Quand, en 1978, Ingeborg Day, a été présentée à des amis qui lui demandait quel était le sujet de son livre qu'elle allait publier prochainement, un peu paniquée de la réaction à venir, elle avait répondu:
"Il s'agit d'un long poème érotique épique de 120 pages"
Tout le monde avait éclaté de rire. Ça l'avait soulagée. On ne l'avait pas prise au sérieux.
Mais elle disait la vérité. Dans son livre précédent, Ghost Waltz, cette autrichienne de naissance, tentait de faire la paix avec le passé familial, fort Nazi. Donc l'idée du poème érotique semblait soudaine et saugrenue. Elle allait publier ce qui deviendrait le film 9 1/2 Weeks. Ses 9 semaines et demies, sous l'emprise d'un homme dominant, un témoignage sadomasochiste troublant. Et extrêmement dur à lire.
Mais personne ne saurait qu'elle en serait l'auteure, puisque le livre sortirait sous le pseudonyme de Elizabeth McNeill.
À une époque où l'érotisme est partout et que le sujet de vouloir contrôler le corps des femmes n'a jamais été plus d'actualité, ce qui avait alors étonné était que Ingeborg Day avait révélé davantage d'elle-même sous un pseudonyme que dans son premier livre, sous son vrai nom.
La première fois qu'elle rencontre son amant non nommé, ils sont au lit ensemble et il lui garde fermement les mains au dessus de la tête d'une seule main. Elle aime beaucoup. La seconde fois, il lui fait des choses pendant qu'elle a les yeux bandés. La troisième fois, il la fait supplier, alors qu'il se retire pour qu'elle ne jouisse pas d'un orgasme, maintes et maintes fois. La quatrième, il lui attache les poignets dans le dos. Le lendemain, il lui envoyait 13 roses au bureau.
Jusqu'à maintenant pas de quoi capoter complètement. Mais la suite est brutale. Assez rapidement, il apporte un miroir portatif, gifle Ingeborg, la prend par les cheveux et la force à contempler la marque de sa gifle sur son propre visage. La nuit, elle passe des heures enchaînée au lit ou au canapé. Il magasine avec elle des fouets, qu'il essaie sur elle, publiquement. Il lui demande de s'habiller en homme et de l'attendre dans une chambre d'hôtel. Avant de se faire brutalement prendre par derrière. Dominée physiquement.
À l'époque, 1977, Ingeborg avait une carrière comme éditrice du magazine M, ironiquement, très féministe, et était en mesure de séparer son côté professionnel, de jour, de son côté esclave sexuel, le soir tombé. Ce qu'elle appréciait était que de jour, tout était décidé par elle, elle était indépendante, mais que le soir, elle tombait soudainement sans défense, dépendante, prise complètement sous contrôle, aucune décision n'était attendue d'elle, elle n'avait plus aucune responsabilités. Elle adorait.
Sur 9 semaines et demies, la séparation nuit/jour allait tenir. Même si les demandes de l'amant devenaient de plus en plus alarmantes. Ses orgasmes à elle devenaient prévisibles. Comme le jouet qu'elle était devenu, réglé au quart de tour.
Rétrospectivement, elle allait trouver cette période impensable. Elle n'arriverait pas à croire qu'elle avait vécu ces moments d'humiliation volontairement. C'était comme un rêve irréel. Un moment bleuté dans une gamme qui aurait dû être beaucoup plus colorée.
Un deux mois et trois jours de 1977, alors qu'elle était éditrice du magazine M, où l'implication de nuit d'Ingeborg n'était qu'accessoire.
Le film d'Adrian Lyne, tourné en 1984, mais mis sur le marché seulement en 1986, (personne ne voulait toucher au sujet) n'aura gardé au final que le côté "soft" des 120 pages. Kim Basinger possède même des heures de tournage considérées comme étant beaucoup trop souffrantes, et pour elle, lors du tournage, (car on a tout tourné) et pour ceux qui verraient peut-être un jour ces images. Personne ne le verra jamais.
Ingeborg était si reconnue pour ses tenues vestimentaires de bon goût, qu'un chapitre entier lui est consacré dans le livre de mode de 1975, Cheap Chic. Au magazine M, peu de gens savaient que Ingeborg Day et Elizabeth McNeill étaient la même personne. Sinon personne.
Et la fin du livre/film, où elle doit être hospitalisée suite à une dépression nerveuse majeure, coïncide avec le moment où elle a quitté le magazine, pour les mêmes raisons. Sans que personne ne soit 100% au courant de ce qui se passait avec elle.
Ses deux seuls livres sont à propos de l'inconfort.
Moral, alors que l'anti-sémitisme sévit dans le premier, et intime, alors que le sadisme et la cruauté sévit dans l'autre. Menant à l'effondrement mental et physique. Ingeborg Day était une femme brisée.
À une époque où, de nos jours, nous mettons facilement le pied, la bouche et la main dans des zones d'ombres profondes, où les tabous tombent et les jugements, bons, mauvais ou nuancés se décomplexent et se croisent en tirs groupés, Ingeborg livrait deux livres hautement chargés en pensées lourdes, en craintes toxiques et en désirs serviles.
Après le succès cinématographique de 9 1/2 Weeks, on lui a vite commandé un autre livre qui n'a jamais été écrit. Elle a déménagé au Massachussetts, a épousé un homme de 14 ans son aîné, n'a jamais parlé du succès du film, et on a commencé à révéler sa vraie identité principalement après sa mort.
Un suicide, en mai 2011. Aidante naturelle de son mari infirme, elle a alors, choisi encore la marge noire. Il y avait beaucoup de sinistre autour d'Ingerborg.
Vers 2013, HarperCollins rééditait Nine & Half Weeks pour la première fois, signé Ingeborg Day.
Le film se tournait à New York entre le 7 juin et le 12 août, il y a 35 ans.
Et faisait naître deux carrières.
Basinger qui sera Oscarisée en 1998.
Rourke qui passera très proche de l'être en 2009.
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