J'ai eu la chance, entre 1986 et 2009 de pouvoir fréquenter à ma guise le chalet familial au Lac St-Joseph. Un véritable oasis de bonheur. Pour ma famille, mais pour nos amis aussi. Pour s'y rendre, nous devions traverser sa ville jumelle, Ste-Catherine-de-La-Jacques-Cartier.
Traverser le petit pont et monter la grande cote, où trônait au bas une quincaillerie (maintenant une épicerie, si je ne me trompe pas), menant vers le golf du Lac St-Joseph, puis vers le Lac.
La photo qui ouvre cette chronique en est une que j'ai prise sans effets rajoutés aucun, en fin de journée, vers 1999. Tirée d'un véritable appareil photo pas d'un Iphone. C'était le point de vue du salon. Mon affiche du bonheur. Cette photo ne quitte pas mon bureau de travail depuis.
Au bas de cette côte, il y avait cette rue, où je savais qu'Anne Hébert avait vécue. Et la Jacques-Cartier qui a bercé la mort de St-Denys Garneau. J'ai toujours cru (à tort) que la croix qui est dans la Jacques-Cartier, près du pont, surplombait la tombe de St-Denys-Garneau. Ça aurait été à propos.
Mais rien n'étais à propos dans la vie de St-Denys Garneau, cousin d'Anne Hébert.
Hector St-Denys Garneau est né dans une famille riche et confortable de Montréal. Arrière petit-fils de l'historien, poète, notaire et greffier de la Ville de Québec, François-Xavier Garneau, Homme majeur qui a façonné l'identité collective canadienne-française et Québécoise, petit-fils de l'historien et poète Alfred Garneau et fils du comptable Paul Garneau, Hector passe une partie de son enfance au manoir Juchereau-Duschenay, une majestueuse demeure de Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier. Il y côtoie sa cousine, Anne, de 4 ans, sa cadette, et sur laquelle il a une grande influence.
À 11 ans, la famille s'installe à Montréal pour vrai et St-Denys Garneau y commence ses études classiques au Collège Sainte-Marie, puis au Collège Loyola et finalement, au collège Jean-De-Bréboeuf. La riche famille habite Westmount.
Il suit aussi, en parallèle, des cours qu'il juge souvent plus important que tout, de peinture au Collège des Beaux-Arts. Une véritable passion pour St-Denys Garneau. Qu'il gardera toute sa courte vie.
À 16 ans, il attrape platement une fièvre rhumatismale qui lui cause des complications cardiaques. 6 ans plus tard, des complications respiratoires se confirment, les médecins lui découvrent une importante lésion au coeur. St-Denys Garneau en est dévasté. Il abandonne ses études en philosophie, se trouvant fragilisé à jamais. La mélancolie s'invite dans sa vie. Il est proie a de l'abattement se rapprochant de la dépression.
Je ne suis plus de ceux qui donnent, mais de ceux qui'il faut guérir. Et qui viendra dans ma misère?Qui aura le courage d'entrer dans cette vie à moitié morte? Qui me verra sous tant de cendres? et soufflera, et ranimera l'étincelle? Et m'emportera de moi-même? Jusqu'au loin, ah! au loin, loin! Qui m'entendra, qui suis sans voix, maintenant dans cette attente? Quelle main de femme posera sur mon front cette douceur qui nous endort? Quels yeux de femme au fonds des miens, au fond de mes yeux obscurcis, voudront aller, fiers et profonds, pourront passer sans se souiller? Quels yeux de femme et de bonté voudront descendre en ce réduit et recueillir, et ranimer et resaisir et retenir cette étincelle à peine là? Quelle voix pourra retenir, quelle voix de miséricorde, voix claire, avec la transparence du cristal et la chaleur de la tendresse, pour me réveiller à l'amour, me rendre à la bonté, m'éveiller à la présence de Dieu dans l'univers? Quelle voix pourra se glisser, très doucement, sans me briser, dans mon silence intérieur?*
St-Denys Garneau peint, mais il écrit aussi.
Il fonde avec ses amis Robert Charbonneau, Robert Élie (tous deux du Collège Sainte-Marie), et Paul Beaulieu la revue La Relève, journal étudiant et social. Il se lie d'amitié à André Laurendeau dans ses cours de philosophie et garde une correspondance avec lui, même après que St-Denys eût quitté les bancs d'école et que Laurendeau se soit lancé en politique.
Il peint entre 1931 et 1937 une cinquantaine de toile, des huiles, principalement des paysages jetant un regard particulier sur ses poèmes. Il n'exposera que trois fois de son vivant.
Jusqu'alors, la littérature Québécoise se contente d'imiter (pâlement) la littérature française. St-Denys Garneau est un auteur moderne pour les années 30. Son écriture est en vers libre, ce qui en fait sourciller plusieurs. Il publie, en 1937 son unique recueil, un recueil de poèmes, Regards et Jeux de L'Espace, 28 poèmes qui rencontre si peu de succès qu'il s'en trouve lourdement déçu et en retire toute les copies.
Dans ma main, le bout cassé de tous les chemins..**
Ses thèmes sont la douleur, la spiritualité, la nature, l'intériorité, l'identité, le mouvement, l'espace, le temps. Le regard et la contemplation (chère aux peintres) font également partie intégrante de l'esthétique de l'auteur qu'il devient. La mélancolie, la déception, la trahison et l'imminence de la mort sont forcément aussi de son contenu.
Où sont les ponts, les chemins, les portes ? Les paroles ne portent pas. La voix ne porte pas...**
Précurseur de la modernité littéraire, il ne connaîtra pas le succès de son vivant. Mais vers 1972, on le republie et il est davantage reconnu.
À 31 ans, il part en randonnée de canot sur la Jacques-Cartier, à Ste-Catherine. Épuisé, il veut faire escale sur le terrain d'un ami, mais s'effondre et ne respire plus. La mort reste énigmatique, bien que la lésion au coeur fasse foi de toute explication.
Nous seront tous pour la plupart, plus vieux qu'Hector St-Denys Garneau, frappé d'injustice.
St-Denys Garneau aurait eu 105 ans aujourd'hui.
Il n'en a jamais eu 32.
* Lassitude
** extraits de Monde Irrémédiablement Désert
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