Je ne sais pas si on réalise toujours, en tant que Canadien d'Amérique, Québécois, que l'on vit dans un endroit qui a ses défauts, mais duquel nous sommes largement privilégiés.
Ici, aucune chance d'entrer dans un entrepôt de FedEx pour y prendre un colis et y mourir des balles de fusil d'un tireur aléatoire.
Ici, il n'y pas de vrai Sundown Town. J'avoue que je n'en connaissais pas l'existence avant cette semaine. Mais rien ne m'a tellement surpris. Qu'est-ce que c'est un sundown town? Et bien que se passe-t-il quand le soleil se couche? Il fait noir. Certaines villes, avant 1960, quelques villes des États-Unis plaçaient une pancarte aux frontières très claire disant "NIGGER, DON'T LET THE SUN GO DOWN ON YOU IN (entrer le nom de la ville, ici).
Une de ces villes se nomme, en Illinois, Anna. Pour Ain't No Niggers Allowed. Pour vrai. Cette ville existe encore. Elle a honte de cette naissance du nom et ne veut pas y être identifié. Enfin, si ils ne voulait vraiment pas y être identifié, ils auraient tout simplement changé le nom de la ville, mais entre 1890 et 1940 la race était très clairement ségrégationnée à Anna. Quand on explique l'acronyme, encore de nos jours, on le fait à voix haute, en riant, sans se souciant des gens autour qui pourraient entendre. Ils sont tous dans le coup de toute manière. Et tous blancs.
En 1903, on ne le cachait tout simplement pas. Les journaux locaux rappelaient régulièrement qu'aucun humain à la peau noire n'avait la permission de fréquenter la ville. Une femme de cette époque disait même que jusqu'à ses 18 ans, elle n'avait probablement même pas vu 10 personnes à la peau noire dans sa vie. Aucun(e) noir(e)s n'y était permis. La ville contient autour de 4500 citoyens.
Les touts premiers résidents étaient issus du Tennessee, de la Caroline du Nord, de la Virginie. Jusqu'à la Guerre Civile, les frontières restaient encore largement familiales. Encore de nos jours, dans le Sud de l'Illinois, les
Au musée de la ville, on tente de défendre la nom de la ville en prétendant que c'était celui de la femme du fondateur de la ville. Mais au même musée, on parle des noirs comme des animaux, on se plaint que les soldats noirs étaient mieux traités que les soldats blancs pendant la Guerre Civile, et on rappelle qu'un homme noir libre vole l'emploi d'un blanc. Les histoires d'intimidation et de discrimination contre les noirs ont toujours duré passé la Guerre Civile. Et ont atteint un certain sommet dans les années 70 avec les marches pour les droits civiles universelles, aux États-Unis.
Dans les années 50, on parle alors d'un "problème de race" et on associe le fait que 40% des résidents de Cairo sont nègres. On fait un lien direct du premier énoncé et du second. 50 ans avant, on écrivait que d'anciens esclaves tentaient de vivre librement et qu'il était donc déplorable de retrouver de l'Afrique Noire dans son État si beau, blanc. Le/la noir(e) étant donc, la laideur.
On dit que tout ça a changé, mais lors du recensement de 2010, à Anna, 97, 5 % des résidents n'avaient pas la peau noire. Trois ans plus tard, un groupe de 4 jeunes blancs attaquent un jeune homme noir de 16 ans, dans un stationnement, on le bat et on le sodomise avec un manche de hache. Bien que les agresseurs confirment l'avoir attaqué simplement parce qu'il était noir, ils ne seront jamais condamnés pour un crime haineux, mais plutôt pour une agression. En 2017, quand le triste président à la peau orange ne condamne pas les meurtres raciaux de Charlottesville, et que les blancs suprématistes ont son appui, on proposera une loi condamnant et réglementant autour des groupes haineux. Mais cette loi ne sera jamais votée favorablement. Le prétexte étant stupidement que plus vous en parler, plus vous gardez le problème en vie.
Un jeune blanc de 18 ans dira de sa ville, Anna, qu'il s'était fait crier, par quelqu'un passant en voiture qu'il était un "nigger lover" simplement parce qu'il avait comme amoureuse, une biraciale. Les pas plus que douzaines de foyer principalement composés de gens à la peau noire, se font régulièrement faire les gros yeux quand ils se font dire qu'ils habitent cette ville, et qu'il faut y passer rapidement, ne pas s'arrêter, toujours avoir de l'essence dans sa voiture pour ne pas avoir à faire le plein et s'y perdre est très favorable à y perdre la vie aussi, si vous êtes noirs.
Il est facile de se concentrer sur ce qui donne des frissons dans le dos, mais ils fait aussi chaud au coeur de voir des familles de noirs, comprenant 6 adolescents noirs, où les filles se font admirer pour l'originalité de la texture de leurs cheveux, se font dire qu'elles sont belles comme Beyoncé, ou encore laissent leurs semblables impressionnées par leur manière de performer en sports, ou de danser.
Quand, en 2018, Arieh Hart, un jeune noir, a été couronné champion de sa catégorie en lutte, la ville en était si fière, qu'elle a placé, là où se trouvait la pancarte discriminatoire d'antan, sous le nom de la ville, "Home of Arieh Hart, Champion 2018 de Lutte 152 livres". Que la ville passe de l'interdit de séjour aux bras ouverts à un héros local est un pas immense.
Mais comme les humains à la peau noire le disent si bien par là-bas, il faut toujours se comporter comme si la caméra vous filmait, comme si on vous suivait, comme si quelqu'un vous regardait en tout temps.
Parce que 9 fois sur 10, c'est encore le cas.
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