Lire, c'est choisir d'investir un autre monde, explorer des univers, se réconforter, s'éblouir, rire, pleurer, c'est apprendre, s'informer, se questionner, s'ouvrir les sens. C'est accepter de vibrer sur le rythme du souffle de quelqu'un d'autre. C'est respirer, pendant un temps, autrement.
Et respirer, c'est vivre.
LES DÉTECTIVES SAUVAGES de Roberto Bolano
Roberto Bolano a été une voix latine importante durant son époque qui s'est étendue sur 10 ans, de 1993 à 2003. L'auteur chilien avait été journaliste, supporteur de Salvador Allende, àthéiste, Trotskyste, et co-fondateur d'un club de poésie dont il en fait un peu la parodie dans son 3ème livre Les Détectives Sauvages, traduit en 2007. 5 ans après sa mort. Mais originalement paru en 1998.
Narré à la première personne, le roman est divisé en trois parties avec plusieurs narrateurs différents.
La première partie situe l'action en 1975 et est narrée par un jeune aspirant poète de 17 ans. On gravite autour de son admiration d'un club de poète appelé les viscéraux réalistes. Il quitte l'université pour aller vivre au Mexique (ce que Bolano a aussi fait).La seconde partie est la plus longue. Plus de 40 narrateurs nous la raconte sur une période de 20 ans entre 1976 et 1996. Il s'agit d'une série d'entrevue avec des gens qui auraient été ou côtoyé les viscéraux réalistes. On passe de l'Amérique du Nord, à l'Europe, jusqu'au Moyen-Orient et en Afrique. On parle des deux fondateurs du mouvement de poètes selon plusieurs perspectives. L'un d'eux passe du temps en prison, à Israël tandis que l'autre défie un critique dans un absurde combat d'épée sur la plage.
La dernière partie revient au premier narrateur et reprend aussi l'action tout de suite à la hauteur de la fin de la première partie. Nous sommes en janvier 1976 dans le désert de Sonora, au Mexique. Notre jeune poète est impliqué avec une prostituée et a des démêlées avec son pimp et un corrompu policier mexicain.Il reste impressionnant que Bolano arrive a produire une narration aussi puissante dont l'arc se déploie autour de 2 personnages absents. Le livre contient de très nombreux monologues intérieurs ce qui nous fait comprendre les personnages assez complètement puisque nous les habitons longuement sur plusieurs pages, de l'intérieur. Du moteur de pensée. Ce qui semble périphérique ne l'est jamais complètement. Ça peut paraître intimidant de suivre près de 50 voix différentes, mais c'est si habile qu'on ne s'en rend plus nécessairement compte quand les propos sont si imagés, on est mentalement placés ailleurs, nous aussi.
Le roman est une chanson d'amour sur la grandeur de l'Amérique Latine. Sur les passions que celle-ci inspire. Et sur les raisons pour que ces passions ne s'éteignent jamais.Bolano mourra à tout juste 50 ans. Dans l'attente d'une greffe du foie qui n'arrivera jamais à temps. Poète lui-même, son lyrisme a quelque chose de baroque. Son alter ego dans le livre est très facile à identifier. Il a presque son nom. Mais il s'inspire de plusieurs personnalités qu'il a connu, Mario Santiago Papasquiaro, Juan Garcia Ponce, Octavio Paz, Concha Urquiza, Ramon Mendès, Carla Rippey, Ignacio Echevarria. Plusieurs portant carrément leur vrai nom. On pourrait supposer que ce qui est dit et ce qui leur arrive dans le livre serait vrai, alors que plus souvent qu'autrement, non.
Dans son dernier roman, 2666, livre inachevé au titre inexpliqué, il fera de nombreuses connections avec ce livre. Les deux se concluent dans la ville fictive de Santa Teresa au Mexique (ville inspirée de Ciudad Juarez). Arcimboldi, auteur mentionné dans la seconde partie, sera un personnage central de 2666. On parle de l'année des infortunes comme étant 2660 dans Les Détectives Sauvages. Dans la dernière partie du livre on dit que quelque chose de grave surviendra et lorsqu'on demandera quand, on répond que ce serait autour de l'an 266quelquechose. Bolano est décédé avant la sortie de 2666, brique de 1100 pages, dont il avait dit qu'il restait plus de 1000 pages à réviser encore, sur son lit de mort. Donc pratiquement tout le livre. Un intéressant livre à lire quand même aussi, mais visiblement non révisé.Ce 3ème roman (il a fait une nouvelle après 2 romans) est un livre chorale sur le chaos magistralement orchestré. C'était une spécialité de Bolano. De baigner au travers du chaos. Il nous plonge dans ses années 70 (photo, ici, à gauche)
Le livre est comparé aux grandes oeuvres de Cortazar, Garcia Marquez et Thomas Pynchon.
À juste titre. Ce n'est pas rien.
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