jeudi 23 juillet 2020

La Parisienne & Le Poète

Il était un des des poètes les plus reconnus du 20ème siècle d'Amérique du Nord, elle était une travailleuse du sexe de Paris.

E.E. Cummings & Marie Louise Lallemand se sont désirés.

Pendant la Première Guerre Mondiale ils étaient en correspondance constante. Après une nuit pleine d'étoiles. Ensemble.

Cummings est connu surtout pour son poème d'amour I Carry Your Heart With Me (I Carry It In My Heart) écrit en 1952 qui commence par la ligne "I carry your heart with me, I carry it in my heart, I am never without it, anywhere I go you go, my dear; and whatever is done by only me is your doing, my darling" .

Cummings était un poète d'avant-garde en continuelle expérimentation sur la forme et la structure, ne recherchant pas particulièrement la rime, réinventant le style, l'orthographe et la ponctuation. Des lettres datant de 1917, aujourd'hui gardées à la Houghton Library de Harvard confirment que, des années avant la création de  I Carry Your Heart With Me (I Carry It In My Heart), Cummings écrivait avec la même passion qu'il écrirait sa poésie future. Il écrivait à Mary Louise Lallemand.

Dans une des lettres récemment retrouvées, et écrites des premières lignes de la guerre dans laquelle Cummings prenait part, on peut lire "Darling, Marie Louise, you who are more than the scarlet poppies which are mown, more thant the yellowing evenings which we see die, more than the silence full of stars, the completly white silence of night, only awaiting dawn,-take the kiss which I gave you, that kiss, without value, because it comes from a soul which loves you."

Les réponses de Lallemand (ironique nom considérant l'ennemi de la Guerre en cours...) reflétaient aussi sa passion pour Cummings. Mais elle craignait également qu'il ne l'oublie pour toujours. Comme tous les hommes qui passaient dans sa vie avec une certaine morosité. "Je t'aime, Je t'aime, J'ai souffert toute ma vie...Ce fût toujours les hommes; peu importe, ça ne fait plus de différence."

Par le passé, la relation entre Lallemand et Cummings a toujours été traitée de haut. Comme une relation pute-soldat. Avec jugement et sans grande envergure. Infecté par les préjugés contre les travailleuses du sexe. Mais la correspondance découverte propose plutôt une intense histoire d'amour. tendre et poignante, explorant les profondeurs de l'amour et du désir. Cummings s'est même forcé à écrire en français à celle qu'il désirait, plusieurs brouillons de ses lettres rédigées en français étant aussi retrouvées.
Dans ses lettres à Mary, Cummings répète à quel point elle a été bonne pour lui et comment, pour sa part, il se sent cruel. Il lui transmet la crainte qu'il avait de ne pas savoir comment se comporter en tant qu'amant. Il n'avait alors que 23 ans. Cette crainte persistante qu'il était cruel à son égard l'empêchait de complètement s'ouvrir à elle.

Dans l'une des lettres il dit que si il l'avait blessé, son coeur à lui saignait alors aussi. "Tu dis que tu souffres, et que tu as souffert en amour, mais je souffre peut-être aussi, un peu.Tu as raison, ma souffrance ne vaut rien par rapport à la tienne. Tu l'as bien dit, rien n'est égal dans nos douleurs, o Femme si joyeuse!"

La mélancolie dans la vie de Mary Louise Lallemand, la colère latente et le cynisme amoureux laissait croire à Cummings qu'elle ne pourrait jamais être sérieuse dans son souvenir amoureux de lui. Mais il a beaucoup insisté. Pratiquant du coup une certaine prose.

Alors que les États-Unis se préparaient à entrer en Guerre, Cummings avait été envoyé comme chauffeur ambulancier en France. Il avait été volontaire. Voulait voir de l'action. Récent diplômé de Harvard, il voulait de l'aventure et en a trouvé de toutes sortes. Emprisonné pendant des mois dans un centre de détention français pour une suspicion de trahison, on découvrira que c'était un autre soldat qui, pour se protéger, correspondait avec l'ennemi, en utilisant son nom à lui. Cette expérience lui inspirera son premier livre The Enormous Room. Un récit forcément autobiographique.

Comment il a rencontré Lallemand reste un mystère. Une rue, peut-être. C'était le lobby de son bureau. Mais sur le derrière de son cahier de notes retrouvées se trouve l'adresse de Mary Louise Lallemand, signée d'une main différente de celle de Cummings, d'une main de Femme, une heure de rencontre, un lieu et un moment, samedi midi, Place de la République, à la statue. Laissant croire que c'est Lallemand qui l'aurait approché et qui se serait imposée à lui.
Cummings a aussi dessiné son profil dans son cahier.

La seule évocation de son prénom, dans son oeuvre future, sera croisée avec l'évocation de la Vierge Marie. Ne faisant peut-être jamais référence directement à Mary Louise Lallemand. Titrant erronément "Marie Vierge Priez Pour Nous".

Lallemand a été marginalisée et banalisée dans les livres d'histoire, ce qui peut représenter une certaine injustice envers toutes les travailleuses du sexe françaises durant La Première Grande Guerre.
D'après les livres, Lallemand était férue de poésie, introduisant même Cummings à Alfred de Musset.

Cummings reviendrait après la Guerre en France et tentera de la retrouver, n'y arrivant pas. Lallemand ayant disparue sans laisser de traces.

Peut-être même avant de recevoir la dernière lettre que lui avait envoyé Cummings, dans laquelle il lui disait "Si tu crois, Mary Louise, que j'ai oublié les jours et les nuits passés ensemble, tu te trompes"

 En août prochain sera publié un livre sur E.E. Cummings couvrant cette période de sa vie.
Signé Alison Rosenblitt.

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