Cette ignorance avait jeté la stupeur dans la population. Il était resté juge le reste de sa carrière. Sans souci.
Avec ce que les gens croient de nos jours, avec les gens qui sont avoués grands partisans d'Eric Duhaime et son parti, avec les trolls des États-Unis qui sont élus ici et là, avec le passage de Donald Trump, l'ignorance a été aux premiers rangs des dernières années.
Ça m'a inspiré ce thème de l'ignorance, placé au coeur de 6 livres.
En 1893, Henry James se plaignait de la récente publication des Lettres de Gustave Flaubert. L'auteur français était reconnu pour son perfectionnisme. Quelle traitrise alors que de publier de très quotidiennes missives qu'il n'avait pas pris le temps de réviser lui-même. Aux yeux de James, les faiblesses de Flaubert étaient toutes exposées, les mystères éclaircis, les secrets trahis.
James comprenait que le livre existe. Les gens ont un besoin toujours insatisfaits, de simplement tout savoir. Quand on aime quelqu'un, on veut tout savoir sur cette personne. Quand on en déteste une autre, on veut aussi tout savoir sur cette personne. Il en va de même pour les artistes et leurs oeuvres parfois. Je sais personnellement que ma curiosité fait des ravages quand j'aime.
Mais l'essayiste Emily Odgen a fait un grand succès de son essai Unknowing. Livre qui, vous l'aurez deviné, où elle faisait le plaidoyer, toujours pertinent de nos jours, que le secret de l'amour à deux se trouvait dans le fait de surtout, ne pas toujours savoir...Une grande partie de ma fascination pour David Lynch se trouve dans le fait que tout ne nous est pas toujours expliqué. Voici quelques exemples littéraires.
Washington Square d'Henry James, justement. 1880.
Catherine vit une vie plate de jeune fille riche. Elle tombe toutefois amoureuse du très pauvre Morris. Elle est guidée par la passion et surtout pas, par la richesse. Elle est inspirée parce qu'elle voudrait qu'il l'aime et la désire elle aussi. Mais il n'en est rien. Et cette ignorance de sa part ne lui servira pas. Catherine se transforme pour lui, mais son ignorance face à ce qu'elle sait de lui la mènera à sa mort morale. L'incertitude, dans ce roman, est un autre mot voulant dire possibilités.
Holy The Firm d'Annie Dillard. 1977.
C'est le 19 novembre, aucun vent, aucun espoir de paradis, pas d'envie du paradis, non plus, puisque les plus vils des individus démontrent davantage de pitié que les harceleurs et terroristes Dieu" nous dit l'auteure afin de parler d'un écrasement d'avion. Réel ou imaginé, on ne le saura jamais, nous lecteurs. Une jeune fille de 7 ans s'en sort vivante, le visage largement brulé. Poésie ? Philosophie ? Récit ? Fiction ? Dillard rend toutes ces directions possibles. C'est un traité de la souffrance. Un essai autour de Dieu. Ce qui plonge nos deux pieds dans la grande ignorance théologique. La divine providence n'existe pas. L'approfondissement de la connaissance pourrait être dévastatrice car elle nous place face à des réalités insupportables. Il serait donc mieux de ne pas savoir. Et de croire à de l'incertain comme la Bible. Notre travail sur terre, c'est d'aimer.
Dahlgren de Samuel "Chip" R. Delany. 1975.
Ce livre de science-fiction est 100% ignorance. Une catastrophe non spécifiée a ravagé la ville de Bellona, ville inexpliquée non plus, de pays imprécis, où Kid, qui ne se rappelle plus son nom, ni la manière d'épeler Kidd, Kid ou The Kid, ne sait pas son âge, ni ce qu'il fait dans cette ville. La géographie semble se transformer tous les jours à Bellona. Les sexualités sont fluides et instables. Le pot était encore bon en 1974. La science fiction est le genre parfait pour disgresser les codes connus des sens et de la compréhension des réalités modernes du moment. Entrer dans ce livre, c'est accepter de perdre, un à un, ses acquis. Plus rien n'est certain.
The Blue Flower de Penelope Fitzgerald. 1995.
Fiction, bâtie autour de la jeunesse présumée de Friedrich von Hardenberg, poète, auteur, mystique et philosophe allemand du premier romantisme allemand, qui se faisait appeler Novalis. Fitzgerald laisse croire qu'il lisait en parallèle Goethe et Cancrinus. Texte lumineux et vaguement aérien, on circule entre deux mystères: l'amour soudain de celui qui se fait appeler Fritz, avec Sophie, et sa vision d'une fleur bleue, sur laquelle, il tente d'écrire quelque chose. Dans les 2 cas, on navigue dans le vague. On ne sait jamais non plus pourquoi la fleur a tant d'importance pour lui. On tablette sur l'incompréhensibilité de la passion. Un romantisme sans réponse. Car on ne pose aucune question.
In The Electric Mist With Confederate Dead de James Lee Burke. 1993.
Le genre de roman avec détective en tête est souvent le contraire de l'ignorance. On commence bien dans l'ignorance, qui a fait quoi et pourquoi ? mais on a presque toujours la clé de la solution, à la fin. Pas ici. Le 6ème roman mettant en vedette le détective de Louisiane Dave Robicheaux se termine toujours dans le brouillard. Un corps de femme est trouvé. Puis un autre, entouré de chaines. Robicheaux commence à avoir des vision de troupes de soldats confédérés. Une fois les meurtre solutionnés, Dave n'est pas au bout de ses peines. Il est toujours hanté. Les visions sont-elles réelles ? Le mal est-il implanté dans l'âme perdue des soldats ? Robicheaux est un bon détective quand on plonge dans le réel, mais ceci le dépasse. Le mystère, le fait de ne pas complètement savoir reste une carotte pour l'âne que nous sommes, amis lecteurs.
Jawbone de Monica Ojeda. 2018.
Ce roman croisant horreur et désir est un vertige de l'inexploré. Des adolescents qui s'ennuient se tiennent dans une école catholique abandonnée et y font les conneries d'ados habituelles, tout en explorant le sexe et eux-mêmes. Ils choisissent à un certain moment de se partager les histoires les plus terrifiantes qui soient inspirées des creepypastas, avant de s'inventer une adulation pour un Dieu Blanc, créature divine, qui les convaincrait qu'elle sont plus monstrueuses qu'elles se pensent. Elles sont irrationnelles. Leurs corps changent et ne comprennent pas ce qui les transforment. Elles se construisent une théologie qui dit que si vous avez peur de nos corps, on va vous donner raison d'en avoir peur. L'imagination est sans limite. Et irrationnelle. Pulsions cubiques dans l'ignorance adolescente.
Si vous manquez de lecture cet été, n'ignorez pas un de ceux-ci, vous ne serez pas déçu.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire