Chaque mois, vers le début, je fais la même chose qu'avec la musique (vers le milieu) et la littérature (vers la fin) et je vous parle d'un film qui m'a beaucoup plu.
Par sa proposition visuelle, sonore, narrative, esthétique, par ses intervenants, ou pour tout ça en même temps.
Un film qui m'a ouvert les sens.
Je connais beaucoup le cinéma Québécois. J'y ai travaillé. Je l'aime beaucoup. Nous sommes pas plus de 9 millions et nous réussissons rien de moins que de grands miracles avec rien. En tendant continuellement la main à des lecteurs de projets, souvent jaloux, qui ont une tâche difficile, je le concède, mais qui fonctionnent aussi affreusement par réseaux et copinage. Et dans un milieu où le chiffre au box office fait foi d'absolument tout.
J'ai travaillé aussi à la Cinémathèque et ce fût l'un des emplois les plus agréables de ma vie. J'y ai travaillé auprès de Robert Daudelin. Un homme formidable qui savait qu'une cinémathèque ne devait PAS être populaire. Que l'idée de faire de l'argent n'était pas nécessairement compatible avec l'idée de faire de l'art admirable. Qu'être unique, rare, recherché, avait son charme.
J'ai adoré Daudelin.
J'ai aussi adoré La Course des Amériques, La Course Amérique-Afrique, La Course Europe-Asie et La Course Destination Monde. Qui sont toute la même émission, sous différentes appellations. Le concept était le suivant. On envoyait 8 jeunes dans le monde, caméra en main, qui avaient une semaine pour nous faire un vidéo de 4 minutes, sous forme de reportage, éditorial, chronique, moment comique. C'était un formidable laboratoire de création pour les gens de mon âge (ou près de mon âge. C'était un rare rendez-vous incontournable personnel avec ma tv et l'émission a fait naître les carrières de Catherine Fol. Karina Goma, Patrick Masbourian, Denis Villeneuve, Jennifer Alleyn, Phillipe Falardeau, Guy Nantel, François Parenteau, Hugo Latulippe, Ricardo Trogi, Simon Dallaire et Yves-Christian Fournier. J'y trouve plusieurs amis personnels parmi ses gens.
Yves-Christian Fournier, je l'avais croisé aux sous-sol des Atriums de Montréal. Au Peel Pub pour être plus précis. Nous étions quelques uns à avoir soumis des projets pour l'émission et, choisis/pas choisis, on s'était tous unis, dans un beau moment de solidarité commune, pour se montrer à tous, ce que les gens de Radio-Canada avaient vu de nous. Yves-Christian Fournier était parmi ces gens. Et Yves-Christian avait présenté quelque chose de très bon. On s'en était jasé. Il avait aussi été choisi pour l'émission. L'avant-dernière édition de l'émission. Celle qui mettait aussi en vedette le comédien/réalisateur Robin Aubert. J'avais aimé le regard de Fournier. Un brin baveux. Hors des sentiers battus. Et une confiance certaine qui ressemblait à la mienne.
C'est le même Yves-Christian Fournier que j'ai redécouvert en 2008, avec son tout premier film.
Un film parfait. Qui a complètement discrédité la remise des prix du cinéma Québécois parce qu'il n'y avait pas assez d'amis du milieu de reliés au projet, Moins de 9 millions, c'est petit. Mais ce film est immense. L'un des meilleurs jamais fait selon moi, chez nous.
Dans un petit village du Québec, là où on plante rarement nos regards, à l'oeil comme à l'écrit, au petit matin, on retrouve un adolescent pendu, un autre noyé, un autre s'est immolé et un dernier s'est tiré une balle dans la tête. Ils étaient tous amis de Josh. On conclut rapidement à un pacte de suicide. On accompagne le deuil d'un village, d'une communauté, de familles, que l'on comprend déjà chaotiques. Josh tisse des liens extrêmement intimes avec l'ancienne copine d'un ami suicidé. On traverse les bouleversements intérieurs et extérieurs d'un tel drame. Pour les adolescents, mais pour tout ce qui grouille autour. Ou ne grouille plus.
Guillaume Vigneault co-signe le scénario qui explore la simplicité et la naturel d'acteurs, non-professionnels alors, ou avec très peu d'expérience pour la plupart, ce qui ajoute au réalisme du film tourné en ton jauni, en ton bleuté aussi. en toute beauté. Par la caméra de Sara Mishara.
On y voit le portrait d'une jeunesse moderne, invisible comme l'a prouvé le gala de remise de prix, incomprise, comme l'a aussi prouvé la stupide sortie française sous l'inexplicable titre anglophone Everything Is Fine; le reflet de jeunes invincibles, mais fragiles aussi, aux idées claires, mais tellement confus aussi, idéalistes mais tout aussi blasés.
Une jeunesse qui plonge dans l'eau d'un pont pour y mourir ou pour s'y amuser.
Mais qui plonge no matter what.
Sur du Loco Locass, mais aussi sur du Blonde Redhead.
Un film riche de chez nous, torturé par son milieu, qui parle justement de torture intérieure.
Et d'espoirs diffus.
Le Québec que je connais.
Même si je suis un rat des villes.
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