jeudi 10 décembre 2015

Framboises

"Il faudra manger les framboises, elles vont se perdre!" a lancé Precious entre deux courses de Noël.

Precious c'est l'amoureuse. Depuis qu'on a fait refaire la salle de bain, il y a comme une couche de vernis supplémentaire sur ce qu'elle entreprend et l'idée de perdre quelque chose dans le frigo, qui a toujours été mon souci à moi et non le sien, lui cause maintenant du souci.

"Au prix des framboises, on ne peut pas se permettre de les perdre!"
Et quand elle prend l'accent de l'habitant en prononçant "Franbwèze", c'est que c'est sérieux.

TOUT nous cause du souci ces temps-ci. Quand nous partirons loin, loin en janvier, ce sera amplement mérité.

L'amoureuse magasine en lionne sur le net au point que chaque jour amène une nouvelle livraison. Pendant la dernière semaine de rénos, nous recevions littéralement un paquet par jour, des fois deux, les 5 derniers jours. Ici, une décoration pour la nouvelle salle de bain, ici, un cadeau pour Punkee, ici, un morceau de linge pour Noël, ici...NON! OUVRE PAS c'est un cadeau pour toi! Je n'aimais pas beaucoup l'idée de recevoir autant de livraison sous les yeux des rénovateurs qui ne nous avaient pas encore tout facturé. Ça donnait l'impression que "money is no concern to us" ce qui n'est absolument pas le cas.
D'autant plus qu'en scrutant nos états de compte, on découvrait un achat qui n'était pas de nous chez Wallmart où nous ne nous rendons jamais. Et un achat de 494$!!!. Le temps que la compagnie de carte de crédit confirme qu'il s'agisse d'une fraude, la carte de l'amoureuse avait été suspendue. Mais ceci ne l'a pas empêchée d'utiliser une autre de ses cartes de crédit qui, ELLE AUSSI, en l'espace de 24 heures a été clonée!!!

Vous comprenez le niveau de tension qui règne en ce moment sous notre toit. On regarde au dessus de notre épaule. On se sent suivi et épié. On ne laisse pas les framboises pourrir dans le frigo.
En lisant un article sur le ministre Hamad, lui-même d'origine syrienne, implorant les employeurs d'engager des Syriens et me demandant si ma triple diplomation n'est pas une terrible menace pour ces mêmes employeurs, je me suis étouffé avec un framboise.

Mais vraiment étouffé.

Les yeux pleins d'eau, la face rouge et tout.

La chatte en a eu peur, elle a déguerpi à toute pattes vers la verrière et voulait sortir.

C'était peut-être la vue d'une photo de Sabrina Cournoyer qui m'a aussi fait avaler de travers, mais ça n'allait pas du tout. Prenant une bouteille de calvados au goulot, j'ai fait cul sec et ai débloqué ce qui qui bloquait.

Toutefois le mal n'était pas complètement terminé. Simplement déplacé. Je sentais une framboise encore dans le profond de ma gorge. Prise entre le fascia cervical et l'oesophage. Mais ça ne m'empêchait plus de respirer. Je parlais avec une voix plus rauque, mais seul mon chat pouvait en faire état.

J'avais plusieurs commissions de père noël à faire ce jour-là et me suis appliqué à la tâche. Pas été capable de chanter ma musique dans la voiture en raison de la framboise. Peut-être une bonne chose après tout.

Parmi ces commissions, deux bouteilles de vin rouge que j'allais chercher pour notre bon plaisir du temps des fêtes. Parce qu'il faudra avoir du plaisir dans le temps des fêtes. C'est mandataire. Ça nous parait si loin. On fête pourtant Noël dans 13 dodos...et le jour de l'an dans 20, et nous quittons le pays dans 26, et soulignons mon anniversaire dans 55...

Christ c'est moi où le temps file?

Ghost Pines, aromatique et charnu, comme l'amour. Je n'ai pas hésité une seconde, je connais déjà. C'est un favori chez nous. Mais j'ai eu besoin d'infos pour une intuition que j'avais sur le Dreaming Tree Crush de Californie. Je sais, je sais, il semble y avoir thématique arboriculturelle, mais il s'agit d'un simple hasard.

J'ai demandé d'un geste à l'employé de me parler du vin, et il se l'est joué 100% poétique:

"Par une journée chaude, deux chiens courent après le même bâton, lancé plusieurs fois dans un étang. Le plus vieux, le plus lent des deux ne réussit jamais à attraper le bâton et grogne à chaque effort. Mais il y retourne à chaque fois avec plus d'ardeur en se disant, "peut-être que cette fois-ci je l'aurai""

Je l'ai regardé comme on regarderait un scorpion découvert dans ses draps et lui ai simplement demandé:

"Mais encore..."

Ce n'était que deux mots, mais c'était aussi les deux premiers que je prononçais depuis que je m'étais étouffé avec la framboise, ça n'a pas fait du bien. L'employé a repris:

"Il y a des notes fumées de petits fruits dans ce vin et un éclat de framboise confituré..."

Pendant son laïus, je m'étouffais tranquillement avec la framboise de plus en plus bruyamment. Comme je travaille beaucoup dans l'équipe de débarcadère dehors à l'entrepôt dans le Vieux-Port la nuit ces temps-ci, et ce jusqu'en février prochain, et qu'il vente toujours beaucoup près du St-Laurent beau temps, mauvais temps, j'ai récemment pris froid.

À mon étouffement c'est joint un époustouflant éternuement qui a joint l'image à ses mots et je lui ai catapulté en plein front un éclat de framboise confituré, en direct du centre-ville profond de ma gorge.

Il a invoqué quelques mots d'églises, puis, convaincu qu'il saignait du front à quitté paniqué
vers le backstore.

Me suis trouvé pas mal zen comparé à lui.

On a pas perdu nos frambwèzes.

Cibwère.

Aucun commentaire: