mercredi 31 mars 2021

Elefante Bianco Nella Stanza


 Dans le Sud de l'Italie, quelque chose d'historique se joue et ça passe pratiquement complètement inaperçu.

Dans la ville industrielle italienne de Lamezia Terme, celle-ci pourrait être paradisiaque avec sa vue imprenable sur la mer Tyrrhénienne qui fait un triangle limité à l'Ouest par la Corse et la Sardaigne, à l'Est par la péninsule italienne et au Sud par la Sicile. 


Ce triangle est à la fois son charme et son calvaire. 

Entre les champs cultivés et les usines, se tient en ce moment, le giga procès de la Ndrangheta

Ndrangheta: organisation mafieuse calabraise qui a toujours réussi à se tenir si discrète qu'elle n'a pas souvent attirée l'attention ni des médias, ni de la répression policière. Son fonctionnement, puisant ses sources dans les milieux ruraux, a toujours été opaque, essentiellement familial, puisqu'il n'y a jamais eu de repentis (Pentiti) d'envergure. 


Le 13 janvier dernier commençait le méga-procès. 335 accusés. 600 avocats. 400 accusations de meurtres, de trafic de drogue, de blanchiment d'argent et plus encore. Il s'agit de l'un des plus immense procès en Italie des 60-70 dernières années. Le procès est anticipé durer au moins deux ans et a été appelé Rinascita-Scott, c'est-à-dire Scott ressuscité. Le nom a été choisi de l'agent administratif menant le dossier pendant 8 ans, se battant constamment contre les organisations Ngrandhetistes, et qui est décédé d'un bête accident de voiture. Au nom de son dévouement, on a pensé à lui pour ce giga-procès. On a aussi appelé ce procès le procès du siècle dans les journaux italiens. Mais curieusement, aucune station télé ne rapporte quoi que ce soit sur le sujet. Ce qui confirme que la gangraine sociétaire est réellement intégré aux quotidien des Italiens comme la mauvaise herbe dans un jardin. Ce n'est jamais à la Une des journaux non plus. On a peur de représailles à ce point. Ce n'est même pas une controverse politique. Pour les mêmes raisons. C'est l'éléphant blanc dans la pièce.  


En raison de l'énormité de la chose, on a construit, pour 4,7 millions d'Euros, un bunker précisément pour ce procès. C'est un ancien centre d'appel, abandonné, puis reconstruit en un temps record dans la région Calabraise reconnue comme le secteur des projets jamais terminés. Sa structure de plus de 35 000 pieds peut accueillir jusqu'à 947 personnes (distanciées). Tout le procès se déroule principalement en zoom en raison de la pandémie, mais aussi parce que plusieurs sont déjà en prison. Pratiquement tout le monde est masqué, ce qui ajoute de nouvelles couches de secrets. 

L'évènement géant est observé dans un presque parfait silence en Italie. Pour plusieurs raisons. La première étant que, un peu comme la souveraineté ici, la guerre contre le crime organisé n'est plus une priorité gouvernementale depuis longtemps. Puis, l'attention sur la Covid a dérivé les champs d'intérêts et dirigé un potentiel débat public, ailleurs. 


Depuis les assassinats des magistrats Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, visant les même têtes, en 1992, on tient les choses beaucoup plus secrètes un peu partout. De plus l'attention que ces deux morts avaient amenée sur l'organisation n'avait pas plu aux membres de l'organisation calabraise. Trop de lumière, aveugle. On préfère toujours diriger la lumière. On préfère rester sous le radar d'à peu près tout le monde. 


La mafia a changé de visage. Il ne porte plus nécessairement de vêtements chics sans raisons, portant un chapeau folklorique en fumant le cigare. Non, il travaille dans le milieu politique, justifiant le vêtement chic et se camoufle admirablement dans l'entreprenariat italien. On se marie au légitime comme le jaune et le bleu forment le vert. Sans que ça ne se remarque dramatiquement. On est passé des fruits de la production, vente et revente de la drogue à l'alimentaire, le milieu de la construction mondiale, les voiries, et même, pendant la pandémie on a fait fortune dans les entreprises funéraires. 


Ce sont deux épidémies de front qu'affrontent les Italiens. 

Dans l'oeil du grand public, la Ndrangheta a toujours été considérée (à tort) comme la plus insignifiante des organisations criminelles italiennes. Mais dans les 10 dernières années, elle est devenue l'organisation dominante du genre. Pas seulement dans le Nord de l'Italie, mais dans plusieurs autres pays d'Europe aussi, comme l'Allemagne. Et dans les trois Amériques. 


On découvre, en fouinant, que ce ne sont plus de simples brutes voulant ventiler leur trop plein de rage, mais des diplômés scolaire, formés à l'université dans des domaines précis. Comme l'économie et la gestion financière. Le droit aussi, pour mieux le contourner. 


Gennaro Pulice, 41 ans,  a assassiné 6 personnes afin de venger la mort de son père. Il l'a fait le jour de l'anniversaire de la mort de son père. Il est diplômé en droit, parle plusieurs langues, collabore avec la police, et a une important expérience d'affaires internationales, même si il tue depuis ses 16 ans. Il a livré à la police toute l'histoire et la structure de l'organisation. Il est formidablement utile au giga-procès. (si il y survit)


Il s'agit de l'un des premiers pentiti (repentis) d'importance dans l'histoire de la Ndrangheta. Ce qui est le plus grand des sacrilèges dans le milieu. Ils seraient autour de 58 comme lui. Ils ont tous dit qu'ils confessaient pour leurs enfants. On les voit confesser le dos tournés aux caméras sur Zoom. Afin de se protéger, eux aussi. La plupart ont été abandonnés par leurs femmes. Parce que dénoncer est un total pêché. 


Mortel.

Et les Femmes ne sont pas si idiotes non plus pour continuer à tremper sans ces eaux. La violence ne les épargne pas non plus. 

Les procureurs risquent leur vie tous les jours depuis le début de ce procès. On les appelle même les walking dead.  


Pendant ce temps, l'Italie regarde ailleurs. Ce qui ne veut pas dire que le procès n'est pas d'une importance capitale pour la région. Il y aura un avant et un après. Calabre est l'une des régions les plus pauvres d'Italie et le taux de crime est toujours resté très élevé. Le succès de ce procès soufflera sur la saleté du secteur. 

Un endroit où le décor est si beau que ce sont des films d'amour qu'on voudrait y tourner. 

Pas des suites du Godfather

mardi 30 mars 2021

À La Recherche Du Temps Perdu***************La Crucifixion en Rose d'Henry Miller


 Chaque mois (dans ses 10 derniers jours) tout comme je le fais pour le cinéma (dans ses 10 premiers) et tout comme je le fais pour la musique (vers le milieu) je vous parle de l'une de mes trois immenses passions: la littérature.

J'adore lire qui, dans mon métier de traducteur est indécollable de la tâche. Je n'ai jamais l'impression de continuellement travailler quand je traduis puisque je lis tout le temps de toute manière.  


Lire c'est accepter de plonger dans le monde des autres. C'est apprendre, c'est se surprendre. C'est découvrir, être impressionné (ou pas) c'est comprendre la grammaire, l'orthographe et les structures de phrases sans vraiment essayer. C'est confronter sa vision des choses avec celle d'un(e) autre. C'est avoir un rythme de respiration, un souffle différent, et naviguer dessus un temps.

Lire c'est apprendre à respirer autrement.  

Et respirer, c'est vivre. 


LA CRUCIFIXION EN ROSE
d'HENRY MILLER

SEXUS, PLEXUS, NEXUS

Explorer la trilogie de la crucifixion en rose c'est un peu comme découvrir son band de punk favori offrant soudainement un album de jazz funk avec des parfums de hip hop. Henry Miller aimait les trilogies. Sa trilogies de l'Obélisk (du nom de la maison de presse qui la publiait) regroupait de ses écrits des années 30, Tropic of Cancer, Tropic of Capricorn et le désespéré Black Spring. Voilà 3 autres oeuvres à ne pas négliger si on aime un seul des trois livres de la Crucifixion en Rose. 


Ses livres sont tous explosifs, originaux et colériques. Comme avec des auteurs comme Kerouac, Phillipe Dijan ou Nelly Arcan, on lit d'abord, un tempérament. Quelque chose que Miller appelait "un coup de pieds dans les culottes de Dieu". Assez peu de choses ont été écrites comme il l'a fait avant qu'il ne le fasse, ce qui lui a valu de multiples censures. Bien qu'écrit respectivement en 1949, 1953 et 1959, ils ne verront le jour largement qu'en 1964. Après des passages devant les tribunaux, alors qu'on criait à la pornographie et l'indécence. 

C'est l'honnêteté qui a gagné. 


Miller documente la période de sa vie, à New York. Rêvant de devenir écrivain pouvant se retirer en Europe. Miller est en constante recherche de liberté. Une vie dénudée de contraintes. Une vie qu'il ne peut pas vivre aux États-Unis, qu'il considère comme une prison. La plupart des situations dans lesquelles il se trouvent finissent par l'étouffer. Sa femme, sa fille, son travail à la Cosmodemonic Telegraph Company, dans ses longues marches dans Brooklyn ou sur Broadway, entre les gratte-ciel de New York, dans le béton de New York. Il vise l'Europe. Il vise la vie d'écrivain.

Ça peut agacer. Ça peut même mettre en furie. Est-ce que ses choix de décadence et de multiples rapports sexuels sont les bons? Tous ses personnages qu'on croise vraiment pas longtemps font en sorte qu'on s'attache plus vite à ceux qui restent. C'est si hédoniste et dandy que ça a fait la gloire de Miller. Et qui a tant plu au mouvement beat. Mais la frustration, la vraie, c'est l'écrivain lui-même qui la traduit sur pages. Sa vie littéraire semble hors de portée. 


Plusieurs ont dit que Miller qu'il était sexiste et misogyne. Étrange puisque celles qui me le recommandaient étaient toutes ses Femmes. Séduites par ses écrits. Trois différentes qui ne se connaissent pas. 

Ça dépend toujours des yeux qui lisent, ces choses là. Je vois surtout un homme brutalement honnête. Et tragiquement direct. On a parfois l'impression qu'il s'impose dans notre salon avec ses visions. Qui sont, oui, à certains moments, révoltantes. Mais je pense qu'il est aussi important de lire l'excès pour en comprendre l'essence. 


Ses livres sont des confessionnaux que certains trouveraient honteux. Il n'a peur de rien et dévoile. Il expose ses propres côtés déviants. On le sent si nu. Il l'est aussi, au sens propre, répondant à des pulsions sexuelles parfois bizarres, parfois primaires. De toute évidence, avec l'espace qu'il accorde au sexe dans ses trois livres, il visait le comité de censure et voulait déconstruire les oeillères hypocrites des faiseurs de loi. Tropique du Cancer était aussi banni des tablettes. Mais c'est Miller qui a fini par gagner au bout du coït compte. Et le grand pubis public aussi. 

Miller voulait une révolution et il l'a eue. Ne cherchez pas un fil narratif plein de revirements. Vous y lirez une personnalité et un tempérament. Un milieu. Ce n'est pas complètement pour tout le monde. Faut aimer affronter les effrontés.  


Faut aussi aimer les gens épris de liberté. En reprenant contact avec une amie qui me l'avait recommandé il y a déjà presque 20 ans, je lui demandais si, avec le temps, elle le recommanderait toujours. Elle m'a dit oui.

Avant de rajouter, je le relirais des milliers de fois. 

Je lui redonnerai sa copie...

lundi 29 mars 2021

Dossiers Mystère


Cette semaine, à Dossiers Mystère, nous posons la question suivante:

Donald Trump Junior ne sait-il pas qui est son père?

"Cet agresseur en chef qui est le gouverneur de New York (Cuomo) On a fait de cet homme un héros alors qu'il est le plus grand prédateur du monde politique des dernières années!"- Donald Trump Junior.


Dans les dernières semaines, Donald Trump Junior, le plus âgés et le moins Eric des enfants Trump, s'est beaucoup plaint publiquement sur toutes les tribunes possibles, du fait que le gouverneur de New York, Andrew Cuomo, n'ai pas encore été puni pour les crimes sexuels dont il est accusé. 

Ceci éveille une question très inconfortable:


Est-ce que Donald Trump Junior sait qui est son père?

Sérieusement.

C'est le sujet de notre émission cette semaine, à Dossiers Mystère

On peut tous imaginer que Donald Trump Junior connaitrait son propre père. Après tout, il dit plus souvent "My father" qu'un Tourette a de tics. Mais une chose étrange s'est produite dans les dernières années. Donald Trump Junior a semble ne jamais se rappeler de qui était son propre père. Comme vous pourrez en témoigner en écoutant les quelques échanges publics suivants de sa part:

"J'aurais aimé être Hunter Biden, je serais allé faire fortune avec les contacts de mon père, et sur le dos de sa simple présidence et je serais riche sans jamais l'avoir vraiment mérité, ce serait incroyable!


Don sait qui est son père, n'est-ce pas?...Sinon c'est un peu comme si la carafe de Kool-Aid qui défonçait à peu près tout pour se rendre aux assoiffés, se plaignait soudainement que les murs et les plafonds étaient troués par d'autres que lui et que les trous avaient exactement la forme de la carafe de Kool-Aid...ou que les pas dans la neige que laisse son père, ne serait peut-être pas les traces de son père même si il marche tout juste derrière...


"Que ce soit le fils de Joe Biden, que ce soit le frère de Joe Biden, sa soeur! il semble que toute sa famille eût profité, toute leur vie, de manière éhontée, de l'argent des pauvres payeurs de taxes! Tiens mon fils!Je te donne tous les emplois que tu voudras! même si tu n'en a pas le talent!"-Donald Trump Junior.

Donald Trump Junior pense-t-il avoir hérité d'un emploi, comme celui qu'il a dans la Trump Organisation, parce qu'il a fait une excellente page de présentation dans son curriculum vitae?  Comprend-t-il le sens du mot "Junior" dans Donald Trump Junior? Pense-t-il avoir compris des choses tout seul? Comme quand il pensait,  que Saturday Night Live, (SNL), s'épelait, lorsque abrévié, S&L


Qu'est-ce qui explique cette mystifiante absence de conscience de soi-même? 

Serais-ce possible que l'impensable soit vrai?

Que Donald Trump Junior ne soit pas du tout au courant de qui est son père?

Nos enquêteurs ont cherchés des images de Donald Trump et de Junior et ont été incapables d'en trouver une seule montrant un câlin, ni même un simple regard affectueux. Parce que sérieusement, si Donald Trump Junior sait vraiment qui est son père, comment expliquer qu'il ait pu dire ceci?:


"Joe Biden est probablement l'homme le plus corrompu à ne jamais avoir été président des États-Unis d'Amérique. DE TOUTE L'HISTOIRE DU PAYS!. Joe Biden ne sait pas du tout où il est 50% du temps! Le gars n'est même pas capable de former une phrase complète cohérente! Il semble aussi que l'entièreté de la famille Biden ne dépende financièrement que de sa présidence actuelle." - Donald Trump Junior.


Nos théories passent de l'enfant qui ne serait peut-être pas le sien du tout et que le tricheur-en-chef le sait très bien, à Donald Trump senior ne s'intéresse qu'aux blondes gens blonds. Mais en cette ère de tout-le-monde-sait tout, votre opinion vaut la nôtre. Bâtissez notre émission s'il vous plait, nous voulons économiser les frais de scénarisation, de superviseur au contenu et de recherches. 


Si vous détenez des informations pouvant nous aider à comprendre comment peut-il ne pas savoir qui est son propre père, à 44 ans, ou encore si vous pensez, comme certains, qu'il aurait platement oublié qui était son père, n'hésitez pas à tenter d'entrer en contact avec nous.

En appelant aux autorités de l'Ohio, de l'Oregon, de l'Iowa, du Wisconsin, de la Floride, du Maine, du Texas, du Nord Dakota, de la Californie, de l'État de Washington et de tous les États qui se trouvent au milieu de tout ça. 


Faites vite, avant qu'il ne commence à traiter Joe Biden de raciste fraudeur foncier incapable de ne pas tricher au golf ou de gérer profitablement un casino. 

Agrippant les femmes par la chatte. 

Ça pourrait être dit dès demain. Chez Hannity ou Carlson Tucker

Ou sur le fil dont son père est banni.

Les idiots de proportions gratte-ciel sont des bêtes difficiles à comprendre. 

dimanche 28 mars 2021

Bertrand Tavernier (1941-2021)


 Né durant l'Occupation, son père, écrivain, est aussi fondateur du magazine Confluences, publié pendant cette Occupation Nazie et laissant signer de grandes plumes comme Paul Éluard ou Louis Aragon. Selon Bertrand, le poème Il N'y a Pas d'Amour Heureux, d'Aragon, aurait été inspiré de sa mère. 


D'abord fan de cinéma, c'est ce qui le caractérisera toute sa vie. La passion du cinéma. Il sera attaché de presse de Jean-Luc Godard à 24 ans, il amène Aragon à la première de Pierrot Le Fou, dont le poète fera une formidable critique élogieuse. C'est en soignant une tuberculose, plus jeune, cloîtré au sanatorium, qu'il prend contact avec le cinéma et subit le coup de foudre. 

Pendant ses études en droit, il est pigiste pour Télérama et il fonde un ciné-club. Il devient aussi critique dans le magazine Cinéma 59 ou 60.  

En 1961, il est assistant-réalisateur pour Jean-Pierre Melville sur Léon Morin, Prêtre. Il sera attaché de presse un bon 10 ans, entre 1964 et 1974. Il sera l'attaché de presse de Godard, mais aussi de Stanley Kubrick pour 2001: A Space Odyssey, A Clock Work Orange et Barry Lyndon. Tavernier aura le culot de lui envoyer comme télégramme : "Comme artiste, vous êtes génial, comme patron, vous êtes un imbécile".


Après deux segments dans des films en 1964, et deux scénarios tournés par d'autres, c'est 10 ans plus tard qu'il obtient un bon succès comme réalisateur avec l'adaptation d'un roman de George Simenon. C'est une première collaboration avec Phillipe Noiret et une grande confiance mutuelle s'installe entre les deux. Ils travailleront souvent ensemble. De multiples parallèles avec Martin Scorcese peuvent se faire avec Tavernier. Il réutilisent régulièrement des acteurs avec lesquels il a travaillé et son travail en faveur de la conservation, la diffusion, l'apprentissage et la connaissance des oeuvres sont irréprochables. C'est un vrai nerd du cinéma.


Discipliné, il tourne un film par année entre 1974 et 1977. Les deux suivants mettent encore en vedette Phillipe Noiret. Et rallient grand public et critiques. En 1977, il signe une co-scénarisation de Christine Pascale la mettant en vedette, ainsi que Michel Piccoli. La même année il commence la production. Il sera toujours intéressé par l'investissement, financier, affectif ou moral que l'on fait dans un film. 

Avec Romy Schneider, Harvey Keitel et Harry Dean Stanton, Tavernier offre un regard futuriste, en 1980, sur nos rapports à la télévision et sur le voyeurisme. Un film prémonitoire annonçant les télé-réalités. Il tourne avec Nathalie Baye la même année, puis frappe fort avec Phillipe Noiret et Isabelle Huppert, l'année suivante. Il fera deux courts-métrage et de la télévision avant d'offrir un documentaire franco-américain sur une amitié entre un Français et un Étatsunien, tissé autour du cinéma et de la musique. L'utilisation de la musique sera toujours importante dans les films de Tavernier. 


Il était marié à Colo Tavernier de 1965 à 1981. Avec elle, il signe un scénario plaçant l'action en 1912, chez un peintre sans réel génie au crépuscule de sa vie, film qui donnera des Césars aux scénaristes, au directeur photo Bruno de Keyzer et à Sabine Azéma, comme meilleure actrice, avec Un Dimanche à la Campagne. Il gagne aussi le dernier Grand Prix du Cinéma Français, ainsi que la prix de la Mise en scène au Festival de Cannes. 


Inspiré d'une biographie de Bud Powell, il présente un film racontant la vie romancée du saxophoniste Lester Young et du pianiste Bud Powell, sans en utiliser les noms. Dexter Gordon, François Cluzet et Herbie Hancock (qui signe aussi la trame sonore) sont de la distribution. Tout comme Martin Scorcese, qui ne pouvait que lui trouver des affinités communes. Le film remporte l'Oscar du meilleur film étranger, à Hollywood. 


Colo Tavernier adapte pour lui un livre de Michel Peyramaure qui parle de relation père-fille, de violence et de démons intérieurs en temps de guerre. Avec Noiret et Azéma, il tourne La Vie Et Rien D'Autre racontant la quête de deux veuves de la Première Guerre Mondiale et d'un commandant chargé de rescencer les disparus. Le film remporte à Noiret le César du meilleur acteur (et le film, de la meilleure musique). 


Bertrand Tavernier avait longuement travaillé de faire connaitre le réalisateur britannique Michel Powell aux Français. Quand celui meurt, en 1990, à 84 ans, Tavernier lui dédit son film, signé Colo Tavernier, encore, mais dont Bertrand fera tous les dialogues, racontant la relation entre une scénariste irlandaise renouant avec son père mourant. Ce sera le dernier film Dirk Bogarde. 


Il participera, avec Alain Resnais, Jean-Luc Godard et 27 autres réalisateurs/réalisatrices à un collectif dénonçant les prisonniers politiques dans le monde., avant de signer un documentaire sur la Guerre d'Algérie. 

C'est en 1992 que je prend connaissance de son travail pour la première fois avec sa chronique du quotidien de la brigade des stups! Bien que je me moque régulièrement de cette expression (la brigade des stups!) j'aime beaucoup l'aspect très réaliste de son film. Montrant un important décalage entre moyens d'opérer contre les trafficants de drogue et ressources pour le faire.


Je verrai son film suivant plus de 150 fois, une comédie sur les trois mousquetaires, maintenant agés, reprenant du service quand la fille de D'Artagnan désire trop impulsivement suivre les traces de son père dans le métier de mousquetaire et les force à sortir de leur retraite. Pourquoi l'ai-je vu si souvent? Je travaillais alors au cinéma du Complexe Desjardins de Montréal qui le présentais. 

Je verrai aussi ses deux films suivants que j'ai beaucoup aimés. 


L'Appât
nous présente Marie Gilain dans son tout premier rôle et elle y est très crédible. Tiré d'un fait divers des années 80, où un trio de jeunes paumés s'organisaient pour qu'une amie, jouant la prostituée chic pour les gens riches, serve d'appât pour qu'ensuite les deux autres viennent le voler le soir même du rendez-vous galant, un de ses soirs virent au véritable drame. Très bien interprété par tout, très réaliste et brutal. Marie Gilain et Olivier Stiruk gagnent tous deux le prix de meilleurs espoirs aux Césars.


Capitaine Conan
sera encore plus intéressant pour moi. Adapté d'un roman du même nom de Roger Vercel, le film raconte l'histoire d'un capitaine militaire sur le Front des Balkans pendant la Première Guerre Mondiale, intense et extraordinairement dans son éléments pendant la guerre. Il brille et vibre tout simplement. C'est la définition visuelle parfaite de "être sur son x". Puis, quand cette sale guerre se termine, il peine à se trouver de la motivation à simplement s'occuper. C'est le portrait de gens ne pouvant exister que dans un seul contexte et qui ne sente aucunement plus utile, ailleurs. Phillipe Torreton y est tout simplement formidable dans le rôle titre et gagner le César du meilleur acteur pour ce film. Tavernier, celui du meilleur réalisateur (ex-aequo avec Patrice Leconte pour Ridicule, un autre immense film).  


L'année de la naissance de mon fils, 1999, je verrai aussi son portrait de la situation en enseignement et éducation, en France. Sa fille Tiffany, romancière, co-signe le scénario, elle sera aussi assistante-réalisatrice. Son fils Nils sera aussi réalisateur et fera l'acteur aussi. 

J'avoue n'avoir plus rien vu de Bertrand Tavernier par la suite. Le cinéma cédant peu à peu le terrain dans mes nouvelles tâches de parent. 


Il tournera un documentaire à Lyon, un film historique avec Jacques Gamblin et Denis Podalydès, un parcours du combattant pour adopter un enfant, une adaptation d'un roman de Jamie Lee Burke, aux États-Unis, une adaptation de Madame de La Fayette, une adaptation de bande dessinée de Christophe Blain et Abel Lanzac et tourne un documentaire sur le cinéma, qui se développera en série de 12 heures

Le cinéma, une passion indéniable chez ce grand amoureux du 7ème art. 

Colo, partenaire des premiers instants aux derniers, décède l'an dernier, du cancer, à 77 ans.

Bertrand, le grand, nous quitte la semaine dernière à l'âge de 79 ans.

C'est un grand passeur qui vient de passer. 

samedi 27 mars 2021

O.K.


Il y a plusieurs années, quand j'étais étudiant en cinéma, on nous envoyait à chaque année à la tour de Radio-Canada, afin d'assister au post-input. Le "input" en soi, était un rendez-vous des diffuseurs télé mondiaux qui se montraient mutuellement leurs meilleurs projets télés tournés durant la dernière année et qui en discutaient par la suite. Le post-Input était un rassemblement des meilleurs moments de ce premier rassemblement et on en discutait ensuite, aussi. Pourrait-on faire ça, chez nous? Pas ce que Irvine Welsh avait offert au Royaume-Uni en tout cas. 

"C'étais pas moi, Jones!"

Un de nos enseignants, aussi employé de Radio-Canada, était très impliqué dans le Input et nous invitait, ses élèves, à assister au Post-Input. C'était ouvert à tous je crois, mais seuls les mordus de la télé/cinéma s'y trouvaient. Je crois que c'est là que j'ai croisé quelques fois Martine Delvaux. Pendant les visionnements, il y avait cette femme (Martine Delvaux? je ne crois pas) qui réagissait à voix haute à absolument tout. Comme une ainée se moquant de la bulle sociale ou un enfant qui ne la connait pas. 

"Oh!" "Ah Ben oui, c'est certain!" "Aaaaah franchement!" "hooooon, gênant!" "Ouin! comme ça!" "O.K.!" "ah ben, cou'donc!", "Oupelaïlle!", "Ouch! ça, ça doit faire mal!" Oooooooohlàlà!"

ON REGARDE TOUS LE MÊME ÉCRAN!! ON NE VEUT PAS TES ÉTATS D'ÂMES!


Ne se passait pas une seule minute dans le noir sans qu'elle ne pousse un son de sa bouche. Même retenu. Alors qu'on essayait de se concentrer sur ce qu'on voyait, on pouvait être aveugle et deviner un peu. Je n'étais pas le seul à en être irrité, ses sons en amenait d'autres et on entendait des "chuuuut!" ou des bruits d'impatience. J'étais aussi celui qui était tout juste derrière elle. C'était insupportable. Étais-ce Martine Delvaux? Quand celle-ci est devenue plus publique, je me rappelle avoir pensé que je la connaissais. Peu importe. Cette personne polluait l'air en prêtant voix à toutes les impressions qui lui passaient par la tête. Sans jamais se rendre compte que ça gênait tout le monde. 


Ce n'était pourtant pas une enfant, ni une ainée. 

Il y a ce collègue de bureau, 25, 30 ans, Jean-Mank DeKonfianss qui est engagé chez nous depuis décembre. Il est comme ça. Il pense à voix haute. Je travaille directement avec lui. Je reçois les requêtes des villes, les adapte dans nos systèmes, les clarifie, les importe pour que JMDK en face des routes pour les chauffeurs. C'est Garfield qui faisait cela avant. À deux, JMDK et moi, on décharge bien des gens avec ce qu'on fait. Dont Garfield. C'est lui qui lui a montré comment faire. Mais après 4 mois, JMDK n'a pas gagné une seconde d'assurance. 

Avant, JMDK était dans le même bureau que Garfield. Et un matin, il est apparu dans le cubicule en face du mien. 


J'ai compris pourquoi il avait été expulsé du bureau de Garfield. 

"O.K.", "Oui bon je vas peut-être faire ça", "Hmmmm...comment je pourrais faire?", "Ça rentre tu dans le camion?" "Je le sais pas si...." "Ouin ça c'est bizarre"


Il est exactement comme cette femme mentionnée plus haut. Il réfléchit tout ce qu'il pense, à voix haute. Pour commencer ses journées, il baille toutes les 7 minutes. Bruyamment. Et plus tard, il rumine et grogne comme on le ferait en dormant. Mais il ne doit pas tant dormir dans la vie pour bailler aussi sportivement. 

Il manque tellement d'assurance malgré une indépendance qu'on lui prêterait plus vite, qu'il doit CONSTAMMENT faire valider TOUTES ses décisions par Garfield. 


"Faut que j'confirme avec Garfield" est une phrase entendue au moins 10 fois par jour du lundi au mercredi. Il varie parfois ses questions en confiant ses craintes et incertitudes à d'autres. Donc moi, puisque je suis si près de lui. Je suis patient. Quand il réalise qu'il a déjà trop consulté tout le monde, il marmonne à voix haute pour que quiconque puisse lui répondre à la dérobée. Mes airpods n'ont jamais autant servi. Ce qui donne des moments surréalistes d'incommunication où il me parle de l'autre côté de la palissade du cubicule, ne réalisant pas que j'ai mes écouteurs, mais je ne lui réponds pas, je ne l'entends pas. Je le laisse prendre ses décisions à lui. Ce qu'il n'est jamais enclin à faire. 


J'ai compris pourquoi Garfield avait aussi ses écouteurs, même si à 3 pieds de lui dans le même bureau. Garfield Tucker était en vacances cette semaine...Qu'est-ce que j'ai été abusé! Nos lundis, mardis, mercredis sont intenses et chargés. Nos Jeudi, vendredi, du week-end avant le vrai. 

Mercredi, il a même dit à voix haute, après avoir posé des questions réponses pendant 20 minutes:

"Ouais, là, je pense que je vais prendre une décision" Ce qui semblait une montagne. Ce jour-là il avait aussi dit "O.K." à peu près 121 fois. Chaque fois qu'un semblant de décision lui passait par la tête qui baillait encore. 


Il a aussi dit au moins cette fois "Là...J'ai un dilemme..." dans l'espoir que n'importe qui tranche pour lui. 

Et ça! Ce n'est que ce que j'ai entendu! J'ai écouté coup sur coup des albums/listes de lecture des Newton Brothers, Joni Mitchell, Alt-J, Raphaël, de Roxy Music, des Rolling Stones, de Bowie, de Bright Eyes, Lana Del Rey, Love et Tin Machine.

Puis, vers 15h00...la phrase fatale, après 5 "O.K.", un 6ème:


"O.K..,je vais aller faire un petit caca..."

(...)

Là c'est moi qui ai dit "o.k."

Avant d'ensuite lui chanter le refrain d'une chanson de Duran Duran.

TOO MUCH INFORMATION!

Je sens que je serai épuisé bientôt... 

...où que j'écouterai beaucoup beaucoup  BEAUCOUP de musique en travaillant.