mercredi 6 juillet 2016

Feux D'Artifices

(à M.N.)


La chanteuse des années 80 avait été choisie pour une partie du spectacle de la fête nationale. Elle avait aujourd'hui 53 ans. Elle n'était plus du tout au goût du jour. D'ailleurs l'avait-elle un jour été?

Sa carrière avait débuté à 17 ans. En 1980. Dans une comédie musicale populaire.  Elle avait toujours été adorable. Belle. Pas du genre vulgaire, ni même charnelle. On ne tombait pas sous son charme en raison de son corps, comme les chanteuses d'aujourd'hui. On tombait sous son charme pour ses yeux, son large sourire sur sa large bouche, ses traits fins, ses jolis cheveux bouclés. Elle n'avait jamais inspiré le sexe.

Elle n'avait jamais été fortement populaire, mais juste assez, un temps. Un temps passé.  Elle pensait à tout ça en regardant les feux d'artifices qui explosaient dans le ciel de la banlieue où elle venait de se produire. Elle repensait à sa vie de chanteuse. Ses 20 ans, où la chanson titre de son second album allait la définir pour toujours. Mais une ballade de 1984, ça s'importe mal sur scène en 2016. Elle ne l'avait même pas jouée car à la fête nationale, on voulait danser. Et non se poser des questions existentielles sur l'amour.

Elle avait été contente de pouvoir se reproduire sur scène à 53 ans. Elle avait été contente aussi qu'on ne lui ait pas demandé de jouer parmi les premiers invités de la soirée. Ceci voulait donc dire qu'elle n'était pas si "out" que ça. Elle s'était produite en plein milieu du show. Faisant trois morceaux, un petit segment de comédie avec les humoristes engagés pour animer les liaisons de la soirée et un medley de chansons québécoises passablement raté. Mais ça elle ne le saurait pas. Elle penserait avoir bien fait. Les humoristes avaient insisté pour qu'elle interprète un de ses succès qui aura toujours été à cheval entre la chanson engagée et la chanson affreusement risible. Cette chanson, nettement imparfaite, l'avait toujours déstabilisée.  Elle ne savait jamais si le public s'amusait avec elle ou si il riait d'elle. La vie d'artiste vous fait perdre la plupart de vos repères. Ce soir de 2016 ne serait pas différent. Elle jouerait la dite chanson, qu'elle s'était promise de ne plus rejouer, mais en la modifiant tant, qu'elle deviendrait difficile à reconnaître et suivre.

Elle était et avait toujours été une étoile sans repères. Même son gérant s'occupait à avoir des comportements inappropriés avec ses clients. Elle le découvrirait assez tard. Elle devait garder ses distances.

La chanteuse des années 80 avait presqu'été une star. C'est le nez dans les étoiles qu'elle pensait à tout ça. En regardant les feux d'artifices. Des feux d'artifices qui illustraient si bien sa vie. Les feux comme quand une étoile brille sur scène, mais les artifices, comme dans "artificiel", comme dans "je fais semblant, parce je suis si peu présentement...".

La chanteuse des années 80 serait au coeur de rumeurs malsaines sur les folies de son gérant. Elle garderait encore ses distances.

Populaire discrète.

C'est parce qu'elle était d'envergure moyenne qu'on avait accepté de la placer au milieu d'un spectacle de fête nationale, dans un parc de banlieue.

Parce que le souvenir d'elle, ferait sourire.

Elle était plus souvenir que saveur du jour.

Dès 1985, à 21 ans, elle commençait à faire des compilations. Comme si elle avait toujours été pressée de mettre quelque chose derrière. De fermer les livres sur quelque chose. Le mot "amour" est ses dérivés était de presque tous ses titres. Comme si l'amour avait été une zone inexplicable pour elle. Inateignable. Une zone diffuse qui faisait naître facilement les rumeurs.

Elle avait connu les feux et les artifices. Surtout les artifices.

L'animatrice de radio, qui avait ouvert les présentations en début de spectacle de la fête nationale, une jeune femme qui avait avait été populaire principalement grâce à ses bouclés cheveux roux à la télévision, et qui depuis se terrait à la radio, les cheveux plats, courts et blonds. l'avait presqu'oubliée en remerciant tous les invités de la soirée, tout juste avant les feux de fins de soirée.

La chanteuse était désormais de celles qu'on oublie. Et c'était à la fois pour se faire renaître un peu, retrouver un brin de dignité, qu'elle s'était d'abord produite sur scène. Elle ne voulait plus se sentir de porcelaine.

Parce que son petit frère avait été repêché par les Nordiques au milieu des années 80 (il ne jouerait jamais dans la LNH) j'avais eu vent alors de son vrai nom.

J'étais amoureux de la chanteuse des années 80. En 1984, 1986, 1988, 1990.

Pas par désir de son corps. Par désir de son coeur.


La chanteuse des années 80 a plus ou moins disparu de la constellation des étoiles de la pop entre 1990 et nos jours.

Elle a refait surface comme une noyée reviendrait à la hauteur de l'eau et de l'air en banlieue récemment.

Elle a eu la tête dans les étoiles à regarder les feux d'artifices de la soirée.
Et ceux qui auront marqué les 36 dernières années de sa vie.

Un soir de fête nationale.

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