Ainsi, l'explorateur et marchand d'esclaves Étatsunien Samuel Phillips Verner s'est rendu en 1904 dans la forêt équatorienne, alors terrain de génocide de premiers peuples de la part du Congo Belge. Sur place Verner y trouve des pygmés qu'il a l'intention de ramener afin de les exposer à l'exposition mondiale de St-Louis la même année. Il est même sous contrat par une firme esclavagiste de Louisiane pour que ses candidats recrutés, soient des esclaves "vendables" à moyen terme.
Verner découvre Ota Benga en premier. Benga a la jeune vingtaine (naissance imprécise) et sa famille a été massacrée par les forces Belges. Un lien de confiance s'établit entre Benga et Verner sur quelques semaines. Benga est déjà un esclave et Verner en acquiert les droits en échange d'une livre de sel et d'une bande de tissu.
D'abord terrorisés par l'homme blanc, couleur de peau signe de mauvais traitements en Afrique, 4 autres hommes sont convaincus de faire le saut en Amérique, mais ils ne sont pas pygmés. Ils sont du Royaume Kuba. L'un d'eux est même le fils du Roi Ndombe, chef du Royaume. Ils seront tous exposés à l'Exposition Mondiale de St-Louis. Verner n'y sera pas lui-même, atteint de malaria.
Oto Benga sera particulièrement populaire car il a une personnalité plus avenante et ses dents font sensations. Lors d'un rituel adolescent, on les lui as taillé et chacune de ses dents est pointue telle la gueule d'un requin. On exige 5 sous pour chaque photo prise de lui. Quand Verner arrive à l'exposition, il est estomaqué de voir que sa démonstration scientifique n'est pas prise au sérieux. Il constate aussi que les Africains sont plus prisonniers que libres. Le public se convint que ces gens sont des sauvages et dans un cas d'habit qui fera le moine, on les habille en être plus primitifs qu'ils ne se le seraient réellement. On les déshabille surtout.
Comme le public s'attend à voir des danses de guerre et que les 5 hommes n'en ont pas, ils choisissent d'imiter une danse aborigène vue et apprise ailleurs sur le site de l'exposition. Le chef apache Geronimo est impressionné par Benga et lui offre une de ses flèches en offrande. Verner se console en acceptant la médaille d'or en anthropologie à la fin de l'Exposition Mondiale.
Verner ramène tout le monde chez eux après l'exposition. Toutefois Benga ne se sent plus chez lui. Il épouse une femme qui meurt aussitôt d'une morsure de serpent. Aussitôt remarié, il sent qu'il devrait revenir vivre aux États-Unis.
Pour de bon cette fois.
Verner l'installe dans une pièce de l'American Museum of Natural History pendant qu'il négocie avec le curateur public ses droits d'Afrique et son potentiel d'employabilité. Le curateur n'est pas impressionné par les demandes de Verner (175$ par mois comme salaire pour Benga, que le curateur croit que Verner détournera en partie), mais est très intéressé par Benga.
Encore exposé comme un sauvage. Benga est vite ennuyé par sa vie. Il est dans une cage de verre, fait semblant de se réchauffer devant un faux feu, fait semblant de nourrir une poupée qui représente un enfant, fait semblant tout simplement de vivre. Le silence du musée le hante. Il avait besoin du chant des oiseaux, du vent et de l'oxygène des arbres.
Désenchanté, il tente de se mêler à la foule qui quitte le musée un soir, et de s'enfuir, mais est vite reconnu. Il fait aussi semblant de ne pas comprendre ce que lui dit un riche homme qui voudrait prendre une photo de son épouse avec Benga sur une chaise, et lance la chaise qui manque la tête de la dame de quelques pouces. Pendant ce temps, Verner, ne fait plus beaucoup d'argent. Il peine aussi à négocier quoi que ce soit avec le curateur.
À la suggestion du curateur, Verner fait accepter Benga par le zoo du Bronx, où il est placé dans le décor des singes. Benga se lie d'affection avec un jeune ourang-outan avec lequel il s'amuse beaucoup. Lui apprenant des tours et tout. On encourage Benga à se servir d'un hamac installé entre deux arbres, et
Le clergé afro-étatsunien s'oppose vivement à ce type de dégradation humaine. Cette promotion du darwinisme déprime une communauté déjà opprimée de toute part ailleurs.
Suivant la controverse, Benga aura maintenant le droit de se promener un peu partout dans le zoo. Toutefois, Benga devient peu à peu violent car on ne cesse de le toucher et d'agresser son intimité. Le New York Times posera même la question: "Est-ce normal d'envoyer que nous envoyions nos missionnaires en Afrique pour les christianiser et que l'on ramène l'un d'eux pour le brutaliser chez nous? Existe-t-il une société pour la prévention de la cruauté contre les enfants de 20 ans?".
Benga, dans le tumulte, est libéré de ses engagements pour le zoo, et Verner, incapable de lui trouver une place en société, vend ses droits à un curé qui lui place Benga dans un orphelinat qui se trouve sous sa supervision. Mais les journalistes et les curieux le pourchassent et en janvier 1910, le curé se voit obligé de relocaliser Benga, cette fois dans une famille de Virginie.
On lui achète du linge contemporain des États-Unis et on fait refaire ses dents. La poète Anne Spencer devient son enseignante privée et il apprend l'anglais suffisamment pour être en mesure de suivre une éducation d'école primaire. Quand il a jugé qu'il pouvait s'exprimer en anglais, il a quitté toute forme d'éducation et a été engagé dans une usine de tabac de Virginie. Avec sa petite taille (4'11) il grimpe dans les arbres pour aller chercher les feuilles de tabac sans utiliser l'échelle. Ses collègues l'appellent "Bingo". Il raconte sa vie en échange de sandwichs et de root beer.
Il planifie même un retour en Afrique.
Mais en 1914, la Première Guerre Mondiale est déclarée et tout transport intercontinental qui ne soit pas militaire est devenu impossible.
En sérieuse détresse mentale, il fait un feu de rituel, arrache ses nouvelles dents et se tire une balle dans le coeur avec un pistolet volé.
Aujourd'hui il y a 100 ans.
Ishi, son ami lui aussi exposé au zoo du Bronx, le dernier des Yahi, au destin presque similaire, s'éteint 5 jours plus tard.
Il y a 100 ans.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire