte pour la France, son billinguisme (Littell est lui--même franco-Étatsunien) lui sauvant la peau.
On y croise des dizaines d'événements réels et personnages ayant vraiment existé dont entre autre: Rudolf Hess, Ernst Jünger, Reinhard Heydrich et Adolf Hitler lui-même.
Le regard sur les horreurs est froid et clinique bannissant toute forme poétique à un récit qui ne devrait par ramener de réelle beauté. La sexualité du personnage y est très crue. L'écriture ne se contente pas que d'expositions d'horreurs. Le grotesque et le burlesque s'y trouvent, dans le rapport entre Hitler et Aue ainsi qu'avec les 2 détectives, se trouvant en des terrains absurdes, pourchassant Aue, comme une mauvaise conscience se rappelant à lui, de partout. Littell y parle des paysage ukrainiens avec une certaine poésie et on passe de considérations intellectuelles aux considérations les plus terre-à-terre où sang, excréments et fragments de crâne se côtoient.
Le titre fait référence à L'Orestie, trilogie dramatique d'Eschyle.
Pour amateur de poétique de la cruauté, de littérature Russe (duquel Littell s'inspire beaucoup aussi), de crimes commis par devoir, de philosophie, d'histoire de la Seconde Guerre Mondiale, de sémiologie, du pamphlet, du polar, de politique économique et de grandes aventures brutalement guerrières.
J'ai commencé à lire, sans comprendre d'abord qu'il s'agissait de son père, The Company, de Robert Littell.
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