Les biographies de Jackie Kennedy parlent peu des jours confus qui ont suivi la mort de JFK. Comme par pudeur. On a préféré gardé l'image des Kennedy. En oubliant les vrais traits humains.
L'Amérique, l'univers de la télévision, le monde entier, allait vivre un traumatisme, dans lequel elle serait au coeur de la douleur. Épouse, jeune mère de deux jeunes enfants, Elle vivrait un mal titanesque suite à l'assassinat très public de son puissant mari. Elle serait en mode zombie/survie, un bon deux semaines, refusant de quitter la Maison Blanche. Puisque c'était tout ce qu'elle connaissait. Elle venait tout juste de terminer la supervision des nouveaux aménagements commencés début 1962. Le couple avait même vendu leur maison de Georgetown et n'avait plus vraiment de maison à habiter en permanence, sinon, la Maison Blanche, depuis 1960. Ils avaient bien une maison à Hyannis Port, au Massachussets connu sous le nom du Kennedy Compound, mais c'était une propriété familiale, pour tous les Kennedy, et elle n'était aucunement conçue pour l'hiver.
Trois jours après les événements qui l'avaient lancée dans une désorientation presque totale, Jackie recevait la nouvelle première dame, Lady Bird Johnson. Pour lui montrer les airs de l'endroit qu'elle et son mari habiteraient bientôt. Quand? on ne savait trop. D'un côté, Lyndon Baines voulait intégrer son nouveau bureau le plus rapidement possible afin que les retards ne s'accumulent pas trop; de l'autre, Lady Bird lui avait dit à elle de bien prendre le temps qu'il fallait pour se remettre de tout ça, tout en restant surprise des deux longues semaines où Jackie est restée cloîtrée, ne sortant que la nuit, avec Bobby et quelques fois des amis, pour aller se recueillir sur la tombe de JFK. De nuit, puisque personne la nuit ne venait les embêter en fouinant, la tombe étant surpeuplée de citoyens atterrées et aussi enterrée de fleurs, de jour. Une équipe du cimetière travaillait à "nettoyer les lieux" pour la nuit.
Le 23 novembre même, premier matin de la mort de JFK, sur le radar, Jackie s'était rendue à la Maison Blanche afin qu'on se débarrasse de choses personnelles appartenant anciennement à son mari, fraîchement disparu. À sa grande surprise, on débarrassait déjà les lieux avant son arrivée, pour accommoder Lyndon B. Johnson.
Du bureau de JFK, elle est tombée sur deux vieux articles de journaux découpés, datant d'avril 1962. Le premier, du Washington Daily News la citait suite à une visite de courtoisie en Inde. Le second article, au journal non identifié, lui faisait dire que l'absence de son mari, au Pakistan quand elle y était, l'avait peinée, dans les premiers jours d'avril 1962. Sa soeur, Lee, l'avait alors accompagnée.
Sans son puissant mari, Jackie était légitimement déracinée. Le terme est le bon car elle avait pris racine comme poseuse auprès de lui, sans jamais avoir à faire autre chose que d'être belle et sophistiquée. Ce à quoi elle réussissait bien. Jackie est un fantasme principalement féminin où on marie le pouvoir pour n'avoir ensuite qu'à poser à ses côtés. Aussi trophée que lui l'est pour les autres. Plus belle fleur du bouquet.
Pour le weekend de l'action de grâce, une fête sacrée aux États-Unis, elle ne put se résoudre à se montrer en public. Restant seule, sans Kennedys autour.
C'est toutefois pendant ce weekend, qu'elle a fait venir l'essayiste politique Théodore White, lui accordant une entrevue complexe dans le désordre de ses émotions, émotions pas 100% comprises par elle-même, encore. Jackie Kennedy, 34 ans, redevenue Jacqueline Bouvier.
Pour avoir vécu un traumatisme, de moindre envergure internationale, mais surement aussi intense, le 17 décembre 2009, quand mon père hyperactif de 62 s'est éteint spontanément, les patins aux pieds, je peux complètement comprendre le brouillard des jours qui suivent, où on perd la notion du temps, de l'espace, alors que le mode survie s'installe tout seul en nous.
Jackie a parlé à White de l'amour de JFK pour la comédie musicale Camelot et a dressé des parallèles entre l'histoire de ce royaume et le règne à la Maison Blanche de son Homme. Ce qu'elle a aussitôt regretté. Trouvant que son mari serait jugé sur le style (comme elle le sera elle-même) au lieu d'être jugée sur la substance (le court règne de Kennedy, on l'oubliera aussi, sera parsemé de lourds échecs).
Elle regrettera aussi autre chose. Près de la cheminée, dans ce qui est appelée la Presidential Bedroom, une plaque commémorative rappelle que Abraham Lincoln a vécu dans cette chambre. Elle a signé de sa main les mots In this room lived John Fitzgerald Kennedy and his wife Jacqueline during the two years, ten months and (illisble) days he was president of the united states. January 20th 1961 -November 22nd 1963. Qu'elle a aussi choisi de faire plaquer à côté de l'autre plaque.
Pendant ce temps, des centaines de milliers de lettres de sympathies, de questions et de mots d'encouragement lui étaient envoyés tous les jours et étaient triés et répondues par ses amies Nancy Tuckerman et Pam Turnure, qui n'ont jamais autant travaillé de leur vie. Au niveau support moral aussi.
L'année qui suivrait en serait une extrêmement confuse et brouillonne pour celle qui vivait un deuil extraordinairement public. Donc relativement artificiel et peu cohérent avec ses propres émotions internes.
Sa fille Caroline, qui allait "célébrer" ses 6 ans, 5 jours après la mort de son père, comprenait trop bien ce que sa mère vivait. Elle s'en inquiétait beaucoup. Elle la surveillait en tout temps. Et son regard inquiet rappelait à Jackie qu'elle était toujours au seuil d'un point de bascule important. Qui ne devait pas entraîner son entourage dans une déroute plus malsaine encore.
Caroline retournerait à la Maison Blanche très souvent, allant à la garderie de l'endroit. De plus, les gens envoyaient énormément de cadeaux à la veuve internationale, et Jackie lui avait donné la permission d'aller se chercher pas plus d'un cadeau par jour, en pigeant dans le tas, durant la période des fêtes. Lady Bird avait par ailleurs accepté que Caroline soit toujours élève de la garderie de la Maison Blanche, afin de ne pas la désorganiser davantage dans ses routines.
Se rendant au spectacle de Noël de fin d'année, le 14 décembre 1963, Jackie ne retournera jamais plus à la Maison Blanche, sinon une fois, en 1971, quand Richard Nixon l'y avait invité.
Vous parlant de deuil cette semaine, ça m'a placé sur cette piste.
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