Je l'ai largement consommé, le consomme encore avec gourmandise, l'ai étudié, en fût diplômé, y ai travaillé, en fût récompensé, en suit précocement sorti, mais le cinéma n'est jamais sorti de moi.
Je vous parles d'un film que j'ai aimé pour son audace, ses interprètes, sa cinématographie, sa réalisation, son scénario, ses propos, ses thèmes, ce qu'il révèle, ce qu'il fait découvrir, bref je vous parles d'un film dont j'ai aimé pas mal tous les choix. Et d'un film plus que souvent, tiré des DVD que je possèdes dans ma collection de plus en plus volumineuse que je revisites beaucoup plus souvent qu'on pourrait le deviner.LA BELLE NOISEUSE de Jacques Rivette.
Peu de film traite de la création. Un sujet auquel tout artiste est forcément sensible.
Frenhofer, grand artiste, ne peint rien depuis au moins 10 ans. Il a accroché ses pinceaux au coeur du travail qu'il faisait sur ce qu'il considérait être son chef d'oeuvre ultime qu'il apppelerait La Belle Noiseuse. Mot qui ne fait aucun sens dans aucune langue. Son modèle a longtemps été sa propre femme, Elizabeth, qui a inspiré la partie la période la plus glorieuse de sa carrière. Au début, il peignait parce qu'elle était amoureuse de lui. Puis, il la peinturait parce que c'était lui qui était amoureux d'elle. Finalement il semble avoir arrêté de crainte de détruire l'amour restant entre les deux. Frenhofer ne voit pas ses modèles comme tout le monde. Il voit l'intérieur de celles-ci. Leur âme. Tente de le faire du moins.
Un jour, un trio de visiteurs comprenant un marchand d'art est de passage au château de l'artiste et sa femme. La copine du marchand d'art est dans sa vie depuis 3 ans. Marianne est distante, discrète, caractérielle. Il y a ce moment pendant le souper, lors de leur première rencontre, où tout ceci est facile à reconnaître en simple regards échangés. Elle le fuit des yeux, mais semble parfaitement consciente qu'il reprendra maintenant ses pinceaux.
Les films de Jacques Rivette, malgré tout ce qu'on vous dira, sont vivants. Ils sont longs car Rivette installe comme on le ferait pour un livre. On ne voit pas les films de Rivette, on les vit. Les habite. Son film de 1991 est un formidable exposé de la création physique de l'art et du lien parfois torturé d'un artiste et de sa muse.
Écouter un film de Rivette c'est s'investir.
Michel Piccoli, saturnin acteur français, a les yeux de celui qui voit au travers des autres. Il est parfait en peintre intensifié de l'intérieur. Il a toujours les rôles intelligents, les personnages qui ne sont pas les Don Juan ou les héros. Il incarne toujours des rôles de celui qui sait déjà trop de choses. Ça lui passe toujours par le regard perçant. Emmanuelle Béart, à 27 ans, est d'une beauté à faire fondre la glace. Stupéfiante. Elle semble d'abord prête à faire face au vieux cliché de l'artiste tombant amoureux de sa muse. Mais celui-ci veut plus que ça. Il veut la posséder afin de dessiner à partir de l'irritant désir de vouloir renaître. Il a besoin d'abrasif pour créer. Elle en est l'étincelle. Il veut être inspiré. Et inspirante elle est.Sa femme (jouée par Jane Birkin, choix judicieux, ayant été elle-même muse connue de Gainsbourg) comprend ce qui se trame et ne s'inquiète pas d'une affaire de son mari peintre, avec elle. Elle la met toutefois en garde de ne pas le laisser peindre son visage qui lui enlèverait à elle, toute vitalité. C'est The Portrait of Dorian Gray d'Oscar Wilde, inversé.
Les meilleurs moments du films sont axés sur la création. Rivette a souvent des longs plans très fixes, ce qui nous forcent à complètement s'investir dans ce qu'on voit. Nous enracinent. La caméra est statique, mais toute tête saine, est en ébulition.
Le résultat final fera dire à Marianne qu'il s'agit bien d'elle, froide et sèche. Mais entretemps, on aura été au four de la création, bien au chaud. Et c'est savoureux pour l'oeil et la tête. Le sons dans les films de Jacques Rivette sont toujours intradiégétiques. C'est à dire que toute source sonore s'explique et se voit à l'image. Plus Nouvelle Vague que la Nouvelle Vague auquel il était associé.
Il n'a pas eu la flamboyance des carrières de ses amis Trufffaut, Resnais, Godard, Chabrol, Varda ou Rohmer, parce que ces films, L'Amour Fou, La Bande Des Quatre, Merry Go Round, Va Savoir, La Duchesse de Langeais sont longs. Jeanne la Pucelle était si long qu'on en a fait deux films. Out 1: Noli Me Tangere, co-réalisé avec Suzanne Schiffman, en 1971, est d'une durée de 12h30. La version "courte" est de 4h20. Son tout premier film était d'une durée de 2h22.Mais à 3h55, La Belle Noiseuse n'a pas une minute de trop.
Je suis un homme comblé. Bulle Ogier sera la muse de Jacques Rivette décédé en 2016 à 87 ansde l'Alzheimer. Bulle a tourné dans 7 de ses 21 films. Le tiers.
La Belle Noiseuse est un film qui pose de grosses questions existentielles. Mais ne répond pas à la place des créateurs en nous. Brillant Rivette qui a signé le scénario avec Pascal Bonitzer et Christine Laurent.
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