Windsor Klébert c'est le vrai prénom de Dany.
Dany Laferrière.
Windsor Klébert c'est aussi le prénom de son père, ancien maire de Port-au-Prince. C'est justement parce que son père avait un poste d'autorité que ses parents, sous le régime de Duvalier, l'ont protégé en le cachant chez la grand-mère qui l'a élevé. Les parents de Dany avaient peur qu'on se serve du fils pour faire du chantage ou encore pour y aller de représailles à l'égard du père.
Journaliste et intellectuel depuis toujours, Dany est fortement marqué par l'assassinat de son collègue journaliste Gasner Raymond par les tontons macoute en juin 1976. Convaincu qu'il se trouve lui aussi sur la liste des "indésirables" de Duvalier, il fuit le pays en n'informant que sa mère pour Montréal. Il retourne en Haïti trois ans plus tard, y trouvant l'amour de sa vie, qui lui donnera trois filles.
Dany fait plusieurs petits boulots, mais surtout il vit. Il vibre de tout son lui-même. Il est une éponge comme tout bon écrivain se doit de l'être. Et Dany est un bon écrivain. Mais il est surtout un bon vivant.
J'ai l'impression que je le connais depuis toujours et pourtant je ne lui ai jamais parlé. Quand il se prononce, je sais comment il réagira à telle ou telle question. Je connais son tempérament qui me rappelle celui de tous mes amis d'origine haïtienne.
Ces amis, comme Dany, savent cultiver la patience. Le sentiment d'urgence leur est souvent étranger. Ils prennent le temps. Ça peut tomber sur les nerfs de certains, mais la plupart du temps ça tombe sur des nerfs déjà trop tendus.
Je ne suis pas émigré. Je suis un faux émigré. J'ai quitté le 418 en 1991 pour le 819, puis le 819 pour le 514 dès l'année suivante. Et depuis 2002, je suis dans le 450. Mais rêve encore du 514.
Le meilleur livre que j'ai pu lire sur l'exil est un livre de Dany Laferrière. Ça s'appelle Chronique de la Dérive Douce. C'est en fait moins un livre sur l'exil qu'un livre sur un atterrissage quelque part. Dany à Montréal en 1976. Ce sont de courts textes, en prose, qui sont autant de moments saisis à cette année de grands bouleversements dans la vie de Laferrière, dans un décor que l'on connait si bien, celui de la rue St-Denis et de ses environs.
C'est forcément aussi un livre sur l'exil. Parce que quand on atterrit, on arrive de quelque part. Et on traîne des traces de ce quelque part avec nous. Le regard de Laferrière sur notre ville est tout ce qu'il y a de plus candides.
Quand j'ai découvert Chronique de la Dérive Douce, j'étais dans un avion. Un petit vol de 2 heures. J'ai fini le livre avant l'atterrissage. Ça me semblait approprié de lire sur le déracinement en plein vol pour ailleurs. Quand je voulais lire sur l'exil je lisais Marco Micone (ou Kim Thùy que je ne connaissais pas encore, toutefois). Dany m'a extraordinairement charmé avec son livre. J'ai tant aimé qu'à mon retour je l'ai acheté. Pour qu'il ait des redevances, mais aussi dans le but d'en faire une adaptation pour un court ou un moyen métrage. Chose que je n'ai pas pris le temps de faire encore.
Dany prend le temps. C'est ce qui me plait chez lui. Il aime ne rien faire et le revendique. Il n'a pas peur de dire que ça peut être beau le rien.
Le 12 décembre dernier, cela a fait deux ans que Dany Laferrière a été élu au premier tour de scrutin comme membre du 2ème fauteuil de l'Académie Française. Devenant à la fois le tout premier auteur d'Haïti à y être élu, mais aussi le premier Canadien et le premier Québécois.
L'Académie Française, ce n'est absolument rien.
C'est comme notre sénat.
Mais axé sur la langue française.
On y lit. On y discute. On y pelte des tonnes de nuages.
Mais surtout on fait ce que Lafferrière a fait toute sa vie, on y créé un espace.
Un espace pour réfléchir.
Pour réinventer le monde.
Pour redéfinir la planète avec de nouveaux regards.
Un espace pour prendre le contrôle de sa vie et non l'inverse.
Dany a multiplié les efforts pour obtenir son fauteuil à L'Académie.
Il a travaillé très fort et partout pour arriver à ses fins.
Pour arriver à ce rien.
Ce magnifique rien.
Dany Laferrrière est bien.
Et quand on l'entend maintenant parler à la radio, on le comprend tout de suite.
On entend ce rien qui lui va et le rend si bien. Un riche rien. Un magnifique rien. Un rien qui n'est aucunement péjoratif. Et qui est aussi tout.
Il a son espace, et il y baigne dans le plus total bonheur.
Sa dérive douce est devenue chaise longue sur le devant d'un yacht au soleil.
Rêvant encore et toujours de boumba chargé de victuailles.
Parce que toute sa vie on a faim.
Sinon on est mort.
Dany est bien vivant.
En cette année où l'émigration a été l'un des thèmes les plus importants de 2015, Dany Laferrière, me semble tout ce qu'il y a de plus pertinent.
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